Les mécréants de Mohcine Besri

Après Les chevaux de Dieu, crédité d’une bonne performance au box office, les salles du royaume ont accueilli, la première semaine de mars, un film original à tous les niveaux, Les mécréants, premier long métrage du jeune Mohcine Besri.
Le parallèle avec le film de Nabil Ayouch est intéressant à plus d’un titre. Les mécréants comme Les chevaux de Dieu abordent, en effet, la thématique du terrorisme d’inspiration religieuse. Le film de Ayouch en puisant dans un fait réel, les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, et le film de Besri en développant une fiction à partir de l’idée d’un enlèvement d’une troupe de jeunes comédiens par un groupe terroriste. Cependant, Les mécréants se distingue par un mode de production et une dramaturgie minimalistes ; son dispositif est le fruit d’une économie générale particulière. C’est le premier film long métrage de Mohcine Besri. Il est venu au cinéma après des études scientifiques mais souligne –t-il « issu d’une famille d’artistes (son père notamment était un grand comédien dont on aperçoit le portrait dans les locaux qui accueillent les otages) je savais qu’un jour ou l’autre je débarquerai dans le monde du cinéma ». Maroco-suisse, Mohcine vit à Genève, il est comédien, réalisateur et scénariste. Il a réalisé notamment les courts métrages Kafka, mort ou vif (2006), Heaven  (2008). Il a aussi coécrit le long métrage Opération Casablanca de Laurent Nègre.
Les mécréants est une véritable entreprise collective ; après la phase d’écriture, la question de la production é été abordée par l’ensemble des intervenants dans le film. Ne pouvant postuler à l’avance sur recettes pour des raisons « administratives », Besri et son équipe ont porté collectivement le projet. «  Le film est donc une auto production, dans laquelle tous les protagonistes sont coproducteurs », nous précise le réalisateur. Le résultat fut à la hauteur de cet investissement généreux : lors de  sa présentation en compétition officielle du  festival national du film (janvier 2012), Les mécréants obtient le Prix de la première œuvre par un jury présidé par…Edgar Morin. Sur cette lancée, le film réalise une performance inédite en obtenant le Prix Naguib Mahfouz du meilleur film arabe au festival du Caire. La sortie du film au Maroc a été d’ailleurs menée sous les auspices du comédien égyptien Mahmoud Abdelaziz  président du jury qui avait récompensé le film. Belle idée de marketing qui pourrait doper  la réception publique  d’un film à la dramaturgie  originale.
Il s’agit, en effet, d’un huis clos où l’affrontement se situe davantage sur le plan du verbe. Après une ouverture joyeuse montrant les préparatifs d’une jeune troupe de théâtre, appelée à se produire dans une tournée dans le du pays, l’élément déclencheur intervient au moment où la voiture qui transporte la troupe tombe dans un piège tendu par un groupe de kidnappeurs. Les comédiens et leurs ravisseurs se retrouvent dans une maison isolée en pleine campagne. Trois terroristes menés par l’énigmatique Mustapha, le seul à avoir pouvoir de contacter les Emirs et les cheikhs face à cinq comédiens (deux femmes et trois hommes).  Coupés de leur commanditaire, les terroristes se trouvent condamnés à gérer un face à face auquel ils n’étaient pas préparé, prétexte pour le film de laisser libre cours à un jeu de développement et de rebondissement. Jeu qui dévoile les uns et les autres. La faible densité fictionnelle du film est vite récompensée par l’investissement verbal et corporel des comédiens révélant un important  travail, en amont, de direction et d’écriture : «  j’avais besoin d’être entouré par des personnes qui sont habités par cette histoire, les comédiens ont été impliqués dès le début dans l’écriture en lisant les premières versions du scénario. On a passé beaucoup de temps au cours de l’année de préparations à discuter des personnages. Les comédiens connaissaient parfaitement leurs personnages longtemps avant le tournage ; ils ont pu alors les peaufiner dans les moindres détails » nous explique Mohcine Besri. Le huis clos, une ferme isolée que la caméra quitte rarement pour de très beaux plans extérieurs (coucher du soleil, horizon vaste et incertain, accentuant l’isolement des protagonistes…) se déroule selon une temporalité structurée chronologiquement. Les deux premiers jours sont le moment d’une tension de découverte mutuelle et d’installation du décor du drame qui se dessine. Le 3ème jour, la tension augmente avec la rupture du contact avec le monde extérieur. Une fissure commence à traverser l’unité des ravisseurs avec notamment le personnage de Omar, véritable maillon faible du trio terroriste. Sa différenciation a été déjà annoncée par le tic qui caractérise son regard : il cligne des yeux tout le temps. L’unité de façade est retrouvée avec la décision d’éliminer les otages. Moment crucial interrompu par la proposition du réalisateur de la troupe ayant demandé une ultime faveur aux terroristes : leur permettre de jouer une dernière fois la pièce qui leur a demandée tant d’efforts «  après vous pouvez nous tuer ; nous irons en enfer et vous, vous retournez à Casablanca ! » conclut-il dans un humour noir. Le leader des fanatiques accepte. Ce sera le tournant du drame avec au bout du compte un dénouement libératoire au prix  d’une victime expiatoire… mais ce ne sera pas celle qui était annoncée…
Le film séduit par sa fraicheur et sa spontanéité ; il est une nouvelle illustration d’un cinéma riche et diversifié dans ses thématiques et ses modes d’écriture.
Le film est une coproduction maroco-suisse ; scénario : Mohcine Besri ;  réalisation : Mohcine Besri ; durée 88 mn ;  interprété par : Omar Lotfi, Amine Naji, Abdenbi Elbeniwi, Jamila Elhaouni, Maria Lalouaz, Mostafa elhouari, Rabii Benjahail, Aissam Bouali
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