Un dialogue entre Picasso et les avant-gardes arabes

A l’Institut du monde arabe de Tourcoing

Picasso, qui n’a jamais mis les pieds dans le monde arabe, y a pourtant laissé une large empreinte, et fait des emprunts: un dialogue mis en évidence par une exposition pionnière à l’Institut du monde arabe (IMA) de Tourcoing, dans le nord de la France.

L’exposition s’ouvre sur deux portraits à la bougie, en miroir à 20 ans d’écart: l’un par Picasso de sa compagne Dora Maar, l’autre par l’Égyptien Samir Rafi, reprenant certains codes cubistes.

L’exposition, jusqu’au 10 juillet, veut contribuer à donner « la place qui leur est due » aux artistes arabes, souvent oubliés dans l’histoire de l’art, explique Mario Choueiry, l’un des commissaires.

Dans des cultures où « la sculpture, la peinture » sont surtout « des techniques d’importation coloniale », les avant-gardes arabes « passent par la digestion de l’impressionnisme, du fauvisme, du cubisme, avant de devenir elles-mêmes », précise-t-il.

Si Picasso n’a pas voyagé dans le monde arabe, ses oeuvres y ont fait écho. Les deux manifestes des avant-gardes arabes, publiés au Caire en 1938 et à Bagdad en 1951, se revendiquent du maître espagnol.

On découvre ainsi un imposant Guernica transposé dans la Syrie des années 1980, où le régime baasiste réprime dans le sang les opposants islamistes à Hama.

Le peintre syrien Khozaima Alwani y représente dans un triptyque un minotaure, un cheval, des hélicoptères pilonnant une tour de Babel.

« Il y a une ressemblance, mais c’est une réinterprétation », souligne le galériste Saleh Barakat, qui a prêté l’oeuvre. « Ça parle du monde arabe dans les années 70-90 », et il y a un « vocabulaire propre », avec le viol du cheval qui dans la culture arabe est « l’animal digne qui refuse de se soumettre ».

« Cela permet de montrer des artistes peu connus en Occident, et de redécouvrir d’autres avec un oeil nouveau » avec « des rapprochements très parlants », relève M. Barakat.

Pour d’autres oeuvres, le rapprochement est moins formel que politique, avec une dénonciation de la violence, ou artistique, avec un travail d’abstraction. Comme avec ce portrait par Picasso de la militante indépendantiste algérienne Djamila Boupacha, alors emprisonnée.

Quelques pièces traditionnelles islamiques, tapis et faïences, sont aussi exposées, autre source d’inspiration des avant-gardes arabes. Leur graphisme épuré et le bestiaire semblent également résonner chez Picasso.

« Quand on parle de Picasso, on parle souvent de son orientalisme », mais jamais de sa relation avec des artistes arabes, note la directrice de l’IMA Tourcoing, Françoise Cohen.

« On espère que cette exposition ouvre un champ de recherche » sur ces échanges et rencontres, ajoute-t-elle.
L’exposition sera présentée à l’Institut du monde arabe à Paris en 2024.

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