Loubna Abidar, «la dangereuse»

Réplique : Elle vient de sortir un livre autobiographique

Son livre autobiographique bénéficie d’une campagne de promotion digne d’un prix Goncourt. Loubna Abidar, la star des médias, «née» il y a un an grâce à l’interdiction stupide du film de Nabil Ayouch, Much loved, accumule en effet les interviews et les passages sur de prestigieux plateaux. Comme par exemple cette matinale où elle partage la parole avec Jack Lang, invités tous les deux de France Culture. Elle a été en outre présente  à l’édition Cannoise de cette année.

Gloire et célébration qu’elle vient de ponctuer, dans la bonne tradition française, par un livre intitulée La dangereuse, reprenant le sobriquet arabophone qui avait accompagné la rocambolesque campagne haineuse contre le film ; des malins lui avaient fabriqué un surnom «Abidar/ khatar». Un paronyme entré désormais dans la postérité.

Quel fabuleux destin que celui de cette jeune marrakchie, propulsée star internationale, un peu à l’insu de son plein gré. Elle vient de vivre une année pleine de rebondissements comme dans un scénario bien ficelé. En fait, il s’agit bel et bien d’un scénario. Dans beaucoup de ses séquences, on sent le fabriqué, le stéréotype, la manipulation et la récupération. Les dessous de carte commencent à se dévoiler.  Maintenant par exemple et grâce au livre on connaît désormais sa «plume» qui n’est autre qu’une grande signature du journal Le monde, Marion Van Renterghem. C’est elle qui  l’a aidée à rédiger ses mémoires. Loubna Abidar n’est pas très portée sur l’écriture ; son français, très approximatif, amuse la galerie. Sur ce plan aussi, elle bouscule les règles de l’establishment.

Cependant, quels que soient les rebondissements probables, au-delà des contingences, du montage politico-médiatique de cette opération ; au-delà  des petits calculs des uns et des autres, son récit autobiographique mérite d’être découvert, lu et respecté.  Mémoires d’une geisha ou presque.

Loubna Abidar se livre. Sincère et digne. Dans les entretiens qu’elle accorde aux différents médias, la comédienne marocaine a adopté une ligne de conduite et un registre de discours très professionnels. Cela n’a rien à voir avec les sorties hystériques et haineuses de sa période Much loved ou avec  les attaques maladroites contre certains réalisateurs marocains. On dirait que les épreuves qu’elle a subies l’on aidée à gagner en maturité…à évoluer dans le bon sens.  Elle est en train de développer une nouvelle image. Peut-être que sa nouvelle situation d’exilée « légale », comme  elle dit, lui a assuré un certain apaisement. On peut y voir également les conséquences d’un coaching réussi de ses ami(e) français(e)s.

L’essentiel est qu’une nouvelle Loubna Abidar est née, sereine et paisible. Et engagée. Cela devrait interpeller ses concitoyens marocains et les inciter à revoir leur attitude de rejet et d’exclusion qu’ils avaient adoptée à son égard. Prôner   une position d’écoute…sans a priori ni préjugés. Car Loubna nous renvoie l’image de  l’altérité radicale qui met à l’épreuve notre disponibilité, notre appétit de l’autre.  C’est d’abord une femme qui s’exprime. Une femme issue du peuple d’en bas. Une dominée qui brise les carcans de la domination aux visages multiples. Une prise de parole inédite car souvent c’est un cri qui ne parvient pas à sortir du linceul du silence imposé par l’hypocrisie sociale aux consœurs de Loubna ; celles qui n’ont pas eu sa chance. Elle fournit des explications sensationnelles sur son enfance marquée par un traumatisme originel ; elle a été violée par la personne la plus proche d’elle. Son adolescence  a été vécue dans la rupture du giron familial avec le père exclu. Et puis la grande aventure de la vie, tumultueuse et sinueuse…avec comme résultat une fille. Puis la rencontre avec le cinéma. Et l’immense malentendu que cela a engendré dès son premier grand rôle. Une expérience qu’elle assume et revendique comme partie d’un combat. Celui de dire le non-dit ; de dévoiler le non-visible.

Un miroir grossissant que les fanatiques ont tout fait pour briser. Loubna Abidar leur répond cette fois en puisant dans le background familial, en se référant à un islam populaire ; celui de son grand-père qu’elle préfère citer au-delà du père violent et violeur et qui renvoie au viol symbolique qu’elle subira en tant que comédienne par un Père virtuel et néanmoins réel. Car c’est lui qui continue à dicter la norme, avec la bénédiction de la cabale de faux dévots.

Mohammed Bakrim

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