«Tout enfant africain doit être qualifié pour les défis du futur»

Après 22 ans de service en tant qu’enseignant, Ahmed Salmi Mrabet lance l’école Hjrat Nhal dans la région de Tanger en 2001 dont il est le directeur. L’école érigée sur une zone protégée est basée sur un concept novateur : la pédagogie écologique, avec des horaires adaptés pour les élèves, des cours d’alphabétisation pour les habitants du village, des formations continues aux élèves. Le programme scolaire de cet établissement s’inspire de celui de l’éducation nationale mais est adapté à l’environnement des apprenants. La moitié de l’emploi de temps étant dédiée aux activités associatives. En 2012, l’école a reçu le label Eco-école. Aujourd’hui, l’école de Salmi Mrabet est érigée en exemple de l’école dont le Maroc a besoin à l’heure des enjeux climatiques et environnementaux et des défis économiques… D’ailleurs, l’expérience de cet enseignant de Tanger fait l’objet d’un film qui sera diffusé durant le mois de ramadan. Il nous raconte son expérience. Les propos.

Al Bayane : Qu’entend-on par pédagogie écologique?

Ahmed Salmi Mrabet : C’est une démarche d’intégration de l’éducation à l’environnement dans l’enseignement au profit des enfants. A travers les enfants, on touche les adultes, puisque l’enfant est messager de l’école à la maison. Il transporte avec lui les compétences qui lui sont inculquées à l’école. Cette pédagogie consiste à faire de l’enfant un acteur qui soit conscient de ses actes. S’il touche à la nature, il faut d’abord qu’il sache et connaisse la nature de cet environnement qui l’entoure.

Le fait que notre école se trouve sur un site d’intérêt biologique et écologique demande à ce que l’école joue ce rôle de sensibilisation et d’accompagnement. Il faut que cet enfant qui est futur citoyen soit conscient de préserver et de protéger ses richesses naturelles, ne serait-ce que pour encourager l’écotourisme. Nous avons démarré avec un ancien élève de l’école un projet de gite. Il organise des randonnées ne serait-ce que pour faire des lectures dans le paysage, pour contempler, connaitre et faire connaitre cette région.

C’est une promotion et par la suite, il y a une dynamique des activités génératrices de revenus. Il faut toujours faire ce lien entre l’école et le développement économique. Pendant longtemps, l’école a été séparée de ces qualités, de cette culture. L’école ne se limite pas juste à lire, écrire et compter. L’école c’est l’éducation et la formation. Et la formation nécessite d’être adaptée selon les spécificités de la région.

Nous sommes un milieu rural, nous nous trouvons sur un site humide qui est protégé et qui accueille des oiseaux migrateurs, de l’Afrique vers l’Europe et de l’Europe vers l’Afrique. Donc la présence de l’être humain dans cette zone doit être prise en considération pour qu’il y ait un accompagnement à cette préservation et protection de l’environnement. Si on ne sensibilise pas à l’importance de cette protection de l’environnement, l’enfant va détruire, agresser. Il ne saura pas tirer bénéfice de l’environnement et pourtant, il peut encourager le tourisme rural.

Quelle est la spécificité de votre école?

Cette école a été labellisée Eco-école en 2012. C’est la première école publique sur la délégation Tanger Assilah à recevoir ce label. Nous nous chargeons maintenant d’encadrer les autres établissements. De 2012 à aujourd’hui, 6 autres établissements ont été labellisés : deux dans le rural et quatre en milieu urbain. Cet échange et encadrement auxquels nous participons a abouti et donné des résultats.

Concernant nos curricula, il faut savoir que les curricula scolaires marocains réservent 30% des programmes à l’éducation à l’environnement. Nous avec cette spécificité, dans tous les cours que nous dispensons aux enfants, nous faisons toujours un lien avec cette empreinte écologique. Nous adaptons l’enseignement aux spécificités de la région.

Comment dupliquer cette expérience dans les établissements marocains?

Il faut dans un premier temps veiller à ce qu’il s’agisse des écoles similaires. Les écoles rurales peuvent s’inspirer de cette expérience réussie et l’adapter à leurs apprenants. Au niveau urbain, il y’a des techniques qui sont connues comme le recyclage des déchets et qui peuvent être intégrées dans les curricula.

De quel système éducatif l’Afrique et plus précisément, le Maroc en phase d’émergence a-t-il besoin aujourd’hui?

Un enfant africain, qu’il soit du sud ou du nord, reste un être humain. Il vit sur un continent qui a des richesses et des contraintes. Cet enfant doit recevoir une éducation et un enseignement adéquat qui le qualifient à accompagner tous les évènements qui se produisent. Dans le futur, on s’attend à des catastrophes, des changements climatiques. Si dès maintenant, on ne qualifie pas ces enfants à aimer leur territoire, à s’y accrocher, se l’approprier et à l’identifier pour voir quel rôle ils peuvent jouer pour évoluer et développer leur région, on va se retrouver enchainés.

Nous ne devons pas réfléchir à nous-mêmes mais nous devons utiliser le rétroviseur, voir comment les choses se sont passées au passage et observer le futur : comment ces jeunes enfants peuvent cohabiter et valoriser leur patrimoine et développer leur vie économique tout en réduisant l’impact négatif qui est la destruction de l’environnement et j’en passe.

Qu’en est-il du tournage du film sur votre école?

Il faut dire que maintenant même le cinéma rentre en jeu. Il y avait un tournage l’année dernière des actrices qui simulaient la situation d’un enseignement précaire, une école peu qualifiée, habilitée… Dans ce film, il est question d’une simulation de mon expérience, celle que j’ai vécue pour développer mon école. Ce film permettra de dispatcher et de faire connaitre cette expérience à tout le monde dont les enseignants qui pourront s’y inspirer. Le film sera diffusé pendant le mois de ramadan.

D.F. Engolo

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