Nouvel appel pour la révision intégrale du code de la famille

Abrogation de la règle injuste du Ta’sib

M’Barek TAFSI     

Dans le cadre du débat en cours autour de la question de l’héritage par Ta’sib dans la perspective de la révision intégrale et en profondeur du code de la famille, le Parti du Progrès et du Socialisme a profité de la célébration de la Journée internationale des femmes pour organiser, mardi soir en son siège national à Rabat, une conférence sous le thème : « Ta’sib dans le droit successoral, entre l’invariable et le variable ».

Ont pris part à cette rencontre Soumaya Mouncif Hijji, membre du bureau politique du PPS et présidente de la commission de l’égalité et des droits des femmes, Rachid Jarmouni, professeur de sociologue à l’Université Moulay Ismail, Mohamed Abdelwahab Rafiki, chercheur dans les études islamiques et Said El Kihel, chercheur dans les organisations de l’Islam politique et les questions du terrorisme.

Au terme des débats qui se sont déroulés sous la modération de Khadija El Baz, membre du BP du PPS, les participants ont appelé à la révision intégrale et en profondeur du code de la famille de 2004 et à l’abrogation pure et simple de cette règle d’héritage du Ta’sib,  jugée « discriminatoire, injuste, violente et cruelle » à l’encontre des orphelines et des veuves, empêchées de disposer de l’intégralité du patrimoine d’un père après sa mort, lui qui a trimé toute une vie pour permettre à ses enfants de vivre dans la dignité.

Selon cette règle du Ta’sib, les héritières n’ayant pas de frère sont obligées de partager par exemple leurs biens avec des parents masculins du défunt, même éloignés (oncles, cousins…), et ce sans aucune contrepartie ou contribution de leur part.

C’est ainsi qu’il est nécessaire pour le législateur d’œuvrer pour adapter les législations nationales dont le code de la famille avec la Constitution de 2011 et les conventions internationales ratifiées par le Maroc, ont souligné tour à tour, Soumaya Hijji et Said El Kihel.  

Ils ont rappelé à cet égard que le PPS a le mérite d’avoir fait, depuis sa création il y a plus de 80 ans, de la cause de la femme, l’une de ses priorités dans son projet sociétal.

Pour le PPS, l’on ne peut pas parler de droits de l’homme sans droits de la femme, qui doit jouir des mêmes droits que l’homme, compte tenu du rôle qu’elle joue dans l’édification du Maroc de la démocratie, de l’égalité, de la dignité et de la justice sociale, a souligné la militante Soumaya Hijji.

D’après elle, le code de la famille, dont la dernière révision remonte à 2004, avait constitué en son temps une véritable révolution. Il avait consacré plusieurs acquis sur la voie de la promotion de la parité et l’égalité homme-femme à tous les niveaux.

Elle a toutefois fait remarquer qu’au niveau de la pratique, plusieurs défaillances et déviations qui entravent la saine application de ce code de la famille sont apparues et qu’il importe aujourd’hui de corriger, à travers une révision profonde et intégrale de ce texte. Elle a recommandé pour ce faire de faire preuve d’innovation en se fondant sur les règles de l’Ijtihad éclairé dans le cadre d’une interprétation évoluée des finalités de la Chariâ.

Selon elle, la révision du code de la famille en vigueur s’impose car il est dépassé par les mutations profondes de la société. Il est aussi en deçà des aspirations des mouvements de défense des droits de l’homme à un texte moderne qui réponde à ses questionnements.

Il s’agit par exemple de mettre fin une fois pour toutes au mariage des mineures ou par la Fatiha et à d’autres règles discriminatoires à l’égard de la femme et préjudiciables aux enfants dont l’héritage par voie de Ta’sib.

Si cette règle du Ta’sib trouvait, auparavant, sa justification dans la place central du chef de la tribu dans le fonctionnement de la société et le rôle du grand-père qui s’occupait de l’entretien de toute la famille y compris les veuves de ses enfants et ses petits-fils, elle ne répond plus aux besoins de la famille moderne, réduite aux parents avec leurs enfants, a-t-elle expliqué.

Pour Said El Kihel, chercheur dans les organisations de l’Islam politique et des questions du terrorisme, qui est revenu sur le mémorandum de la Coordination de la parité, le PPS a le mérite d’avoir fait de la révision du code de la famille l’une de ses préoccupations majeures et ce dans le cadre de la réforme du code du statut personnel.

La coordination de la parité a élaboré un mémorandum, à travers lequel elle recommande la révision du code de la famille et plus particulier du droit successoral dont le Ta’sib. Elle s’est fondée pour ce faire sur la constitution, tout en réclamant l’adaptation des législations nationales et du code de la famille avec les conventions internationales ratifiées par le Maroc, a-t-il ajouté. Elle a également axé son attention sur le côté religieux et présenté des alternatives fondées son l’Ijtihad pour réclamer l’égalité dans l’héritage entre les hommes et les femmes.

Il a également indiqué que le mémorandum de la coordination recommande de procéder de manière progressive dans le but d’éviter tout choc avec la société et de proposer des solutions aux problèmes des familles qui essayent de passer outre la loi.

Selon lui, les gens recourent actuellement à différents formules pour contourner la loi en confectionnant par exemple des contrats de vente fictive à leurs enfants de sexe féminin. Ils essayent de les protéger des Açabas sans scrupules qui viennent réclamer, après leur mort, leur part de l’appartement où ces enfants ont grandi. De tels Açabas n’hésitent pas de les expulser dans la rue où les orphelines risquent de terminer leur vie en vivant de la mendicité ou d’autres activités rétrogrades.

Le mémorandum de la Coordination recommande entre autres d’accorder la priorité au testament avant de passer à l’abrogation du Ta’sib, qui n’est cité nulle part dans le saint Coran. Il n’est cité que dans un Hadith faible et fort contesté.

Il a également estimé nécessaire pour les organisations de défense des causes de la femme au sein des partis politiques et les associations de coordonner leurs efforts dans le but d’élaborer et de présenter un mémorandum commun qui aura du poids auprès des décideurs.   

Le mémorandum en question évoque aussi la règle de la restitution (Radd). Quand il ne s’agit que d’héritières sans frère, elles perçoivent leurs parts de droit, mais l’autre part restante doit leur être restituée aussi, selon cette règle, dont la mise en œuvre remonte au temps des compagnons du Prophète et dans le rite malékite.

Il a cité des cas historiques tirés de cette première époque de l’Islam et des Hadiths qui donnent à cette règle de la restitution toute sa portée. C’est ainsi qu’il a fait état du cas d’une femme avec un enfant « illégitime », qui a hérité de l’ensemble du patrimoine de son mari décédé au lieu du 1/6. Faisaient partie des califes et des compagnons du Prophète qui ont appliqué cette règle de la restitution Omar Ibn El Khattab, Ali Ibn Talib, Othmane Ibn Affane et bien d’autres. Plusieurs Imams ont également insisté sur la portée de cette règle.

C’est pourquoi, le mémorandum en question recommande d’adopter cette règle de la restitution en remplacement de celle du Ta’sib comme c’est le cas dans plusieurs pays (Tunisie, Jordanie, Syrie). Chez les chiites, la règle du Ta’sib est rejetée, car elle a été à l’origine de leur drame. C’est cette règle qui les a éliminés du califat. Seuls les Ahl Sounna applique cette règle du Ta’sib. 

En attendant l’abrogation du Ta’sib pure et simple, il importe, selon El Kihel, de protéger le testament, le don et la charité, qui doivent être « justes et équitables » contre tout recours pour annulation intenté par les « A’çaba ».  

Outre le travail au foyer, à travers lequel elle contribue à l’entretien et à l’enrichissement de la famille, les femmes méritent amplement d’être rétribuées pour l’allaitement des enfants.

Parlant des femmes divorcées, un verset du Saint Coran indique que si elles « allaitent (l’enfant né) de vous, donnez-leur leurs salaires » (Sourate Talak). Si la femme refuse d’allaiter l’enfant c’est au père de procurer une nourrice qu’il paie pour ses enfants.

A présent, il est donc nécessaire d’actualiser la loi dont le code de la famille pour tenir compte de la contribution réelle de la femme marocaine dans le développement du pays, a-t-il ajouté, se disant convaincu que le moment est plus jamais propice à une telle réforme visant à promouvoir l’égalité homme-femme en héritage, malgré l’opposition attendue des islamistes.

Abondant dans le même ordre d’idées, le chercheur Abdelwahab Rafiki a indiqué que le principe de l’Ijtihad n’est admis que dans les questions non tranchées comme l’héritage dont Ta’sib, qui n’a aucun fondement dans le Saint Coran.

C’est ainsi que la problématique de l’héritage a été débattue immédiatement après la mort du Prophète et a fait l’objet depuis cette époque de toute une série d’Ijtihad (s) pour tenter de résoudre les problèmes qui se posent.

Ceux qui avancent « qu’il n’y a pas de place à l’Ijtihad en présence d’un texte », ne se fondent pas non plus sur un quelconque verset coranique pour étayer leur propos.

C’est dans un souci de préserver leurs privilèges, que certains Fokahas défendent une telle position, a-t-il estimé.

S’agissant du Ta’sib, a-t-il dit, il n’y a pas lieu de procéder progressivement. Il faut l’abroger immédiatement, car il ne se fonde sur aucun verset coranique et il illustre la discrimination injuste faite aux femmes. Il est injuste, inéquitable, inutile et cruel, a-t-il martelé. Il va même à l’encontre de la finalité de l’Islam qui a tenu à rendre à la femme sa dignité et la faire sortir de la situation de soumission durant la période de préislamique.    

De son côté, Pr. Rachid Jarmouni a affirmé que la société marocaine a subi de grandes transformations et indiqué à titre d’exemples que le nombre des familles monoparentales dirigées par une femme sont en nette progression (plus de 1,2 million).

Pour ce qui est de la problématique du Ta’sib, les avis divergent, a-t-il dit, entre ceux qui sont attachés au statu quo pour préserver leurs privilèges et la stabilité de la famille et les défenseurs des droits de la femme qui militent pour l’émancipation de cette dernière comme ce fut le cas en 2004.

Selon lui, la révision du code de la famille et l’abrogation de la règle du Ta’cib concernent en fait toute la société.

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