Présidentielles turques : Erdogan sur le pied de guerre

Attendons pour voir…

Nabil EL BOUSAADI

S’il est vrai que, depuis sa transition vers le multipartisme, en 1946, la Turquie possède une longue tradition d’organisation d’élections libres et équitables, il n’en demeure pas moins vrai, toutefois, que la « présidentialisation » du régime consécutive à l’échec du coup d’Etat de Juillet 2016 ainsi que la réforme constitutionnelle d’avril 2017 qui s’en était suivie font, désormais, peser une menace de fraude et d’irrégularités sur le scrutin présidentiel du 14 mai prochain après avoir permis au président Recep Tayyip Erdogan de s’emparer de tous les leviers du pouvoir car après vingt années de pouvoir, ce dernier est donné perdant par la presque totalité des instituts de sondage et ce, qu’il ait face à lui Kemal Kiliçdaroglu, le leader du Parti Républicain du Peuple (CHP), Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul ou encore Mansur Yavas, le maire d’Ankara.

Aussi, en ayant à l’esprit qu’après avoir été entaché d’irrégularités, le scrutin municipal d’Istanbul de 2018 avait été annulé, sur pression de l’opposition qui avait fini par prendre possession de la Mairie d’Istanbul, il n’est pas à exclure qu’en cas de défaite Erdogan va déposer un recours devant cette même Commission électorale dont il a, lui-même, nommé la plupart des membres.

Mais, une telle manipulation électorale risquerait d’avoir des répercussions négatives sur la marche du pays qui pourrait, à ce titre, se voir exclu des marchés occidentaux ; ce qui aggraverait considérablement sa situation économique en ce moment où avec une forte hausse de l’inflation et du chômage, le Parti de la Justice et du Développement (AKP) d’Erdogan est de plus en plus impopulaire alors même que ce furent ses bonnes performances économiques, de ces vingt dernières années, qui avaient contribué à ses succès électoraux.

Le même scénario, agrémenté de manifestations populaires, étant à prévoir du côté de l’opposition en cas d’échec, le président Erdogan pourrait, lui aussi, s’il venait à perdre le scrutin, inciter ses partisans à descendre dans la rue comme il l’avait fait pour contrecarrer le coup d’Etat de juillet 2016 avec des affrontement qui s’étaient soldés par la mort de dizaines de personnes ou, pire encore, faire appel à la SADAT, cette organisation paramilitaire privée qui lui est inféodée, très active en Syrie, en Libye et dans l’enclave du Haut-Karabakh, réputée pour sa brutalité et présidée par Adnan Tanriverdi, son ancien conseiller à la sécurité. 

La compétition électorale à venir s’annonçant donc très rude, de nombreux analystes estiment que, pour aller glaner des voix dans les rangs de l’opposition, Erdogan pourrait s’appuyer sur un discours nationaliste et adopter une stratégie qui se traduirait par un accroissement de la répression contre le Parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, voire même par sa dissolution par la Cour Constitutionnelle de Turquie.  

D’autres observateurs considèrent, pour leur part, que, pour rallier l’opinion publique à sa candidature, le président Erdogan pourrait aussi lancer une opération militaire en Syrie en guise de représailles contre l’attentat d’Istanbul du 13 novembre dernier imputé, par Ankara, à la branche du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) basée en Syrie.

Au vu de tout cela, il semble donc que le président turc cherche à gagner du temps et, par la même occasion, à faire pression sur la coalition des 6 partis qui a choisi d’unir ses forces pour le déloger par les urnes mais qui, à quelques semaines du lancement de la campagne, n’est toujours pas parvenue à désigner un candidat unique. Alors, attendons pour voir… 

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