Pour une réforme post-2022 en France
En pleine polémique sur le « laxisme » supposé de la justice, Emmanuel Macron lance lundi à Poitiers des « Etats généraux » qui devront élaborer des propositions pour « remettre à plat » le système judiciaire pour 2022 et au-delà, un legs pour le prochain quinquennat.
Comme pour la santé ou la sécurité précédemment, cet exercice va réunir pendant plusieurs mois, dans des groupes de travail, tout l’écosystème de la justice: juges, procureurs, greffiers, auxiliaires, avocats, mandataires huissiers, surveillants pénitentiaires… ainsi que des citoyens volontaires, selon l’Elysée.
Ces Etats généraux avaient été réclamés début juin par les deux plus hauts magistrats de France, Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, le procureur général près la Cour de cassation, inquiets des « mises en cause systématiques de la justice », critiquée pour sa lenteur et accusée de laxisme, par des syndicats de police et des responsables politiques.
Un malaise exacerbé à la suite d’une grande manifestation, le 19 mai, de dizaines de milliers de policiers devant l’Assemblée nationale, en présence notamment du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et de nombreux élus LR et RN, mais aussi de certaines figures de gauche, dont Anne Hidalgo et Yannick Jadot, candidats pour 2022.
Au sein des syndicats de magistrats, les Etats généraux sont vus avec circonspection.
« C’est du pur affichage. On en attend beaucoup de mousse, beaucoup de communication politique, ce qui est pour nous fatiguant, voire assez méprisant », a réagi lundi Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche) sur RMC.
Contactée par l’AFP, Cécile Mamelin, la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), estime que « le timing n’est pas bon » et que cette consultation « arrive trop en fin de quinquennat pour être prise au sérieux ».
« Nous avons été tenus au courant de rien et on ne se fait pas trop d’illusions sur le résultat final », a-t-elle dit.
Les Etats généraux interviennent en pleine période de tensions et de défiance entre une partie de la magistrature et le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, mis en examen en juillet pour « prise illégale d’intérêts ».
Le ministre est soupçonné d’avoir profité de sa fonction pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il a eu maille à partir quand il était avocat, ce qu’il réfute.
Au procès en lenteur et en laxisme intenté à leur institution, Mme Arens et M. Molins ont répondu en dénonçant une justice « sous-budgétée », très loin du niveau de l’Allemagne. Un argument réfuté par l’Elysée, qui insiste sur la hausse du nombre de magistrats depuis 2017 (+650) et surtout celle de 33% du budget du ministère sur le quinquennat.
A Poitiers, Emmanuel Macron, accompagné du garde des Sceaux, doit prononcer un discours et échanger avec des professionnels, des membres des forces de l’ordre, des étudiants et des citoyens.
Ces Etats généraux, a promis la présidence, seront organisés en toute indépendance de l’exécutif. Les consultations prévues dans toute la France seront pilotées par une commission indépendante, présidée par le haut fonctionnaire Jean-Marc Sauvé, à la tête de la commission sur la pédocriminalité dans l’Eglise.
Outre Mme Arens et M. Molins, cette commission réunira les présidents des commissions des lois de l’Assemblée et du Sénat pour assurer une approche « transpartisane », a précisé l’Elysée. Elle formulera fin février des propositions qui seront remises à l’exécutif.
La Commission aura « carte blanche » pour « une remise à plat totale », promet l’Elysée.
Quant au sort des propositions qui en émergeront, la présidence assure que « tout ce qui pourra relever du règlement sera porté le plus vite possible, avec pragmatisme. Le garde des Sceaux sera chargé de manager cela jusqu’aux élections ».
En revanche, puisque l’Assemblée aura terminé sa session fin février, un mois et demi avant la présidentielle, tout ce qui relèvera de la loi, y compris ce qui nécessite un financement budgétaire, devra attendre le prochain quinquennat.
Ces propositions pourraient donc fournir à Emmanuel Macron une ossature de programme pour un éventuel deuxième mandat, même si l’Elysée s’en défend. « Ce n’est pas le président qui a demandé ces Etats généraux », insiste une conseillère.
Elles rejoindront celles que le président commence à égrener pour une échéance allant au-delà d’avril 2022, comme le plan d’investissement France 2030, le projet de loi de programmation et d’orientation pour la sécurité intérieure (Lopsi) de 2022 ou l’expérimentation à Marseille des « écoles du futur ».