Lire

Cher lecteur potentiel, chose promise chose due : A la fin de mon dernier texte intitulé « Écrire », je vous ai promis que mon prochain écrit sera intitulé «Lire». Homme de parole, de peur de perdre ma crédibilité auprès de vous, je vous remets, en main propre, le texte en question, tout en espérant que vous trouverez un certain plaisir à le lire comme la joie et le bonheur avec lesquels je suis, en ce moment même, en train de l’écrire. Bonne lecture!

Le premier ordre divin donné au prophète Mohamed fut l’ordre de lire. Cher lecteur potentiel, dans le Coran, vous pouvez lire ces versets : « Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. Lis ! Ton Seigneur est le très Noble, qui a enseigné par la plume (le calame), a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas»… L’ordre de lire était-il un hasard ? Sûrement pas ! Dieu, le créateur de toute vie sur Terre et de tout l’univers, Dieu, le premier auteur, ordonna d’abord au prophète de lire ; Lire avant toute autre chose ; La lecture d’abord!

Pourrions-nous, cher lecteur potentiel, trouver une preuve plus évidente, plus convaincante que les paroles de Dieu ? L’immense importance de la lecture est claire et pure comme un ciel d’azur, comme la brillance du cristal. Seule la cécité mentale peut nous empêcher de la voir. Seul l’analphabète ignore l’importance de la lecture. Comment peut-il la connaître et jouir de sa lueur quand il est noyé dans l’obscurantisme, l’ignorance et l’analphabétisme.

Comment peut-il lire avec cet horrible handicap ? Il ne connaît même pas l’alphabet, comment peut-il connaître les mots et saisir leur sens ? Pour lui, les mots sont des signes étranges, incompréhensibles et mystérieux… A mon sens, l’analphabète souffre du plus horrible handicap qui soit. Je préfère être manchot ou unijambiste, mais pas analphabète! Je ne peux imaginer ma vie sans cette fabuleuse faculté de lire. Mon Dieu, ce serait affreux ! Être analphabète, vivre comme une bête, plutôt mourir!

Cher lecteur potentiel, je dois vous avouer que j’étais privilégié en trouvant une place à l’école publique gratuite avec ses maîtres honnêtes, probes, généreux et patients, qui m’ont appris à lire et à écrire, me prodiguant le plus merveilleux des présents : L’outil fabuleux, la clé magique qui ouvre la porte de l’univers du savoir et chasse les ténèbres de l’ignorance. J’étais chanceux d’avoir un père conscient de l’importance vitale et primordiale de la scolarité. Son premier souci était de m’assurer les conditions propices et idéales à l’étude. Il suait, trimait comme un forçat pour que je ne manque de rien et puisse étudier et apprendre dans les meilleures conditions. Il se pliait à toutes mes volontés, ne me refusait rien, me permettait.

tout. Il me gâtait et me choyait comme un petit prince pourvu que j’étudie sérieusement, que je sois un bon élève, sérieux et studieux. Dieu merci, je ne l’ai jamais déçu ! Certes, il était analphabète, mais ne voulait surtout pas que son fils aîné le soit aussi. Lui, il a appris à l’école de la rue. Les déboires, les déceptions, les désillusions, les faux espoirs, les gifles et les griffes de la vie lui avaient appris tant de choses. Il était sage, intelligent et clairvoyant. Il était simple, humble et bon vivant. Il était intègre et honnête. Il ne touchait jamais à l’argent sale. Il se contentait du peu qu’il avait et avait horreur de faire du crédit. Il était croyant et pratiquant tout en respectant les croyances des autres sans intolérance et sans haine aucune. Il était l’archétype du bon et honnête citoyen. Son péché mignon : le cinéma. A peine âgé de cinq ans, je l’accompagnais aux salles obscures. Il m’offrait une bonne bouteille de limonade bien fraîche et nous plongions dans la féerie du grand écran… Pourtant, une chose primordiale lui manquait terriblement : Il ne savait ni lire ni écrire. Il n’avait pas eu la possibilité d’aller à l’école puisqu’il n’y avait pas d’école au bled de ses origines paysannes. Petit, il était berger et ne savait même pas ce que voulait dire le mot «école» ! C’est pour cela qu’il ne voulait en aucun cas que son fils aîné soit comme lui. Il tenait à ce que j’apprenne par tous les moyens. Pour lui, c’était une question vitale… Je me rappelle comme si c’était hier matin, encore petit.

élève à l’école primaire, je lui lisais les lettres que lui envoyaient ses frères (qui ne sont autres que mes oncles paternels) du bled. Je lui écrivais aussi les réponses qu’il leur envoyait. J’étais fier d’être son petit secrétaire et je gardais bien les secrets de ses relations avec ses frères et ceux d’autres affaires ! Lui aussi était si fier d’avoir un fils instruit et chaque fois qu’il avait l’occasion de l’exprimer, il ne se gênait guère. Mais le jour où il était le plus fier de son rejeton, c’était quand j’ai réussi à l’examen de sortie du C.P.R et devenais officiellement professeur de français au premier cycle secondaire.

Depuis ce jour-là, il ne m’appelait plus que par ce joli mot arabe que j’entends presque chaque jour sur les lèvres des gens qui s’adressent poliment à moi. Ce mot, je l’ai entendu toutes ma vie ; ce mot plein de respect et de révérence, n’est autre que «Oustad !» (Professeur !)… Je dois avouer que je me sens un peu fier quand on m’appelle «Oustad»… Je disais donc que mon géniteur était fier comme un paon en appelant ainsi son enfant. Il l’était spécialement lorsqu’il s’adressait à moi devant témoins, insistant sur le mot «Oustad», comme s’il voulait leur faire comprendre que lui, simple analphabète, avait réussi à bien élever et éduquer son enfant jusqu’à ce qu’il devienne professeur et apprenne lui aussi aux enfants à lire et à écrire pour combattre ce fléau social dont il était l’une de ses innombrables victimes.

Repos en paix, cher et adorable père ! Mission accomplie !

Mostafa Houmir

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