Le cinéma au Maroc : transes, avances et décadence

Point de vue

Mohamed   Laroussi

Avant de vous expliquer ce qui m’amène aujourd’hui à m’exprimer publiquement sur ce secteur, j’aimerais apporter au préalable des précisions que j’estime nécessaires pour une meilleure compréhension de ma démarche.
D’abord, je ne suis pas un professionnel du cinéma et je ne me suis jamais considéré comme tel. Contrairement à ce qu’on pourrait croire ou imaginer, même si j’adore le cinéma, je ne vis pas en permanence dans le milieu du cinéma et je ne vis pas non plus du cinéma. Il est vrai que du temps où je travaillais dans le monde de la publicité et de la communication, je n’ai jamais caché qu’autant l’écriture que le cinéma sont mes grandes passions. C’est peut-être la raison pour laquelle aussi bien les responsables que les professionnels du cinéma se sont toujours comportés avec moi comme un des leurs, et j’en étais très flatté.
Pour information, depuis la fin des années 80, j’ai été sollicité de nombreuses fois pour faire partie de jurys de festivals ou d’autres types de commissions. C’est ainsi que j’ai eu l’honneur et le privilège de siéger pas moins de 4 fois au sein de la commission de fonds d’aide à la production, avant même qu’on la rebaptise « commission d’avance sur recette », la dernière fois ayant été en 2016. Par ailleurs, j’ai animé de nombreux séminaires au sein d’écoles de cinéma, et j’ai même enseigné à l’institut public ISMAC (Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel et du Cinéma). Tout cela, bien entendu, en parallèle et en marge de mes autres activités professionnelles et personnelles.
Aussitôt après avoir décidé de quitter d’une manière volontaire le secteur de la pub, j’avais eu l’idée un peu désinvolte de continuer mon parcours professionnel dans le monde du cinéma. Me croyant fort de mon assez longue expérience dans le domaine de l’écriture et de la production, j’avais proposé mes services d’auteur, de scénariste et de script doctor. J’étais tellement confiant que j’avais créé avec une amie belge une société dédiée totalement à l’écriture cinématographique et audiovisuelle. Je croyais qu’avec tous les amis et toutes les amies que je comptais dans le domaine du cinéma, je n’allais avoir que l’embarras du choix. J’étais bien naïf car j’ai très vite compris que je n’intéressais ces gens-là que lorsque j’offrais mes services gratuitement du fait que j’avais un métier – la pub – où je gagnais plutôt bien ma vie. Bref, la déception était grande, mais je n’en suis pas mort. Mieux : j’ai continué de m’investir et de m’engager du mieux que je pouvais dans ce milieu passionnant mais si ingrat, et je continue de le faire jusqu’à ce jour.
On ne se refait pas.
Voilà. Après ces précisions, j’en viens à mon propos.
Comme tout le monde a pu le remarquer, le secteur du cinéma au Maroc traverse actuellement une période pour le moins tumultueuse.
Pour ne pas aller dans tous les sens, je vais commencer par la fin, c’est-à-dire par ce qui se passe aujourd’hui. Les gens qui suivent plus ou moins l’actualité de ce secteur sont sûrement au courant des scandales qui ont surgi ces dernières semaines dans le milieu du cinéma dans notre pays. Je n’aime pas beaucoup le terme « scandale » qui est trop galvaudé, mais je n’ai pas trouvé mieux pour qualifier cette situation plus que tragique.
Je ne voudrais pas rentrer trop dans les détails, et je vais me limiter aux deux derniers évènements qui reflètent le plus à mes yeux la gravité extrême de cette crise : il s’agit de la 22ème édition du Festival National du Film de Tanger (Septembre 2022), et la 6è édition du Festival du film documentaire sur la culture, l’histoire et l’espace sahraoui hassani (Décembre 2022).
Ce qui s’est passé avant, pendant et après ces deux événements peuvent résumer à eux-seuls toute l’ampleur de la tragédie du cinéma dans notre pays.
Je vais commencer par le Festival National de Tanger.
Sachez tout d’abord qu’à l’exception du Festival International de Marrakech qui a un statut à part, le festival national du film est considéré par l’ensemble des professionnels comme la plus grande et la plus importante rencontre cinématographique nationale. Par son côté global et convivial, le FNF a toujours été l’occasion aux cinéastes marocains et aux amoureux du cinéma en général de se rencontrer, de découvrir de nouvelles œuvres, d’échanger les expériences, et de partager des moments uniques et précieux, le tout dans une atmosphère enrichissante et agréable. Mais tout cela c’était avant, c’est-à-dire avant cette maudite 22ème édition de septembre dernier.
De l’avis unanime de tous les gens qui ont participé à cette édition, c’était l’édition la plus mauvaise et la plus anarchique de toute l’histoire de ce festival : aucune sélection préalable des films en compétition, un public qui ne savait où donner de la tête, des jurys stressés, excédés et éclatés, et, last but not least, des palmarès très controversés. Je rappelle que la veille de la clôture de cette édition, deux membres éminents du jury du film du long-métrage s’étaient retirés des délibérations et avaient publié un communiqué. Un peu plus tard, un 3ème membre non moins éminent a réagi en récusant très clairement les raisons qui avaient été invoquées par ses collègues démissionnaires dans leur communiqué. Et comme ce n’était pas suffisant, il y a eu un autre scandale, encore un : le film ayant remporté le Grand Prix, ainsi que son réalisateur et son producteur, se sont retrouvés brusquement et violemment pénalisés pour une raison insolite bizarrement découverte plusieurs jours après la clôture du festival.
Or, au lieu de dénoncer ce fait sans précédent et se solidariser avec leur confrère et collègue puni, beaucoup de professionnels se sont soit murés dans un mutisme lâche, alors que d’autres n’ont pas hésité à montrer publiquement leur soumission et leur inféodation à leurs maîtres-distributeurs de rentes et de récompenses. Odieux !
Le 2ème grand scandale a eu lieu lors de la dernière édition du festival de Laayoune.
Je passe vite sur les conditions désastreuses dans lesquelles s’est déroulée cette édition qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à celle du Festival de Tanger, avec un nombre impressionnant de films en compétition – du fait qu’aune sélection n’ait été effectuée au préalable – et avec son lot d’improvisation et d’inorganisation à tous les étages.
Et alors que le jury avait déjà délibéré et que tout semblait prêt pour la cérémonie de clôture, les hautes autorités de la ville ont décidé de tout annuler. La cause ? Une phrase indélicate à l’égard du maître spirituel d’une grande tribu du Sahara aurait été découverte dans un film documentaire en compétition, et cela, plusieurs heures après sa projection officielle.
Cette raison était-elle suffisante pour suspendre les travaux d’un festival, et fallait-il prendre une décision aussi radicale ? Je ne sais pas. Par contre, et comme je l’ai fait en son temps, je m’élève de la manière la plus claire contre la décision arbitraire, autocratique, injuste et injustifiée qui a été prise à l’encontre de Tariq Khalami, l’un des meilleurs cadres du CCM qui a été choisi comme bouc émissaire. Cette sanction avait été annoncée dans un premier temps par un communiqué du directeur par intérim du CCM, suivi par un autre communiqué encore plus explicite et encore plus violent émanant cette fois-ci du ministère de tutelle.
Or tout le monde s’accordait à dire que le principal responsable du scandale de Tanger n’était autre que ce même directeur par intérim du CCM. Pourtant, malgré les protestations très vives de nombreuses personnes, surtout les vrai(e)s ami(e)s de Tariq, il a été maintenu dans ses fonctions. Et il a fallu plusieurs semaines de tergiversations pour qu’on décide enfin de le remettre à son poste initial de Secrétaire Général, et le remplacer par un autre Directeur par intérim qui n’est autre que le secrétaire général du Ministère de la Communication.
Les Français appellent ça « le jeu des chaises musicales ». Jeu ou pas jeu, ça n’amuse plus grand monde, même s’il n y a pas eu grand monde qui a protesté contre ce faux amusement qui n’a que trop duré.
Et puisque nous sommes dans le mutisme et dans l’immobilisme, j’aimerais vous donner un exemple plus qu’éloquent.
Après un silence qui a duré presque un mois, Monsieur le ministre est sorti enfin en catimini de sa réserve à travers une interview qui n’en est pas une, accordée à Médias 24.
Cette interview, disais-je, n’est pas une vraie interview parce qu’il n y a aucune question, mais il y a quand même des réponses, même si la plupart d’entre elles ne répondent à aucune question que les professionnels se posent depuis plusieurs semaines. En fait, il s’agit d’un texte en continu avec des titres et des chapitres, dans un ordre qui ne répond à aucune logique et aucune rationalité.
C’est simple : au lieu de répondre à des interrogations brûlantes qui exigent des réponses précises et rapides, comme par exemple le pourquoi du maintien de la sanction arbitraire contre Tariq Khalami malgré toutes les preuves de sa non-implication dans le dernier scandale de Laayoune, Monsieur le Ministre s’est lancé dans un long monologue qui porte un titre pompeux, peut-être pour botter en touche : « Ce que va changer la réforme du CCM ».
Mais de quelle réforme s’agit-il ? Et si réforme il y a ou il y aura, avec qui Monsieur le ministre s’est-il concerté pour la rédiger ? Oui, je sais qu’il a envoyé le texte de son projet aux « chambres professionnelles », mais sait-il au moins que la plupart de ces chambres ne sont plus que des coquilles vides dirigées par des personnes souvent sans légitimité ? S’il ne le sait pas, il n’a alors pas qu’à vérifier les documents de leur prétendue élection.
Permettez-moi de revenir sur les points que j’estime les plus parlants de cet auto-texte.
Monsieur le Ministre commence par un point qui m’a paru un peu bizarre, ne serait-ce que parce que c’est le premier avec lequel il commence son texte : le projet de séparation de la cinémathèque et du CCM pour en faire 2 entités distinctes et indépendantes. J’ai dit bizarre parce que je pense que si ce sujet semble être la priorité des priorités pour Monsieur le Ministre, pour la majorité des professionnels marocains, cela ne semble avoir qu’une importance marginale, peut-être parce que cette vénérable institution ne possède pour eux qu’une existence symbolique, voire virtuelle. Et comme je les comprends !
Au fond, peut-être qu’il s’y passe des choses, peut-être qu’il y a eu des changements qui ont été opérés ces derniers temps, mais comme personne n’en parle jamais, et que le nombre d’activités qui y est organisé est proche de zéro, alors … personne ne sait rien. Pourtant, ça fait 3 ou 4 ans qu’on a nommé à sa tête une cinéaste qui a certes des talents de réalisatrice et de productrice indéniables, mais qui n’a pas pu encore, à mon avis, nous montrer celui de gérante et d’animatrice d’une cinémathèque.
Justement, à ce propos, j’ai envie de poser à Monsieur le Ministre deux questions fortement liées entre elles :
Première question : est-ce qu’une cinéaste a vocation et la qualification à diriger, d’une manière sérieuse et permanente, une institution de l’envergure d’une cinémathèque, alors qu’elle a d’autres chats à fouetter. Son vrai métier n’est-il pas d’abord d’écrire ou de faire écrire des films, de réaliser ces films, de les produire ou de les faire produire, pour, ensuite, les promouvoir et les suivre ? Franchement, quand aurait-elle le temps de s’occuper vraiment de cette cinémathèque ?
Deuxième question : j’aimerais bien comprendre quel est l’intérêt pratique, factuel, opérationnel, professionnel, artistique, cinématographique, de séparer le CCM de sa Cinémathèque ? En d’autres termes : en quoi le fait de dépendre de la Direction du CCM gênerait-il un responsable ou une responsable de la Cinémathèque dans la gestion de cette institution ? Si on suit cette logique, pourquoi alors ne pas « filialiser » également les autres départements du CCM, comme, par exemple, celui de la Production ou bien le Laboratoire ?
Je vais être clair : je n’ai absolument rien de personnel contre Narjiss Nejjar, que j’ai toujours considérée comme une amie, mais j’estime que c’est mon droit tant de cinéphile que de citoyen de lui demander des comptes sur sa gestion en tant que directrice de la cinémathèque, alors que j’aurais tant aimé discuté avec elle plutôt des films qu’elle a réalisés ou ceux qu’elle en train de préparer.
Je sais que personne n’ose exprimer publiquement son avis sur ce sujet, mais Monsieur le Ministre doit savoir que tout le monde passe son temps à en parler, et parler surtout d’un certain gros salaire – peut-être juste imaginaire – que toucherait Narjiss. Je suis sûr qu’elle sait que beaucoup critiquent sa nomination à la tête de la Cinémathèque, mais le font en cachette par peur d‘être grondés et surtout d’être privés de qui les intéresse le plus : leur part de la gamelle.
C’est d’ailleurs une excellente transition pour aborder le 2ème grand point qui a été soulevé par Monsieur le Ministre dans dans son texte, en l’occurence le projet de réforme des commissions, en particulier celle dite « d’avance sur recette ».
En lisant le chapitre consacré à cette question dans ce texte, on apprend que Monsieur le Ministre envisage de modifier le système des 4 tranches de 25 % chacune qui est appliqué jusqu’à aujourd’hui, pour le remplacer éventuellement par d’autres systèmes, comme le 50-50 ou le 80-20, afin, précise-il, « d’encourager les tournages de productions qui s’intéressent à l’histoire du Maroc ».
D’abord, Monsieur le Ministre ne nous explique pas en quoi ces nouveaux systèmes seraient plus justes, plus équitables ou juste plus pratiques que l’actuel, et ensuite, pourquoi ces systèmes seraient-ils limités aux seuls films sur « l’Histoire du Maroc » et pas aux autres. Et puis, qu’est-ce qu’il entend par « Histoire du Maroc ». Lorsqu’on fait un film qui raconte une histoire d’amour qui s’est passée dans une une région quelconque du Maroc, ce n’est pas de « l’Histoire du Maroc » ?
En fait, je pense que Monsieur le Ministre ne sait pas encore que le vrai problème n’est pas le système des 4 tranches, mais plutôt de ce qu’on fait de ces 4 tranches. Même s’il ne m’a rien demandé, je vais quand même me permettre de lui expliquer ce que ses collaborateurs n’ont pas voulu ou n’ont pas su le faire.
Lorsqu’un projet de film est retenu par la commission d’avances sur recette, son budget de production est aussitôt réévalué par les membres qualifiés de cette commission. Selon la loi en vigueur, le projet retenu doit bénéficier, obligatoirement, des 2/3 du montant évalué, (avec toutefois un plafond maximal de 10 000 000 de Dhs). Quant au 1/3 restant, il doit être apporté par le porteur de ce projet, soit en numéraires, soit par une participation avec des salaires, par exemple de scénariste et:ou de réalisateur, soit avec des frais de bureau ou autres, soit avec tout cela à la fois.
Or, que se passe-t-il dans plus de 90 % des cas ? Eh bien, il n’y a pratiquement aucun apport. Pire : dans la plupart des cas, on puise sur les 2/ 3 du fonds, soit pour payer des dettes antérieures soit pour assurer un revenu régulier pour les mois ou les années… après le tournage de ce film, en attendant le prochain film.
En clair, les films ne sont souvent produits qu’avec le montant de ces 2/3, lequel montant est souvent amputé de tout ce qu’on a pris en amont et en aval de la production.
Oui, ce n’est pas normal, oui, ce n’est pas moral, oui, c’est dramatique. Et c’est d’autant plus dramatique que la 4ème et dernière tranche n’est accordée au producteur qu’après sa présentation de la version finale du film, celle prête pour la distribution.
Or, depuis quelques années, cette 4ème tranche est parfois refusée par la commission lorsqu’elle estime que le film est de mauvaise qualité ou bien qu’il n’est pas conforme au projet présenté.
Pour mieux comprendre, je vais donner un exemple chiffré :
Supposons qu’un projet de film qui a été retenu par une commission, a été évalué, par exemple, à 6 Millions de dhs. La commission doit alors mettre à la disposition du porteur du projet retenu les 2/3 de ce montant,c’est-à-dire 4 millions de dhs, charge à lui d’apporter le montant restant, qui est 2 millions de dhs.
Donc, le montant de 4 millions de l’avance sur recette sera divisé en 4 tranches de 1 million chacune. Sans même vérifier si oui ou non le producteur a bien réuni le 1/ 3 manquant, ou juste une partie, le CCM va mettre la première tranche à sa disposition, quelques semaines avant le début du tournage ; les 2 autres tranches lui seront versées au fur et à mesure de l’avancement du tournage. La 4ème tranche, quant à elle, et comme je l’ai expliqué plus haut, ne sera accordée, ou pas, qu’après le visionnage de la version finale.
Donc, théoriquement, le producteur devrait avoir réuni les 2 millions de dhs qui constitue sa part, mais comme dans la majorité des cas il ne réussit pas à le faire, et comme sur les 3 millions qu’il a reçus, il a probablement mis de côté une partie pour ses propres besoins, résultat des courses : le film n’est produit qu’avec ce qui reste, dans l’attente devenue de plus en plus hypothétique de la 4ème et dernière tranche de 1million de dhs, avec laquelle il aura promis de payer le reste des salaires de ses équipes, les factures de ses fournisseurs etc, une promesse pas toujours tenue.
Par conséquent, un film dont le budget de production a a été évalué par la commission, par exemple, à 6 Millions de dhs, n’est tourné qu’avec 4 millions, dans le meilleur des cas, c’est-à-dire lorsque ses producteurs ont été assez honnêtes et ont mis dans ce film TOUT l’argent qu’ils ont reçu du fonds.
Alors, ne soyez pas étonnés de la qualité souvent moyenne,voire médiocre, de la plupart des films financés ces dernières années par les deniers publics.
Non, ce n’est pas une caricature, mais c’est la triste réalité.
Dois-je rappeler que le fonds d’avance sur recette subventionne,bon an mal an, en moyenne une vingtaine de films de long-métrage par an, ce qui signifie que sur une période de10 ans par exemple, l’État du Maroc subventionne la production au moins de 200 films ! Alors, sur les 200 « oeuvres » produits ces 10 dernières années, qui pourrait me donner les titres de juste10 films, ou soyons plus généreux, les titres de 20 films, soit 10 % de la production globale, 20 films qui, selon eux, ont séduit soit le public national soit le public international lors de festivals de renom, je dis bien de renom, et pas ces mini-festivals sans le moindre intérêt ni valeur artistiques et qui pullulent à travers le monde ?
Il est bien loin le temps de ces films magnifiques et inoubliables qui ont été réalisés et produits avec le coeur et presque toujours avec le propre argent du réalisateur ou bien celui qu’il a emprunté chez des amis qu’il ne va jamais pouvoir rembourser. Qui ne se souvient pas des films cultes comme El Hal, Wechma, le Coiffeur du Quartier des Pauvres, 1000 et une mains et bien d’autres ? Oui, tout cela est bien loin.
Alors, franchement, tous ces systèmes, que ce soit le 4 x 25 %, le 50/50 le 80/20, peuvent être bons ou pas assez, mais ce n’est pas cela le fonds du problème. Je pense que tant que nous n’avons pas débattu sérieusement, sans parti-pris, sans faux-fuyant, sans peur et sans crainte, de toutes les questions relatives au financement des films et au contrôle de ce financement, mais aussi les questions des profils, de la compétence et de la qualification des membres de la commission d’octroi, nous allons continuer de faire beaucoup de films, et même beaucoup trop pour le peu de public que nous avons, mais notre cinéma restera inéluctablement au même niveau globalement très bas où il se trouve actuellement.
Nous allons peut-être faire émerger quelques jeunes cinéastes qui ont du talent, mais qui auront, hélas, par mimétisme, très vite envie de devenir, eux aussi, « riches » très vite, comme beaucoup d’autres collègues qui les ont précédés, grâce à l’argent du contribuable.
En un mot comme en mille, tant que cet argent du contribuable n’est pas contrôlé d’une manière stricte, rigoureuse et sérieuse, nous ne pourrons jamais avoir un cinéma marocain de qualité, un cinéma qui se distingue sur l’échiquier international, qui nourrit intellectuellement et artistiquement son public et qui brille sous d’autres cieux dans des festivals véritablement prestigieux.
Je sais qu’en lisant cela, beaucoup vont me détester, ou plutôt vont me détester encore plus, mais peu m’importe. La preuve, je vais continuer. D’ailleurs, je n’ai pas encore fini avec le texte de Monsieur le Ministre.
Je vais passer très vite sur ce vœu pieux de voir un jour les Conseils Régionaux soutenir des productions qui contribueraient à la promotion de leur région et feraient travailler les populations locales, et je vais aller directement à l’appel à candidature pour le recrutement du futur Directeur du CCM que Monsieur le Ministre compte lancer d’ici… Juin 2023. Et dire que tout le monde attend cet appel depuis près d’une année et demie, puisque le précédent directeur a quitté ses fonctions en octobre 2021. La formule du « Directeur par intérim » est par définition transitoire, provisoire, et à durée minimale, pourtant Monsieur le Ministre est en train , consciemment ou pas, de la pérenniser, avec tous les dégâts collatéraux qu’elle est capable de causer. J’espère que que Juin prochain ne va pas devenir décembre ou l’année prochaine.
Au fait, il y a un truc que je n’ai pas bien compris dans ce texte-déclaration de Monsieur le Ministre . Il a parlé de recruter un « Directeur Général » pour le CCM. Or, à mon humble connaissance, le CCM est une institution publique, et par conséquent, depuis sa création ; tous ceux qui étaient à sa tête n’ont jamais porté le titre de « Directeur Général», mais juste celui de « Directeur », ce qui est déjà assez honorable et assez prestigieux. A moins que dans le nouveau projet de changement de statut … Qui sait ?
En fait, ce n’est pas cela qui m’a le plus interpelé,mais plutôt la condition préalable que compte mettre dans ce très attendu appel à candidature : le candidat ou la candidate ne devrait pas être ni producteur ni réalisateur, ni avoir tout métier toute profession qui pourrait le ou la mettre en position de « conflit d’intérêt ».
Tout en saluant très sincèrement Monsieur le ministre pour sa préoccupation pour ce point d’éthique important, j’aimerais bien savoir pourquoi cette condition n’a pas été appliquée par lui lors de la nomination de la directrice actuelle de la Cinémathèque ? N’y a-t-il pas de « conflit d’intérêt » ?
Plus sérieusement, et avant de conclure, je voudrais dire à Monsieur le Ministre qu’il peut ne pas croire, mais je n’ai rien également rien de personnel contre lui, que je ne suis le porte-parole de personne, que je ne suis poussé que par ma conscience de citoyen, et que je ne suis motivé que par ma passion du cinéma et de la culture.
Je ne le considère pas comme un adversaire, bien au contraire. Pour moi, un ministre de la culture, j’aimerais toujours en faire un ami, un allié pour ne pas dire un complice.J’ai toujours été intimement convaincu que s’il y a un seul département dans un gouvernement qui peut être capable d’élever son détenteur au firmament des honneurs et du prestige, ça serait, sans conteste, celui de la culture. J’ai le souvenir quelque noms de ministres qui étaient en charge de la culture et qui ont marqué leur temps et leurs époques. Par exemple, en France, il y avait, dans le désordre, un certain Maurice Druon, un certain Alain Peyrefitte, une certaine Françoise Giroud, un certain Jack Lang – qui est rentré dans l’histoire par la Grande Porte de la Fête de la Musique qu’il a littéralement inventée – un certain Frédéric Mitterand – dont la notoriété n’est pas due seulement à sa prestigieuse filiation – sans oublier l’immense André Malraux, le grand auteur de « La Condition Humaine ». Et pour le Maroc, je ne vais citer qu’un seul nom : Feu Mohamed El Fassi, que j’ai eu la chance de connaître et d’approcher plusieurs fois alors que j’étais à peine adolescent. C’est lors des innombrables activités de théâtre, de cinéma, de musique, au cours desquelles il promenait sa grande silhouette d’intellectuel passionné enturbanné et en djellaba blanche, sombre ou rayée.
Je n’ai pas d’autre conseil à donner à Ssi Mohamed Mehdi Bensaid, mais je ne pourrais finir cet article sans lui rappeler que ce n’est pas en occultant les problèmes qu’on les résolve, et que le premier problème que Monsieur le Ministre devrait résoudre sans délai, et sans plus d’humeur, c’est de rétablir Tariq Khalami dans ses fonctions. Je sais qu’il sait qu’il n’a aucune espèce de responsabilité dans « l’affaire de Laayoune ». Plus il va tarder à le réhabiliter et plus l’espoir que beaucoup de gens portent en lui, y compris moi, pourrait s’émousser très rapidement.
C’est vrai que je n’ai pas aborder tous les sujets du cinéma dans notre pays, et pourtant il y en a beaucoup d’autres, aussi importants, comme problème celui des salles qui ferment à vue d’oeil, ou celles, nouvelles, qu’on envisage d’ouvrir. Je n’ai pas pu parler non plus du problème épineux lié d’ailleurs aux salles, à savoir le public de plus en plus réduit qui s’intéresse au vrai cinéma, et bien d’autres sujets. En vérité, il n’était pas dans mon intention, et je n’avais pas la prétention de tout traiter dans cette tribune, mais je pense le faire plus tard, parce que je reste confiant que le cinéma et la culture en général ont encore de beaux jours devant eux, mais à condition que ceux qui en ont la charge aient une vision prospective et une stratégie de développement en conséquence. Cette vision et cette stratégie ne doivent pas néanmoins être dictées par personne mais devraient débattues avec toutes les personnes et tous organismes qui s’y intéressent et qui s’en soucient. Et je sais qu’il y en a encore.

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