Le poulpe et la sardine

Agadir abrite la sixième édition du Salon Halieutis du 2 au 5 février 2023 sous le thème « « Pêche et Aquaculture durables : leviers pour une Economie Bleue inclusive et performante ».

La durabilité de la pêche dans notre beau pays reste encore lointaine. La mise en pratique des conditions qui lui sont nécessaires, et non seulement son adoption confuse, constitue plus qu’une urgence pour la simple raison que presque l’ensemble des stocks halieutiques sont en pleine exploitation ou en surexploitation.

Ce constat est reconnu alors que la pression de la demande interne et externe de la ressource halieutique ne cesse de croître. La vigilance s’impose d’autant plus que l’entreprise des études écosystémiques, préconisées ailleurs en 2015, pourraient aggraver le diagnostic sur l’état des stocks et leur dynamique évolutive.

Malgré les efforts consentis, mais qui restent encore insuffisants dans la connaissance de notre écosystème marin, la gestion des pêcheries est loin d’être anticipative. Elle est pratiquée « après coup », car elle reste en retard d’au moins une année, et après des observations alarmantes, dans l’attente des mesures administratives liées aux recommandations de l’Institut National de Recherche Halieutique.

C’est ce qui explique certains effondrements de la ressource et les tensions par cela créer.

La surpêche s’accompagne de l’appauvrissement de la diversité biologique de l’écosystème marin qui s’aggrave suite à l’utilisation d’engins interdits, du non-respect des périodes du repos biologique et de la pêche INN (Illicite, Non déclarée et Non réglementée). Le suivi des opérations et le contrôle s’améliorent mais il reste encore à faire pour préserver l’espace maritime national de toute atteinte délictueuse.

L’aquaculture durable ne peut se réaliser dans notre beau pays sans une gestion intégrée de la zone littorale. La loi 81-12 relative au littoral, promulguée en 2015, constitue un cadre juridique pour cela mais il reste encore à la mettre en application effective dans l’aménagement de son environnement, l’exploitation rationnelle de ses ressources vivantes et non vivantes et sa protection. Interface avec le milieu marin du large, zone de frayage et de développement des juvéniles, elle reste menacée par une exploitation anarchique, une bétonisation envahissante et une pollution tellurique de nature diverse.

L’effort de l’investissement entrepris par l’Etat permet à l’Agence Nationale de Développement de l’Aquaculture, créée en février 2011, « d’essuyer les plâtres » dans l’attente des réponses aux manifestations d’intérêt concernant les exploitations aquacoles envisagées. Dans ce cadre, la localisation des projets autorisés en 2021 montre l’attractivité de la zone Atlantique Sud où les activités de la pêche se développent.

Dans un rapport, daté en 2016, concernant le plan Halieutis, après six années de son adoption, la Cour des Comptes avait suggéré des propositions, qui restent d’actualité, pour la mise en œuvre « d’une stratégie aquacole claire tenant compte des potentialités et des entraves du secteur ». Un véritable secteur aquacole national reste à promouvoir, de l’avis des professionnels.

Le capital national privé reste limité beaucoup plus à la production de la pêche hauturière, destinée à l’export et dont les bénéfices sont conséquents ; alors que d’autres activités liées à la pêche (construction et réparation navales, fabrication d’aliments aquacoles, Recherche et Développement …) ne suscitent pas l’enthousiasme pour l’heure. Dans l’attente de l’application de la régionalisation avancée, et au bénéfice de la compétitivité territoriale, au privé, patriote et entrepreneur, d’initier et de procéder à la mise place « d’un réseau d’interdépendances constituées d’unités productives » autour de la pêche, de l’aquaculture et de la valorisation de leurs produits.

Le parent pauvre de la pêche maritime dans notre beau pays reste la pêche artisanale où les conditions sociales prévalent sur les considérations économiques. La motivation des patrons pêcheurs ne suffit pas à elle seule pour l’acquisition des compétences techniques et la capacité financière pour se libérer de l’informel et contribuer à une exploitation plus rationnelle et plus rentable de la ressource halieutique.

Le mareyage se développe et se fait parfois en dehors des halles aux poissons et souvent sans conformité avec la loi 14-08 relative au mareyage. Les camions réfrigérés sillonnent les routes du royaume facilitant la commercialisation du poisson frais (ou son export) tout en allégeant la bourse du consommateur plus qu’il n’en faut.

La transformation des produits de la pêche évolue de la conserve à la fabrication de produits nutraceutiques. Elle souffre toutefois d’un approvisionnement instable et variable et de mille maux, dont entre autres la formation professionnelle, qui freinent son expansion.

Dans l’ensemble de cet écosystème, naturel et économique, le métier de marin pêcheur reste des plus pénibles. Ce métier est marqué par des maladies graves et des accidents de travail, parfois mortels, où le comportement humain est déterminant, facteur lui-même floué par les addictions acquises. Le marin pêcheur, une sorte d’homme à part, qui à l’accès à la mer s’estime comme perdu et au retour à la terre ferme se réjouit de la vie.

Que de réalisations et que de problèmes encore à résoudre pour que l’économie de l’espace bleu qui est le nôtre contribue au développement humain et au bienêtre de l’ensemble de la société marocaine, plus qu’il ne le fait actuellement.

Dans l’attente, et par cette période de froid et d’inflation incendiaire, un tagine au poulpe s’impose ou, à défaut, il y aura toujours de la sardine.

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