Le mal être des blouses blanches

Suicide d’un jeune interne en médecine

Ouardirhi Abdelaziz

Le suicide de Yassine Rachid, un jeune médecin interne âgé de 32 ans, qui était au service d’urologie de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca, est un drame qui vient endeuiller la communauté médicale au Maroc.

Ce drame a suscité un grand émoi au sein de l’hôpital Ibn Rochd, auprès de l’ensemble des professionnels de santé de cet établissement hospitalier, de ses collègues, ses amis et sa famille…

Ce drame suscite de la colère, l’indignation, l’amertume, et nous interpelle tous. Il y a à l’évidence un  problème, quelque chose qui ne va pas dans les études médicales, l’internat, la manière dont les internes sont formés et exploités. 

Un jeune médecin brillant et passionné

Après le suicide de Yassine Rachid , un jeune médecin interne âgé de 32 ans, qui était au service d’urologie de l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca depuis trois ans et demi pour parfaire sa spécialité d’urologue, son suicide est enveloppé d’un écran de fumée qui ne permet pas de bien voir, et de comprendre les raisons qui ont poussé ce jeune médecin à se suicider . 

Ses collègues, ses amis et ses parents, tous décrivent Yassine Rachid comme étant  brillant, passionné et très empathique envers ses patients.

Tous ceux qui l’ont connu à la fac de médecine ou qui ont travaillé avec lui tentent toujours de comprendre ce qui l’a poussé à commettre ce geste de désespoir. Particulièrement ses parents qui sont très affectés par cette soudaine disparition de leur fils en qui ils avaient placé tous leurs espoirs.

Pour en savoir plus sur cette douloureuse affaire, nous avons contacté des professionnels de santé, qui sont très proches de feu Yassine Rachid.

Harcèlement moral

Les informations recueillies sont très claires, et parmi les causes qui ont poussé au suicide, il y a  les difficultés rencontrées par Yassine avec un supérieur hiérarchique dans le même service depuis quelques mois avant le drame.

Face à cette douloureuse et affligeante situation, une réunion d’urgence s’est tenue le dimanche 4 septembre entre la Commission nationale des médecins, pharmaciens et dentistes, et la commission nationale des médecins résidents et internes du Maroc.

Dans un communiqué conjoint, les deux commissions soulignent que « l’abus que subissait ce jeune médecin l’a poussé à quitter le pays pour poursuivre sa spécialité à l’étranger, et échapper ainsi à la pression et les insultes quotidiennes, qui n’ont rien à voir avec la formation médicale et ne correspondent pas aux normes pédagogiques et humanitaires qui doivent être adoptées à toutes les étapes des études médicales et chirurgicales. »

Après cet incident douloureux, et afin de dénoncer ce genre de pratiques intolérables, inacceptables, des actes d’injustices et d’abus psychiques et physiques, dont les premiers à pâtir sont les jeunes étudiants, résidents ou internes, l’ensemble des CHU du Royaume ont observé un sit-in le mercredi 7 septembre 2022 .

Les deux commissions vont plus loin pour dénoncer une réalité amère, elles précisent que ce genre de pratiques est toujours d’actualité et même répandues dans certains services hospitaliers affiliés aux CHU sur l’ensemble du territoire national.

Un mal-être croissant

Pour comprendre ce qui se passe, ce que vivent les étudiants en médecine, les internes, les résidents, il faut se situer dans le contexte, celui de la faculté de médecine, du concours d’entrée qui n’est pas facile du tout.

Par la suite, il y a des examens, des études interminables, un contact étroit avec la maladie, la souffrance, la violence, la précarité et la mort …

En plus, il y a les gardes, le travail de nuit, les dossiers à remplir, les malades à surveiller parfois 24 H / 24 H.

Tout cela fait partie du quotidien d’un interne, des taches à entreprendre, des objectifs à réaliser pour asseoir sur des bases solides la pratique de la profession choisie.

Mais dans bien des situations, bien des cas, l’amour du métier est mis à mal par une surcharge constante, un stress permanent, une souffrance.

Mettre fin à l’omerta

Bref, la charge de travail est éreintante, et certains internes réaliseraient près d’une centaine d’heures de travail hebdomadaires.

L’interne doit assurer la garde le samedi et le dimanche, soit 48 heures d’affilées. Le lundi matin, il doit être présent au service à 8 heures du matin.

Au sein de certains services chauds, l’activité est pratiquement constante7 jours / 7 jours. C’est toujours plus de travail, moins de personnels, moins de repos, et gare à celle ou celui qui osera broncher.

En effet, certains responsables, chefs de services, professeurs, et assistants, ont des comportements, des attitudes bizarroïdes, aux antipodes des bonnes pratiques de la médecine.

Ils sont sensés encadrer les futurs médecins, les internes, les orienter, leur apprendre les fondements et les bases des bonnes pratiques du noble art, et ne pas les laisser livrés à eux-mêmes au sein des services au moment où ces mêmes responsables s’adonnaient à outrance à la pratique de la médecine dans des cliniques privées.

Ce n’est pas une vue de l’esprit, loin s’en faut. C’est la réalité qui est souvent vécue, car malheureusement, certains chefs de services, pas tous, se comportent comme des véritables mandarins.

Le service est leur propriété privée, ils font ce que bon leur semble, acceptent et refusent ce qu’ils veulent, agissent envers les subalternes avec arrogance, mépris. Ils font fi de la souffrance de leurs internes, et personne n’a rien à redire. Celui qui n’est pas content est exclu et la validation de son DES est pratiquement impossible …

La plus grande injustice, c’est que ces patrons, ne sont pas contrôlés, évalués, et la direction de l’hôpital ou du CHU, reste impuissante face aux agissements de certains patrons de services qui se croient en terrain conquis et où ils n’ont aucun compte à rendre. C’est un silence assourdissant. Circulez, il n’y a rien à voir. Et parfois un drame se produit.

Plus jamais ca

Il est clair que ce suicide est lié au stress, à la charge de travail, au harcèlement moral, aux rapports délétères entre feu Yassine Rachid et certains responsables du service du service où il travaillait.

Ce jeune médecin que Dieu ait son âme, ne doit pas être mort pour rien. Il est impératif que des changements soient opérés dès aujourd’hui, il faut une prise de conscience de la profession à tous les niveaux (ministère de la Santé – ministère de l’Enseignement supérieur – faculté de médecine-CHU-hôpitaux – syndicats …). Ce qui malheureusement n’est pas le cas et à défaut, c’est au parlement de s’emparer de cette douloureuse affaire, de ce drame pour que plus jamais de telles dérives, de tels dérapages ne soient plus jamais tolérés au niveau des services.

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