L’autorisation de diffusion accordée par les autorités philippines à la chaîne ABS-CBN, le plus grand réseau de diffusion de radio et de télévision gratuite du pays employant près de 11.000 personnes, est venue à expiration ce mardi. Aussi, dans un communiqué en date de ce dimanche 3 mai et alors même que le monde entier célébrait la Journée internationale de la liberté de la presse, la Commission nationale des télécommunications (NTC) des Philippines a ordonné à ladite chaîne de «cesser d’émettre».
Ainsi, bien qu’aux Philippines c’est le Congrès qui détient le pouvoir exclusif d’accorder des licences de diffusion, la résiliation de l’autorisation initialement accordée à ABS-CBN a été appuyée par les législateurs de la Chambre basse du Parlement philippin, qui, en se rangeant du coté du président Rodrigo Duterte, ont refusé de donner suite aux projets de loi demandant le renouvellement du permis de diffusion dont disposait cette chaîne.
ABS-CBN est dans le «viseur» du pouvoir d’abord parce qu’en 2016, elle s’était abstenue de diffuser un certain nombre d’annonces politiques faites par Rodrigo Duterte dans le cadre de sa campagne électorale puis parce que, par la suite, elle avait assuré une couverture assez critique de la manière controversée avec laquelle, une fois aux commandes de l’Etat, ce dernier avait mené sa guerre «sanglante» contre les réseaux de distribution de drogue.
Pourtant, en Février dernier, lors d’une audience au Sénat, Carlo Katigbak, le président de la chaîne avait présenté ses excuses au Président philippin qui les avait acceptées. Le jour-même, Menardo Guevara, le secrétaire à la Justice, avait alors annoncé que le gouvernement pourrait, en cas de besoin, délivrer à la chaîne une autorisation provisoire qui lui permettrait de continuer à diffuser dans l’attente de l’approbation législative officielle.
Interrogé à cet effet, Jose Calida, le principal avocat du gouvernement qui avait lui-même déposé auprès de la Cour Suprême la requête afférente à l’annulation de la licence dont disposait le géant des médias philippins, s’est contenté de menacer de porter plainte contre les régulateurs de la Commission nationale des télécommunications (NTC) s’ils venaient à accorder à ladite chaîne une quelconque autorisation provisoire.
Mais il convient de préciser, par ailleurs, qu’ABS-CBN n’est pas le premier organe de presse à subir les foudres du gouvernement Duterte puisque Maria Ressa, l’ancienne correspondante de «CNN international» qui dirige, actuellement, le service de nouvelles en lignes basé à Manille et qui est poursuivie dans le cadre d’une douzaine d’affaires judiciaires, déclare avoir été menacé d’emprisonnement, de viol et même de meurtre pour ses reportages sur la guerre contre les cartels de la drogue telle que la mène le président philippin. Pour Maria Ressa, l’attaque de Duterte contre les médias rentre dans le cadre de ses multiples tentatives de musellement de la presse pour empêcher que la communauté internationale ne prenne connaissance de ses dérives autoritaires.
Enfin, en déclarant dans un communiqué, que «l’ordre menace la liberté de la presse à un moment où le public a le plus besoin d’une presse sans entraves», l’Association des correspondants étrangers des Philippines rappelle qu’à l’heure où le pays se remet des retombées de la pandémie du coronavirus, «l’œil critique d’ABS-CBN est plus que jamais nécessaire pour informer le public».
Le président Rodrigo Duterte entendra-t-il cet appel et permettra-t-il à la chaîne de continuer sa mission d’information alors même qu’elle est, par la même occasion, le gagne-pain de 11.000 personnes ? Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi