«Pourvu qu’il soit de bonne humeur» de Loubna Serraj

Mohamed Nait Youssef

Une plume prometteuse. Loubna Serraj, étoile montante de l’écriture, signe son premier roman portant comme titre «Pourvu qu’il soit de bonne humeur» paru chez la maison d’édition basée sur Casablanca, «La croisée des chemins».

Certes, au-delà des mots et des maux, l’Homme a toujours une raison derrière l’acte d’écrire, et ce en pointant du doigt sur les non-dits, en donnant la parole aux oubliés, aux marginaux, aux précaires, aux personnes souffrant dans leur peau.

L’écriture est aussi une affaire personnelle, une position vis-à-vis du monde et de ses métamorphoses.

Deux époques, deux générations, deux destinées… dans ce roman qui ne tombe pas des mains, l’auteur prolonge le lecteur dans l’univers de deux femmes, deux personnages Maya et Lilya.

Maya, une femme rêveuse et malheureuse, a été victime de la violence, du mépris et de l’esprit rétrograde de toute une époque où la société tournait du dos à la femme. «Depuis un an, elle avait dû, à regret, arrêter ses études», peut on lire dans la page 9  du roman.

Un mariage arrangé et un homme qui lui a été imposé, ce personnage est la voix d’un bon nombre de femmes emprisonnées derrière les quatre murs en béton et les idées patriciales ancrées dans les mentalités des gens sous prétexte des rapports sociaux, des coutumes, de l’honneur…entre autres.

«Il m’avait fallu de longues années pour faire le deuil d’une véritable relation mère-fille», disait Maya.

Un viol conjugal…

«Il y a des mariages qui sont des enterrements», affirmait Jean-Paul Sartre. Celui de Maya en faisait partie. De prime abord, elle n’a pas choisi son mari, mais il lui a été imposé par sa mère et son père. En effet, dans ce roman bien ficelé et magnifiquement écrit, Loubna Serraj a mis les mots sur les maux de son personnage en subissant un viol permanant et vivant dans un enfer insupportable. La description détaillée et minutieuse en disait en long.

Une femme épanouie et assoiffée de liberté, Maya vivait dans ses rêves, dans sa bulle loin des regards froids, fades et agressifs de son époux, Hicham. Par ailleurs, cette vie de couple où la communication n’existait plus, où la violence prime…était un véritable cimetière où sont enterrées ses envies et ses aspirations de femme, d’être humain.

Le corps, un champ de bataille…

«Le corps est une grande raison», a fait savoir Nietzsche. « Une nuit de noce terrible et atroce », c’est avec ces mots que l’auteure du roman décrit la blessure profonde de Maya. Et d’ajouter : «(…) j’essaie de relever ma tête, mon corps s’est transformé en une espèce de plaie béante qui me fait mal à chaque respiration ; mes jambes sont lourdes, mes bras pèsent une tonne », p.23. Ainsi, cette sensation de déchirement, de fracture a accompagné le personnage tout au long de sa vie, de l’histoire…et peut être même près.

En lisant entre les lignes, Loubna Serraj a braqué les projecteurs  non seulement sur ce corps souffrant, dépouillé mais aussi et surtout libre, indépendant, révolté contre toutes formes de soumission, d’exploitation, d’instrumentalisation.

«Mon corps, ce corps dans lequel je me retrouve, tremble, se contracte, frissonne de froid mais surtout de peur, j’ai l’impression», ajoute Maya.

Les livres : la voie royale qui mène… ailleurs !

Une échappatoire. Pour Maya, la lecture était une issue salvatrice, une seconde vie, une voie royale qui mène… ailleurs.  «Je vis ces livres comme on pourrait vivre plusieurs vies ; d’autres vies qui ne sont pas la mienne», p.71. À vrai dire, il est des livres ayant sauvé des vies condamnées à l’enfermement, à l’exil.

Dans sa solitude la plus totale, ce personnage a tissé une relation spirituelle voire poétique avec les livres notamment ceux de Stendhal, Camus, Jorge Zaydan… et les autres.  Exilée, certes, cette femme assoiffée de liberté confiait ses secrets latents aux mots, au lys, roi des fleurs. Une espèce de bovarysme !

Une leçon de vie…

Incontestablement, le temps a cette capacité d’arranger les choses. Or, ce roman est en fait une histoire dans l’histoire, un cri contre l’injustice, une leçon de vie…à retenir.

Contrairement à Maya, Lilya, journaliste de profession, a pu affronter sa réalité en assumant ses choix et en allant jusqu’au bout de ses rêves. Dans «Pourvu qu’il soit de bonne humeur», la femme est au  cœur d’une guerre totale et sans merci contre les préjugés, contre une réalité imposée et pensée par les dominants et leur adoxa. En revanche, une lueur d’espoir jaillit avec les idées éclairées incarnées par Rhani, Marwan et les autres. Il faut le dire, l’avenir de ce pays est entre les mains des femmes… et des Hommes.  Un roman à lire et à relire.

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