Membre de l’amicale Hassania des Magistrats et Professeur vacataire à la faculté de Droit

De la Direction des enquêtes entre le Parquet et la police judiciaire. Quelles interactions ?

Rédigé par Zohair Bel Kheider

La police judiciaire constitue l’un des rouages indispensables de la procédure pénale. Et au vu des missions importantes qui leur sont accordées, un contrôle d’une autorité supérieure est exigé afin d’éviter toute atteinte aux droits et libertés des citoyens. Cette autorité est représentée par les magistrats et plus précisément des magistrats du ministère public.

La question non négligeable des moyens, l’amélioration des garanties de neutralité et d’impartialité de l’action de la police judiciaire, nécessairement placée sous l’influence du pouvoir du chef hiérarchique, implique fondamentalement que les membres du parquet, organe chargé du contrôle, soient, eux-mêmes, dans une situation leur permettant de résister aux pressions dont ils peuvent faire l’objet, directement ou indirectement.

Ces réformes institutionnelles devraient être de nature à permettre, en toute hypothèse, la garantie d’un meilleur contrôle du parquet sur la police judiciaire, cependant demeure également la nécessité d’une implication forte des magistrats des parquets qui devrait intégrer davantage les fonctions de direction, de contrôle et de surveillance de la police judiciaire. Ces fonctions devant être perçues comme une mission essentielle planifiée et faisant l’objet de comptes-rendus réguliers dans les rapports d’activité.

La confiance qui existe naturellement entre les magistrats du ministère public et les officiers de police judiciaire, eux-mêmes soumis à de fortes contraintes, ne doit pas faire obstacle à l’exercice de contrôles, même si, faute de temps, ceux-ci ne peuvent qu’être ponctuels.

Cependant, ce contrôle du parquet sur la police judiciaire n’est point absolu, car bien évidemment, l’officier de police judiciaire a une double casquette : tantôt il exerce des activités judiciaires soumises à la direction et la surveillance de son supérieur judiciaire, à savoir le ministère public, tantôt il exerce des activités administratives soumises à la direction et au commandement de son chef hiérarchique. Et pour bien clarifier cette double subordination, il convient donc de faire distinction entre la police administrative et la police judiciaire.

Police administrative et police judiciaire, sont intimement liées. Cependant quelles sont les convergences et les divergences entre elles?

La police administrative a pour but la recherche générale de l’ordre public. La police judiciaire a pour mission de découvrir les infractions, d’en rechercher les auteurs, de les confier aux tribunaux. La police judiciaire agit donc en application de règles de procédure pénale, pour l’application ultime du droit pénal, alors que la police administrative n’est encadrée, dans le champ potentiellement vaste de ses interventions, que par le droit administratif. De là vient la nécessité d’un étroit contrôle des mesures de police administrative, ainsi qu’une question de compétence.

Cependant, il est souvent difficile de distinguer entre la police judiciaire et la police administrative. En effet, la police administrative n’est pas toujours préventive, elle intervient par exemple en matière d’insalubrité avec l’objectif de faire cesser des troubles à l’ordre public, en usant au besoin de pouvoirs de sanction. La police judiciaire, quant à elle, est parfois préventive. Comme le remarque J. Moreau : «  l’idée qui associe prévention des troubles menaçant l’ordre public et police administrative n’est pas fausse : c’est une approximation, non un critère définissant le critère de distinction est totalement finaliste. »

Le ministère de la Justice en 1957 afin de déterminer le seuil de la surveillance du ministère public aux activités de la police judiciaire a annoncé une circulaire il s’agit de circulaire numéro 25 du 19 décembre 1957 portant sur la séparation entre les autorités-police administrative-police judiciaire.

Le parquet n’a pas donc l’attribution de surveiller les actes des officiers de police judiciaire exerçant les actes de police administrative. Par exemple, le procureur du Roi ne peut donner ses instructions à la gendarmerie royale pour l’organisation de la circulation routière ni pour faire des actions préventives.

Ainsi, le Dahir sur la Gendarmerie Royale et le dahir de la direction générale de la Sûreté Nationale disposent clairement que l’exercice de la police judiciaire est soumis au ministère de la Justice et au ministère de l’Intérieur concernant la police administrative.

Nous estimons que cette différence n’est pas vraiment claire bien que le ministère public s’intéresse à l’exécution de la politique criminelle, chose qui n’est pas du ressort de la police administrative (qui n’est intéressée que par la politique sécuritaire et règlementaire). Cependant l’objectif entre les deux autorités est commun, il s’agit de prévenir et abolir la criminalité. Une question primordiale s’instaure dans ce cadre politique criminelle et politique sécuritaire. Quels rapports ?

Pour bien décortiquer cette intersection entre Parquet et chef hiérarchique de la police judiciaire, il convient d’abord d’identifier et définir le supérieur hiérarchique.

Le code de procédure pénal ne prévoit aucune disposition concernant le supérieur hiérarchique. Plusieurs questions se posent alors. Le supérieur hiérarchique est-il un officier haut gradé du corps ou bien un responsable sécuritaire ?

D’après des recherches effectuées au sein des différents services de la police judiciaire et de la gendarmerie, nous avons trouvé le terme du « Directeur d’enquête. »

C’est Vrai que le récepteur, lorsqu’ il entend le terme Directeur d’enquête, pense automatiquement au procureur du Roi qui est chargé de diriger et surveiller l’enquête préliminaire. Or, en pratique, il y a un responsable sécuritaire qui dirige de près cette enquête.

Ce dernier peut être défini comme un officier de police judiciaire chargé de contribuer à la conception, la direction et/ou au commandement d’une entité en charge d’enquêtes de police judiciaire.

En pratique, si l’enquête est faite pour un crime de sang (meurtre par exemple) ; dans ce cas- là, c’est le chef de la brigade criminelle au sein du service de police judiciaire qui sera le Directeur d’enquête et pour la gendarmerie royale, c’est le chef de la brigade judiciaire ou la section judiciaire qui sera le chef d’enquête.

Après avoir défini et déterminé le chef d’enquête, il est temps de cerner les limites de ce dernier à diriger l’officier chargé de l’enquête.

Dans le jargon policier, le ministère public est considéré comme étant le parapluie de la police judiciaire. Cette expression est très courante chez les officiers, elle montre l’aspect protecteur du parquet envers la police judiciaire. C’est-à-dire que la justice garantit l’indépendance et l’autonomie de l’officier qui ne peut à cet effet recevoir aucun ordre ou instruction contraire à ceux du ministère public ou à sa conscience professionnelle.

La fameuse affaire Foll en France est un exemple concret de l’intervention du chef hiérarchique aux actes de l’officier de police judiciaire. La fameuse affaire Foll qui a été un sujet débat en France et qui a soulevé la question des actes de police judiciaire entre la direction du parquet et le pouvoir direct du supérieur hiérarchique, raconte l’histoire d’Olivier Foll, patron de la police judiciaire parisienne, coupable d’avoir refusé en 1996 assistance de la police judiciaire au juge Halphen lors de la perquisition au domicile du Maire de Paris. Le ministre de l’intérieur mis au courant a confirmé le refus. La chose a été extraordinairement médiatisée à l’époque et est devenue un sujet débat devant les deux chambres parlementaires.

En effet, l’article 126 de la Constitution prévoit que la police judiciaire, dans ses fonctions d’enquête sur les infractions ainsi que de recherche et d’arrestation des contrevenants, dépend (de à effacer) du pouvoir judiciaire.

Cette dépendance fonctionnelle n’entraîne cependant aucune dépendance organique. Pour limiter les inconvénients liés à la distinction entre dépendance organique et dépendance fonctionnelle, en France, la loi organique sur le pouvoir judiciaire prévoit qu’il est impossible de décharger ou de mettre à l’écart un ( un à effacer) officier de police tant qu’il n’a pas achevé sa mission, à moins que l’autorité judiciaire ne le décide ou ne l’autorise.

Cette dernière disposition n’existe pas malheureusement dans notre législation, en pratique malgré que le ministère public peut designer nominativement un officier pour opérer une enquête. Il se peut que le responsable sécuritaire le décharge de cette affaire en le déplaçant d un service à un autre sans tenir compte de l’avis du Parquet.

Après avoir donné un diagnostic sur ce « télescopage » entre le Parquet et le chef hiérarchique dans la direction des enquêtes et afin de clarifier cette friction, nous allons essayer de donner à cet effet quelques propositions :

À la suite de ces constatations, nous proposons, sans envisager le rattachement de la police judiciaire à la présidence du ministère public, de « clarifier les rapports entre l’Exécutif et le pouvoir judiciaire ».

Nous proposons ainsi que soient nettement distinguées, dans l’organisation administrative, les fonctions de police administrative et les fonctions de police judiciaire :

• L’interdiction faite aux chefs hiérarchiques par un texte clair de loi de s’immiscer dans les enquêtes judiciaires.

• La vocation exclusive du président du ministère public et des Parquets à s’exprimer sur l’activité de la police judiciaire; (C’est-à-dire que le président du ministère public doit être le seul habilité à répondre à toute question concernant l’activité générale des services de police judiciaire dans chaque département. Ce rôle doit incomber aux procureurs du Roi).

• La nomination d’un magistrat à la tête de la police judiciaire;(C’est un magistrat de l’ordre judiciaire qui devra être nommé à la tête de la Direction Centrale de la Police Judiciaire)

• La création d’une Inspection Générale de la Police Judiciaire, (cette inspection relèvera exclusivement du Président du ministère public et comprendra des magistrats, des policiers et des gendarmes. Elle aura compétence exclusive pour toute investigation ou enquête mettant en cause un O.P.J. ou un A.P.J. dans l’exercice de ses fonctions ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions).

• Les officiers de police judiciaire ne doivent être mutés ou promus sans consultation et information du ministère public.

• Les services de police ne doivent être déployés, restructurés, départementalisés sans que les autorités judiciaires soient associées à la décision.

• L’exercice par l’autorité judiciaire de la discipline de la police judiciaire : La discipline des O.P.J. ou des A.P.J. relèvera de la seule compétence de l’autorité judiciaire; la DGSN ou la Gendarmerie n’intervenant que pour tirer les conséquences administratives de la décision des autorités judiciaires (suspension, rétrogradation, révocation), le judiciaire tenant le disciplinaire en l’état).

• Le contrôle par le magistrat des effectifs de police judiciaire mis à sa disposition, (lorsqu’une enquête préliminaire est engagée ou une instruction ouverte, les services compétents de police ou de gendarmerie devront mettre à la disposition du magistrat du Parquet ou du juge instructeur une liste nominative des O.P.J. affectés à cette affaire. Le nombre de ces fonctionnaires ne pourra être réduit qu’avec l’accord du magistrat intéressé.)

• Comme dans la législation française, l’instauration d’un juge détaché auprès de la DGSN chargé de veiller à la coordination entre l’appareil sécuritaire et le pouvoir judiciaire.

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