L’écrivain musé, comme s’il était l’ultime intrigue de l’Histoire.

Ecriture muséale

Par Ali Albazzaz, Ecrivain, poète et artiste plasticien, irakien et hollandais, résidant entre Amsterdam et Rabat.

Traduit de l’arabe par M’barek Housni

En s’appuyant sur l’image relative aux prophètes, l’écrivain iconique a une solide liaison symbolique avec la religion, et une liaison morale avec le musée. Son écriture est missionnaire et contraignante. Il est comme le missionnaire, tel un prédicateur. L’écrivain lié (collé) au passé monopolise les attributs du prosélytisme et les réactualise pour les utiliser au présent et dans le futur en tant qu’instance de jugement des erreurs futures qu’il faut éviter.

Il n’y a aucune écriture qui pourrait se targuer d’être une écriture modèle. C’est humiliant pour l’écriture elle-même. Elle serait alors cantonnée dans l’iconique. Les écritures qui affichent clairement des certitudes sont des écritures iconiques, elles célèbrent le muséal. Il y a l’écrivain-musée, le chef-musée, et le père-musée. Ainsi, les attributs comparatifs se mesurent entre eux. Pire, ils se dissimulent derrière le muséal absolu. L’écrivain modèle aime le chef modèle et aime se pavaner en sa compagnie.

Ils sont deux musées appartenant à la psychologie du passé à travers les notions de modèle, de pureté et de commandement. Pour ces écritures, l’icône se cramponne au passé glorieux, au chef commandeur intouchable, et à l’écrivain qui est considéré comme chef de file. Elle abhorre les failles, les émeutes et les troubles, non pas seulement dans le la structure de l’écriture, mais aussi dans la structure même des concepts. Temporellement, le mouvement de l’écriture chemine dans celui de l’histoire. Toute écriture a son temps propre dont le mouvement la conditionne spatialement, hormis l’écriture muséale.

Cette dernière possède un temps spatial déterminé géographiquement et mesurable ; étant musée et icône. Il adopte la psychologie muséale celui qui croit que l’écrivain produit des textes tout le temps, qu’il réussit à chaque coup, et qu’il est aimé présentement, là où se trouve le passé glorieux/musée à travers ses beaux monuments, imposant au présent un modèle passéiste. Tous les musées exposent le passé comme si c’était l’ultime intrigue produite par l’histoire, étalant l’histoire comme si elle ne contient que les bonnes qualités, imposant au visiteur une sorte de conviction voyant dans le passé un guide positif. Certains musées se sont intéressés à leur fond iconique (leurs murs et les habits de leurs employés sont trop vétustes, par référence au passé pris comme unité de comparaison) et ils ont installé de nouvelles salles pour l’art moderne afin de briser la constance, et de reconsidérer la notion de l’ultime intrigue de l’histoire.

Le constant est tributaire du changeant. L’écriture qui prétend être continuellement pure ne peut avoir la vertu du changement. Oui, l’écriture se renouvelle tant qu’elle se désertifie, devient stérile puis fleurit, ce qui lui garantit la continuité. Autrement dit la pureté vient après la stérilité, à l’exemple de l’arrêt qui stimule le mouvement. On est souvent victimes de la grandiloquence et de la glorification, de croire en la mission « apostolique » des choses même celles qui remplissent la vie de probabilités et de prétentions.

La langue de l’évolution ne fait guère l’éloge de la caverne. L’écriture ressemble au soleil qui se lève et se couche. Est-ce qu’on reproche au soleil de se coucher ? Pourquoi l’écrivain se met-il en colère lorsqu’on lui dit qu’il vit une période de stérilité ? Au contraire, il devrait être heureux, puisqu’il est comparé au soleil. N’est-il pas majestueux, le soleil ? Notre soleil, le soleil des livres et le soleil des idées, ne vit-il pas au rythme du soleil qui se lève et se couche ? Du fait qu’elle est symbolique, cette approche ne convainc pas l’écrivain muséal. Car il ne croît qu’à la comparaison pratique qui le lie à l’autorité glorieuse, et puisque la plupart des musées imitent les glorieux.

Cet écrivain-là exerce une autorité sur lui-même et sur le monde plus que sur la création. L’exclusivité historique conditionne l’écrivain iconique et le musée, entraînés par la préférence passéiste. On voit ce dernier fait dans les musées qui n’exposent souvent que des chefs-d’œuvre, car même les outils de guerre et de destruction tels les épées et les canons sont exposés pour la vantardise, et non pas comme des moyens qui sèment la mort, hormis le musée de torture à Amsterdam où ils sont exposés comme étant vraiment des symboles de l’histoire de la torture, érigés par les autoritaires, la force et l’omnipotence. Ainsi, on peut suivre l’évolution de la vision des autoritaires à propos du corps humain à travers ces outils de torture.

Même la manière avec laquelle ont été construites les prisons avec leurs tours de contrôle a pour objectif de surveiller le corps et l’empêcher de recouvrir sa liberté, comme l’avait dit Michel Foucault dans son livre « surveiller et punir ».

Cette manière de bâtir des prisons, demeurée immuable, prévaut encore dans notre monde actuel, avec ce côté surveillance et ce côté discrétion.  Présence des caméras partout, des agents secrets, le contrôle minutieux dans les aéroports, sous prétexte que le corps est le médiateur susceptible de semer le danger, et donc accusé jusqu’à preuve du contraire. On utilise des codes secrets partout, symboles de la mainmise du centre sur nous, pour ouvrir nos comptes bancaires, pour ouvrir nos chambres d’hôtel et nos téléphones portables. Ce code est un moyen de surveillance pour terroriser le corps.

Pasolini disait que notre corps est le lopin de terre que les autoritaires n’ont pas encore colonisé.

Nu ou voilé, le corps ne sera jamais libre. Partout, il y a des tours de contrôle, partout il y a des gardiens qui surveillent, et des codes. Cherche la nudité et le voile, tu trouveras l’autorité et la religion en travers de ton chemin.

Related posts

Top