Un Business qui rapporte gros, mais pas seulement…

De nos jours, accoucher par voie basse n’est plus la règle qui a toujours prévalu, une tendance bien ancrée dans les mœurs des familles. Aujourd’hui ? C’est l’accouchement par césarienne qui est en vogue. Partout dans le monde, le taux de césarienne augmente, notamment celui des césariennes dites de convenance, pouvant atteindre 80 voire 90% dans certaines situations. Le Maroc ne fait pas exception à la règle, le taux de césarienne ne cesse d’augmenter d’année en année, surtout au niveau de certaines cliniques privées où il avoisine les 60 %. Nous avons contacté des spécialistes dans le domaine : Touria Alaoui Skalli, Abdelillah Chenfouri tous deux gynécologues obstétriciens dans le secteur libéral à Casablanca, qui ont bien voulu répondre à toutes nos questions et nous éclairer encore plus sur la pratique de la césarienne qui est un acte chirurgical qui sauve des vies, mais qui pour certains demeure un business qui rapporte gros.

 

Docteur Abdelillah Chenfouri

Al Bayane : Qu’est-ce que la césarienne

Docteur Abdelillah Chenfouri : C’est une opération chirurgicale permettant d’extraire le fœtus de la cavité utérine par voie abdominale après incision de l’utérus. On peut aussi dire que c’est une intervention chirurgicale permettant d’extraire l’enfant vivant lorsque l’accouchement ne peut pas s’effectuer naturellement, c’est-à-dire par voie basse.

Quels sont les motifs qui justifient le recours à cette pratique?

Vous savez très bien que la décision de pratiquer ou non une césarienne est du seul ressort du praticien, qui agit en son âme et conscience et qui, il faut le souligner, est orienté dans ce choix par le souci de préserver la santé de sa patiente et de son fœtus. Le praticien prend la décision de pratiquer la césarienne lorsque la naissance de l’enfant à venir par les voies naturelles est susceptible de présenter un risque pour la maman et l’enfant.  Bien entendu il y a des indications qui sont connues pendant la grossesse, quand le médecin pratique les examens et les bilans lors des différentes consultations et il y a des indications qui pourront se présenter lors de l’accouchement lui-même.

Combien dure un accouchement par césarienne?

C’est très difficile à dire, car on ne sait jamais ce qui peut arriver au cours d’une intervention. Par exemple je sais l’heure à laquelle je rendre à la salle d’opération, mais je ne pourrais jamais vous dire a quelle heure je sortirais. Vous savez, personnellement, je pense, que c’est une question de dextérité des uns et des autres, des moyens humains et matériels existant au sein des blocs opératoires. D’une façon générale, la compétence joue un rôle essentiel et certains praticiens sont plus rapides que d’autres. Mais il importe surtout d’être précis et méticuleux. La durée habituelle est d’environ trente à quarante-cinq minutes. En cas de complication, cela peut dépasser une heure, mais c’est très rare. Actuellement, l’utilisation de nouvelles techniques permet même d’agir en 15 minutes, toutes sutures faites !

Qu’en est-il de la césarienne au Maroc?

Avant de vous répondre à cette question, je tiens ici à rappeler que notre pays accorde une très grande importance à la mortalité maternelle et infantile qui restent assez élevées au regard des efforts et moyens consentis. Dans ce sens, on ne peut que saluer les actions qui sont entreprises par le ministère de la Santé pour faire baisser le taux de mortalité maternelle (110 / 100.000 naissances vivantes), pour ce faire, des actions sont entreprises pour assurer une prise en charge médicalisée de tous les accouchements qui avoisine 75 ou 80 % en milieu surveillé.

En outre, et dans le même ordre d’idée, il faut savoir que la pratique de la césarienne est totalement gratuite au sein des hôpitaux, ce qui contribue grandement à la réduction des barrières d’accès aux soins obstétricaux et partant réduit la mortalité maternelle qui était de 227 / 100.000 naissances vivantes entre 2008 / 2010. Pour la réalisation de la césarienne, les taux enregistrés varient d’une structure hospitalière à l’autre, d’une région à l’autre. Si l’on prend en considération les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les naissances par césarienne devraient être comprises entre 10 et 15 %. Au niveau de certaines maternités du secteur public, les praticiens arrivent à réaliser 15 voire 20 % de césariennes quand les conditions requises sont réunies (équipements, personnel qualifié, garde médicalisée, réanimation conforme aux normes, médicaments…) Le problème se pose dans les hôpitaux périphériques et au niveau des maisons d’accouchement où il y a un manque d’équipements, pas assez de médecins gynécologue, d’anesthésiste réanimateur et c’est là, au niveau de ces mêmes structures sanitaires que sont enregistrés des incidents et accidents, et/ou il y a lieu de consentir plus d’efforts.

S’agissant du secteur privé, il faut dire que la césarienne est beaucoup plus pratiquée, du fait de la grande maitrise de cette intervention, des moyens humains existants, de la réanimation plus performante, de la technologie pointue, et il n’est pas exagéré de dire que ce taux avoisine les 40 % dans certains établissements privés.

Que pensez-vous des cliniques qui affichent des taux de césariennes qui dépassent 60%?

Je ne puis vous dire ce qui motive ce taux qui reste bien entendu au-dessus des normes préconisées par l’OMS, mais quand un médecin prend la décision de réaliser un accouchement par césarienne, c’est que sa décision est généralement médicalement justifiée.

À côté, il ne faut pas oublier que nombreuses sont les femmes enceintes qui désirent accoucher par césarienne, c’est un choix de la patiente et même de son mari. Il est évident que nous expliquons comment se déroule l’accouchement par voie basse et par césarienne afin que le choix de la femme soit éclairé. Vous êtes bien placé pour savoir que l’accouchement par voie basse a mauvaise presse, que de nombreux incidents et accidents ont souvent lieu, surtout quand se sont de jeunes primipares dont l’accouchement par voie basse peut durer des heures.

Nos clientes sont bien informées, instruites, elles savent pratiquement tout, et c’est la femme enceinte, qui exige la césarienne, car en optant pour cette pratique, la femme désire des résultats, que son enfant vient au monde sans la faire souffrir et de toute les manières, si par exemple je refuse de pratiquer une césarienne, ma patiente ira chercher ailleurs et il y aura toujours quelqu’un d’autre pour faire cet accouchement. Donc, personnellement je comprends parfaitement ce taux de césarienne.

Qu’en est-il au niveau des autres pays?

C’est une bonne question, car elle va nous permettre de savoir que l’accouchement grâce à la césarienne est une approche mondiale qui vise à réduire les risques de mortalité maternelle et néo-natale, et donc un moyen de sécurité beaucoup plus qu’autre chose.

Il faut savoir qu’en matière de naissance par césarienne, le Brésil est le champion du monde, le taux atteint 85 %.

Même chose aux états Unis où la césarienne est pratiquée couramment atteignant un taux de 60 % et plus, la France, la Belgique, les Pays-Bas enregistrent des taux qui avoisinent 50 %, et ce pourcentage augmente légèrement depuis quelques années.

Le Maroc ne fait pas exception, même s’il n’y a pas de statistiques fiables dans ce domaine, force est de constater que la césarienne est devenue une intervention courante.

 

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Docteur Touria Alaoui Skalli

Al Bayane : Beaucoup de personnes pensent que la césarienne est un business qui rapporte gros. Qu’elle est votre réponse en tant que spécialiste?

Docteur Touria Alaoui Skalli : La question que vous posez dénote de la crise de confiance qui risque de s’installer entre les patients et les médecins si on continue à porter des accusations aussi graves sur la pratique médicale dans notre pays ! Pour revenir à votre question sur la césarienne, le praticien qui prend en charge sa patiente tout au long de sa grossesse, c’est justement cette confiance nécessaire qui s’instaure au fil du temps, qui découle d’une approche éthique, soucieuse du bien-être de la patiente, quelle que soit sa situation de gravité. En tant que gynécologue, et à travers ma longue expérience, je puis vous affirmer que la pratique de la césarienne lorsqu’elle est médicalement indiquée, n’est pas motivée par « le business » comme vous dites, ou les « gros sous » ! Le seul objectif reste avant tout la sécurité de la mère et de l’enfant, sachant que de nos jours la responsabilité médicale est largement pointée au moindre problème lors d’un accouchement difficile avec forceps par exemple, et alors on nous reprochera de n’avoir pas décidé à temps d’une césarienne ! L’éventuelle motivation du gain pour réaliser cet acte chirurgical reste une exception, contrairement aux idées véhiculées.

Quelle est votre approche avec vos patientes?

Avec mes patientes, c’est une relation basée sur l’écoute, la transparence, l’information éclairée sur la situation, pour envisager ou non un accouchement par voie basse. Si la femme enceinte qui arrive à terme ne présente aucune contre-indication pour accepter un accouchement par voie basse, je ne vois aucune raison de recourir à une césarienne d’emblée.  Ceci n’exclut pas que celle-ci puisse être indiquée en cours de travail, lorsqu’un problème survient, et même parfois après de longues heures de contractions et de douleurs où on croit que tout va se terminer comme prévu, la dilatation est complète, mais l’enfant ne descend pas dans la filière pelvienne, ou présente des signes de souffrance, et il faut alors recourir en urgence à la césarienne pour sauver cet enfant et sa mère !

Toutes ces informations sont données à la patiente au long des consultations, tout en la rassurant, car l’accouchement par voie basse, lorsqu’il se déroule bien, reste l’objectif premier. J’en discute parfois avec certaines jeunes futures mères qui craignent cet accouchement, l’épisiotomie, qui « ne se sentent pas capables » pour cet évènement, et là mon rôle est de lui donner confiance pour ne pas céder à sa demande de recourir à une césarienne sans aucune raison.  Pour ce qui est du taux de césariennes dans les cliniques, les chiffres sont parfois élevés, mais ne sont pas reflétés par les chiffres des organismes de couverture médicale. L’accouchement normal n’est souvent pas comptabilisé par ces derniers, seules les demandes de prises en charge des césariennes leur parviennent !  Les cliniques n’ont aucune influence sur la prise de décision d’une césarienne, c’est chaque gynécologue obstétricien qui gère ses patientes de A à Z.

C’est lui qui décide d’hospitaliser sa patiente, qui va la suivre, en étroite collaboration avec la sage-femme, procéder à son accouchement, qui se fera in fine par voie basse ou par césarienne. Les considérations de coût et de gain sont en dehors de toute décision, la patiente a déjà connaissance de ces choses bien avant de se présenter à la clinique.

Quel est le coût d’une césarienne?

Dans le «coût» de cette intervention chirurgicale, il y a plusieurs éléments : la facturation de la clinique avec ce qu’elle comporte en frais de bloc opératoire, anesthésie, médicaments, analyses de laboratoire parfois, soins infirmiers en hospitalisation pour 3 ou 4 jours, surveillance et soins au nouveau-né en nurserie, couveuse éventuellement, etc.  Il y a aussi parfois des coûts liés à une personne accompagnante qui tient absolument à rester auprès de la patiente toute la durée de l’hospitalisation, ou encore le coût lié à des choix de «chambres de luxe» par exemple.

Viennent s’ajouter à cela les « honoraires » des médecins, liés à l’acte lui-même et au suivi de la patiente depuis son hospitalisation jusqu’à sa sortie, de jour comme de nuit, en semaine comme en week-end ! Cela relève en principe d’un « contrat » particulier entre le spécialiste et sa patiente, car il s’agit d’un secteur libéral. Il n’obéit pas forcément aux conventions actuelles qui ont été signées entre les cliniques et les organismes de couverture médicale. En effet ce sont des « forfaits » accordés pour toutes ces prestations et toutes les situations, des plus simples aux plus compliquées. Les médecins dans le secteur libéral réclament une convention distincte de celle des cliniques. Sachant que le tact et la mesure qui font partie de la déontologie médicale permettront d’adapter les honoraires aux moyens des patientes, et c’est ce qui a déjà lieu bien souvent.

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Docteur Jilali Hazim

Al Bayane : Au niveau de certaines cliniques, le coût d’une césarienne est souvent facturé à 12.000 DH, un prix auquel il faut parfois ajouter des milliers de DH à titre d’entente directe avec le praticien. Comment peut-on expliquer cela?

Docteur Jilali Hazim : D’après les réclamations que l’Agence Nationale de l’Assurance Maladie (ANAM) reçoit, il s’avère que certaines cliniques pratiquent un tarif qui varie entre 10 000 et 12 000 Dhs pour la césarienne non compris « le paiement au noir », tout en sachant que le Tarif National de Référence (TNR) de la Césarienne, fixé dans le cadre le la convention nationale signée en 2006 avec les médecins et les cliniques privées, a été déjà révisé à la hausse en 2008 passant de 6000dhs à 8000dhs.  L’ANAM considère de ce fait que le TNR reflète le coût réel de l’acte et par conséquent cette pratique est jugée non fondée.

L’ANAM dans le cadre du renouvellement des conventions nationales prévoit la séparation de la convention entre les médecins privés d’une part et les cliniques privées d’autre part et ce pour plus de transparence dans la facturation et pour lutter contre la fraude, l’ANAM exigera également le respect total de ce tarif par les établissements de soins et les médecins conventionnés avec, bien évidemment, l’élaboration du Protocole Thérapeutique relatif à la Césarienne pour que la réalisation de cette opération soit conforme aux indications et recommandations nationales.

Abdelaziz Ouardirhi

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