«Passer d’un stade de conscience abstraite à une conscience concrète»

Abdeslam Seddiki, ou la  lecture militante

Dans cette série d’articles, professeurs universitaires et intellectuels de tous bords, relatent leur relation avec l’univers de la lecture. Chacun,  à travers son prisme, nous fait voyager dans le temps, pour nous montrer comment un livre a influencé sa trajectoire académique et même personnelle, en lui inspirant une vision du monde.

Puisque la question qui m’a été posée consiste à indiquer un seul et unique livre qui m’a marqué le plus dans ma vie, et non plus, je m’en tiens à cette exigence. En effet, dans la vie d’une personne, se déroulent devant ses yeux des événements allant du tragique au splendide. Le destin n’est jamais connu à l’avance : il est le produit d’un certain nombre de circonstances et de faits hasardeux. On fait avec l’imprévu. Tout se passe comme un voyageur qui prend un chemin pour la première fois.

Ma vie ne diffère pas de ce cheminement dont j’ai tracé en quelques mots les contours. Chaque jour qui passait apporta du nouveau et constitua une accumulation en termes d’idées, d’expériences, de savoir (savoir-faire et savoir-être). Je pourrai en disserter longuement et en parler à volonté.  Mais je me limite à cette « rencontre » qui a en quelque sorte fait basculer ma vie dans le bon sens s’entend. Puisque c’est bien cette rencontre qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

Cela remonte à 1974 alors que j’étais en troisième année de licence en sciences économiques. On devait étudier le livre d’Aziz Belal : «l’investissement au Maroc (1912-1964) et ses enseignements en matière de développement économique», comme complément à la matière PSD (Problèmes structurels de développement) que dispensait l’auteur aux étudiants. Bien sûr, il y a l’œuvre et il y a l’homme. Et c’est difficile de faire la séparation entre les deux.

Ce livre magistral, qui est l’objet d’une thèse d’Etat, bien qu’écrit au début des années 60 du siècle dernier, n’a rien perdu de son actualité : à la fois théorique et pratique. Pour la première fois, j’ai pu mesurer les  méfaits de la colonisation sur la société marocaine contrairement aux allégations des colonisateurs qui s’évertuaient de leur «mission civilisatrice». J’ai pu également réaliser la nécessité de se doter d’une stratégie de libération nationale et d’émancipation du peuple en comptant sur nos propres moyens et en mobilisant nos forces vives.  Moi qui suis issu d’une famille de Résistants, je réalise parfaitement le sacrifice qu’on doit consentir pour arracher notre liberté et nous soustraire à l’emprise coloniale et néocoloniale.

Lentement mais sûrement, je me suis retrouvé au cœur de ce combat pour passer d’un stade de «conscience abstraite» à une «conscience concrète» : celle qui consiste à lier la théorie à la pratique et à lutter contre  toutes les formes d’injustice  et de sujétion. Une lutte  organisée, responsable, citoyenne et désintéressée.

C’est pour cela que je saisis cette occasion pour inviter notre jeunesse qui aspire à un monde meilleur, à lire cet ouvrage et à en tirer les enseignements qui s’imposent.

Abdeslam Seddiki, professeur de l’enseignement chercheur, membre du bureau politique du PPS et ancien ministre.

L’ouvrage,  publié pour la première fois en 1968 aux éd. Mouton, réédité par la suite aux Editions Maghrébines est malheureusement épuisé. D’où la nécessité de sa réédition dans l’intérêt de la recherche scientifique et de la sauvegarde de notre capital immatériel.

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