«C’est la leçon de ces quatre années. Que cette épée de Damoclès est là, pour vous faire douter de vous-même, pour que vous ne persistiez pas parce qu’il y aura des conséquences.
Mais nous devons nous défaire de cela, aller de l’avant et publier les articles pour que les gens voient la réalité dans laquelle nous vivons(…) Nous résisterons à toutes les attaques contre la liberté de la presse(…) C’est un revers mais ce n’était pas inattendu. Ils essaient de nous effrayer mais n’ayez pas peur(…) Si vous n’exercez pas vos droits, vous les perdrez».
C’est ce qu’a déclaré ce lundi Maria Ressa, 56 ans, cofondatrice du site d’information en ligne «Rappler», ex-reporter et chef du bureau de la CNN aux Philippines, après avoir été reconnue coupable de diffamation par un tribunal de Manille donc passible d’un emprisonnement pouvant atteindre six années de détention.
Ayant fait ses études à Princeton aux Etats-Unis, Maria Ressa, qui est également citoyenne américaine, avait pris en 2004 la direction de l’information d’ABS-CBN qui, après avoir été la plus importante chaîne de télévision des Philippines a cessé s’émettre début-Mai 2020 quand le Parlement philippin, majoritairement contrôlé par les alliés du président n’a pas jugé bon de lui renouveler sa licence.
Désignée, par le magazine «Time» comme étant une des «personnalités de l’année 2018», Maria Ressa reste, néanmoins, visée par plusieurs procédures judiciaires pour avoir publié un grand nombre d’articles critiquant la politique populiste du président Rodrigo Duterte et condamnant principalement la campagne sanglante qu’il mène contre le trafic de drogue.
L’affaire qui a été jugée ce lundi remonte à l’année 2012. Elle a trait à la publication d’un article portant sur les connexions supposées du président de la Cour Suprême des Philippines avec un homme d’affaire local. Or, les poursuites engagées aujourd’hui contre Maria Rossa seraient dénuées de tout fondement juridique dès lors qu’elles reposeraient sur une loi sur la cybercriminalité réprimant la diffamation en ligne, le harcèlement et la pédopornographie qui n’est entrée en vigueur qu’en septembre 2012 soit plusieurs mois après la parution de l’article incriminé.
C’est pour cette raison d’ailleurs, que la plainte déposée par l’homme d’affaire visé par l’article en question avait été rejetée en 2017. Le dossier y afférent ayant été, de nouveau, soumis à l’appréciation du parquet, celui-ci a décidé, ce lundi, de poursuivre à la fois Massia Rossa, en sa qualité de fondatrice du site et l’ancien journaliste Reynaldo Santos qui avait rédigé l’article jugé diffamatoire. Reconnus coupables, ils seront tous les deux poursuivis en état de liberté dans l’attente de l’examen de leur dossier en «appel».
Ces mesures d’intimidation sont un signe très clair de la dégradation de la démocratie et des droits de l’homme dans ce pays du Sud-est asiatique de 106 millions d’habitants qui, depuis l’arrivée, en 2016, de Rodrigo Duterte à la tête de l’Etat a été le théâtre de l’assassinat de 48 avocats, procureurs et juges. Si l’on en croit la Commission des droits de l’homme des Philippines, la campagne sanglante que le chef de l’Etat a mené contre les cartels de la drogue aurait fait plus de 27.000 victimes toutes celles-ci tombées lors d’exécutions extrajudiciaires menées par des escadrons de la mort, généralement des policiers cagoulés opérant la nuit à bord de motos.
Autant dire que les philippins vivent dans la terreur et que celle-ci n’est pas prête de s’éteindre puisque le 3 juin dernier le Parlement philippin a adopté une loi contre le terrorisme qui fait craindre le pire en matière d’arbitraire dès lors qu’elle permet, désormais, à la police de détenir un suspect pendant vingt-quatre jours sans mandat d’arrêt. Quel accueil vont réserver à cette loi les différentes instances de l’ONU et autres ONG chargées de la défense des droits humains? Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi