«Les montagnes marocaines : histoire, patrimoine et enjeux de développement »

Entretien avec Aziz Bentaleb, Directeur de Recherche au CEHE-IRCAM

Propos recueillis par Moha MOUKHLIS

«Les montagnes marocaines : histoire, patrimoine et enjeux de développement», ouvrage coordonné par Ali Bentaleb,  Aziz Bentaleb, Sabah Allach et Abdelkader Aït Lghazi, que nous devons au Centre des Etudes Historiques et Environnementales (IRCAM), porte des regards croisés sur les montagnes marocaines. Il s’agit des travaux du colloque organisé par le CEHE et le Laboratoire d’Histoire de la Faculté des Sciences Humaines de Beni Mellal, les 21 et 22 novembre 2019. Pour nous éclaire sur cette publication, nous avons posé tris questions à Aziz Bentaleb, Directeur de Recherche au CEHE-IRCAM.

Pourquoi avoir choisi la thématique de la montagne pour le colloque ?

Aziz Bentaleb : avant d’aborder le choix de  thème du colloque, il est nécessaire de cadrer notre sujet par la détermination du concept de montagne. Celle-ci est définie au Maroc comme une région d’altitude supérieure à  500m, constituée de reliefs aux pentes raides. Sa superficie délimitée sur la base des critères retenus s’élève à 187.740 km², soit près de 26 % du territoire national. Elle est composée de trois chaînes atlasiques (Anti, Haut  et Moyen Atlas) et le Rif.

La thématique de colloque s’inscrivait dans le domaine de recherche du centre des études historiques et environnementales CEHE), qui  intègre dans ses plans d’actions, l’approche de valorisation et la promotion éco-culturelle des ressources naturelles dans tous les espaces marocains amazighes, notamment les zones montagneuses, abritant un héritage patrimonial ancestral et riche au niveau socio-économique, culturel et histo-environnemental.

Cette rencontre qui a réuni la participation des chercheurs marocains et étrangers, issus des disciplines différentes, ont débattu la problématique de développement des zones montagneuses, sous divers angles, liés particulièrement à l’histoire, à l’environnement, à la sociologie et à l’anthropologie.

Le colloque était articulé en cinq axes ci-dessous :

– La recherche scientifique sur les montagnes : bilan et perspective

– L’espace montagnard dans l’histoire du Maroc : rôles et fonctions

– L’espace montagnard : patrimoine culturel et archetectural

– la societé motagnade et gestion des ressources

–  L’espace montagnard et défis de developpement territorial

A travers des conférences, des communications orales et des posters sur des thématiques riches et variées telles que «  histoire, patrimoine, architecture » et « gestion, conservation, valorisation des ressources et développement durable », cet événement présente l’occasion d’établir un état des lieux de quelques travaux de recherche réalisés, ou en cours de réalisation, sur les montagnes, d’identifier les perspectives de recherche, de gestion et de valorisation des montagnes marocaines et leurs lacunes, d’échanger les expériences avec d’autres chercheurs et acteurs qui s’intéressent à la valorisation des paysages culturels et des écosystèmes, et de développer de nouvelles coopérations tout en consolidant les partenariats existants.

En somme, ce colloque a pour objectif la contribution du CEHE dans la reflexion de réhabilitation des écosystèmes de montagnes à travers la sauvegarde de la culture locale, des savoir-faire de gestion des ressources…, et notamment de mettre le capital humain et immatériel de ces biotopes montagnards au cœur des stratégies nationales de developpement durable.

Quel est le poids de la montagne marocaine dans l’histoire du Maroc ?

La montagne marocaine joue un rôle primordial dans l’histoire marocaine, car elle contribue au maintien de l’unité nationale et la structuration de l’espace marocain, en créant un patrimoine antique, plein des traditions ancestrales. Cet environnement social constitue un espace de mémoire culturel historique, d’une portée capitale pour le développement du pays et l’épanouissement des populations de ces zones.

Plusieurs sites historiques et archéologiques éparpillés dans les montagnes marocaines (Haut-Atlas, Anti-Atlas, Moyen Atlas et le Rif), attestent la présence de l’homme et la vie humaine, entourée des histoires immémoriales de développement de la civilisation culturelle marocaine et la préservation de l’identité territoriale. La montagne peut donc constituer un terrain fertile de réécriture de l’histoire du Maroc, car elle a conservé les événements de divers faits historiques de création des Etats au Maroc, telle que celui des Almohades venus du Haut-Atlas occidental, et qui ont réussi politiquement à unifier le Maghreb, de la Tripolitaine jusqu’aux rives de l’Atlantique. C’est-à-dire, la montagne a contribué à travers les époques historiques à l’encadrement des mouvements politiques, socioéconomiques, religieux, et culturels, ce qui lui confère une place importante dans l’encrage de la civilisation marocaine avec leurs affluents culturels.

Ainsi, la  montagne est connue diachroniquement par un berceau historique des savoir-faire et de gestion des affaires locales ‘’gérées par la Jmaa’’, ainsi que par une résistance absolue (refuge) contre les conquêtes coloniales françaises et espagnoles (la résistance de Moha Ohamou  Zayani (Moyen-Atlas), Assou Oubasslam (Jbel Saghro), Abdelakrim Al Khattabi (le Rif), etc……). Les femmes participaient aussi de plusieurs manières à la résistance contre le colonisateur : elles  approvisionnaient, en eau et en nourriture, les combattants, chargeaient les fusils et parfois remplaçaient les morts au front.

En quoi consiste concrètement le patrimoine de la montagne marocaine ?

La montagne marocaine recèle des potentialités patrimoniales culturelles et naturelles. Il s’agit des richesses architecturales, artisanales et des paysages floristiques et écologiques très diversifiés (parcs nationaux, réserves de biosphères,,,,), qui constituent le pilier de développement de l’économie du patrimoine, et par conséquent  l’amélioration des conditions de vie des populations locales. Le patrimoine des montagnes qui est essentiellement amazighe, contribue au marketing des ressources patrimoniales et à la création d’attraction territoriale dans la zone. Tout cela conduit à la sauvegarde de la culture locale et la mise en valeur du patrimoine qui devient de plus en plus un objet attrayant des actions collectives diverses pour le développement territorial.

La montagne et ses espaces environnants commencent à être reconnus comme patrimoine de la nation. Mais le processus de patrimonialisation de la montagne au Maroc n’a pris de sens que dans le cadre du développement économique sectoriel lié essentiellement à la mise en tourisme de la montagne et à la préservation de la biodiversité sous forme d’aires protégées. C’est le tourisme qui a modifié les images stéréotypées de la montagne par le biais de la mise en scène des richesses locales, de l’implantation des infrastructures d’hébergement, de l’organisation de l’activité depuis les marchés extérieurs et l’acheminement des touristes vers des régions plus reculées avec des retombées socio-économiques importantes.

La touristification de patrimoine de la montagne  peut jouer donc un rôle non négligeable sur l’économie locale, et représente à l’heure actuelle la pièce angulaire de la stratégie de développement du tourisme rural au Maroc.

Quelle place est accordée à la montagne par les instances officielles en matière de développement ?

La problématique et les enjeux liés l’aménagement et le développement des zones de montagne, imposent une réflexion profonde sur les vecteurs de changement qui peuvent améliorer les conditions de vie des populations rurales et conduire à la conservation et le développement durable des ressources naturelles, avec une collaboration de tous les intervenants et la participations des citoyens selon la vocation de chaque zone et l’identité de la société.

En raison de la forte dynamique de la dégradation des ressources naturelles dans la montagne, le gouvernement marocain Depuis les années 60 a lancé plusieurs  programmes et projets pour le développement du monde rural, notamment en  matière d’infrastructures et d’accès aux services de base. Cependant, ces interventions (techniques en absence de l’approche sociale) sectorielles n’ont pas contribué à améliorer réellement les conditions de vie des populations locales, et n’ont pas permis d’affronter de manière efficace les problématiques naturelles spécifiques qui menacent ces zones, à savoir les effets du changement climatique et la pression anthropozoïque.

En général, la place accordée à la montagne par les instances officielles en matière de développement   reste limitée à des lois et des actions des eaux et forêts qui constituent la plus grande composante de la montagne. Le dahir du 10 octobre 1917 a constitué le point de départ d’une régulation des exploitations et des utilisations de la forêt, puis d’une délimitation de son espace.

A partir de l’an 2000, lors du débat National de l’Aménagement du Territoire, une réflexion sur le développement de la montagne a débuté. Dans ce cadre, plusieurs tentatives ont été menées, mais elles ont ciblé beaucoup plus le rural en général et très peu les zones montagneuses, les centres émergents et les villes existant dans ces zones.

Face à cette situation, une Stratégie Nationale de Développement de l’Espace Rural et des Zones de Montagne (SNDERZM) a été élaborée. Il s’agit d’une approche globale et coordonnée pensée en faveur de l’élément humain et des différentes activités et dynamiques locales. Elle vise à mieux valoriser les ressources spécifiques des territoires ruraux et fragiles (zones de montagne, oasis et de l’Arganier) tout en y renforçant les infrastructures et services de base.

Quelle est votre appréciation de l’intérêt porté à la montagne dans le domaine de la recherche en sciences humaines ?

L’intérêt porté à la montagne dans le domaine de la recherche en sciences humaines au Maroc est très important pour comprendre l’espace et les sociétés montagnardes. Cependant, les recherches abordant les problématiques de la montagne en sciences humaines sont très limitées, sauf quelques études traitées par les historiens, les sociologues et notamment les géographes. A ce titre, il faut impliquer davantage les institutions universitaires dans la recherche scientifique  sur les montagnes à travers des contrats-programmes avec les régions, et les établissements publics, privés et l’Etat, ainsi qu’à travers la mobilisation des moyens humains et financiers dans le cadre de la coopération internationale.

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