Un domaine encore dans l’opacité

La répartition des revenus au Maroc 

Par Abdeslam Seddiki

Le HCP poursuit la publication   des résultats de l’enquête sur les revenus des ménages. Une première note a porté sur « Evolution du niveau de vie des ménages et impact de la pandémie COVID-19 sur les inégalités sociales » ( 24 mars 2021). Une deuxième, publiée le 28 avril a traité des « Revenus des ménages, niveaux, sources et distribution sociale ». La  dernière partie, interviendra, apprend-on, dans les jours qui viennent. Ce faisant, le HCP nous fournit des informations précieuses qui seraient de nature à animer le débat national en cette période préélectorale  et inciter les acteurs politiques à mettre plus de rigueur dans leurs prestations en évitant des déclarations péremptoires et des amalgames conceptuels.  Que retient-on de cette deuxième note ? Comment est réparti notre « gâteau national » ?

Par ménage, le revenu annuel moyen s’établit à 91 933 DH, ce qui équivaut à un revenu mensuel moyen de 7 661 DH. Il est de 98 483 DH en milieu urbain, (8 207 DH par mois) et de 77 600 DH en milieu rural (6 467 DH par mois). Le revenu médian étant de 5133 DH.

En revanche, vu  par personne, le revenu annuel moyen est de : 21 515 DH au niveau national, équivalent à 1 793 DH par mois ; 24 992 DH en milieu urbain, ou encore 2 083 DH par mois ; et 15 560 DH en milieu rural, ou encore 1 297 DH par mois. 

Bien sûr, les moyennes arithmétiques sont d’une pertinence limitée. Ce qu’elles cachent est plus important que ce qu’elles montrent. Le plus important est de savoir comment est répartie la richesse produite. Et c’est justement là où résident les enjeux et où se cristallisent les contradictions sociales.  On retiendra, à ce niveau, l’écart entre les 10% les plus riches et les 10% les moins aisés. Ainsi,  les 10% de la population les moins aisés vivent avec moins de 6 270 DH par personne et par an (7 756 DH en milieu urbain et 5 157 DH en milieu rural), alors que les  10% les plus aisés disposent de plus de 41 705 DH (48 440 DH en milieu urbain et 28 090 DH en milieu rural). Par ailleurs, les 10% de la population les plus aisés concentrent 37,8% du total des revenus contre 2,2% pour les 10% les moins aisés, ce qui correspond à un rapport inter-décile de 17,2. Et les rédacteurs de ladite note de conclure : « Dans ces conditions, l’inégalité du revenu, estimée par l’indice de Gini, est de 46,4%, relativement élevée et dépassant le seuil socialement tolérable (42%). »

Par ailleurs, et cela confirme une vérité bien établie,  le niveau d’inégalité associé à la répartition des dépenses est moins accentué que celui déterminé sur la base des revenus. Ainsi, si l’indice de Gini est de 38,5%, dans le premier cas, il  grimpe à  46,4% dans le deuxième cas. Par milieu de résidence, ces indices sont respectivement de 37,9% contre 45% en milieu urbain et 30,1% contre 44,5% en milieu rural. 

En fixant le seuil de pauvreté à la moitié du revenu médian, la part des personnes à faible revenu est de 12,7% à l’échelle nationale  en 2019 : 6,8% en milieu urbain et 22,9% en milieu rural. Au total, 4,5 millions de personnes sont pauvres à titre de pauvreté relative, dont les deux tiers (66,4%) résident en milieu rural.

On précisera également, toujours selon le HCP, que le revenu des ménages diffère en fonction de l’âge du ménage, de son  sexe, du niveau de son éducation et de la catégorie socio-professionnelle à laquelle il appartient. A  ce niveau,  parmi les  six grands groupes   distingués, ce sont les  responsables hiérarchiques de la  fonction publique, directeurs et cadres de direction d’entreprises, cadres supérieurs et membres des professions libérales qui disposent   du revenu mensuel moyen   le plus élevé, de l’ordre  17 040 DH. En revanche, la catégorie d’en bas, avec un revenu mensuel moyen de 4720 DH par ménage, est constituée  de manœuvres non agricoles, des manutentionnaires et travailleurs des petits métiers et les chômeurs n’ayant jamais travaillé. Il aurait été, toutefois, utile que les rédacteurs de ladite note nous précisent par quel moyen  « un chômeur qui n’a jamais travaillé », chef de ménage de surcroît,   arrive à dégager un revenu mensuel de 4720 DH !

Toujours est-il que le travail réalisé par le HCP constitue un apport indéniable à la connaissance sur un sujet demeuré jusqu’à présent dans l’ombre. Rappelons que  les données publiées par cette institution sont directement recueillies auprès des personnes enquêtées. Comme telles, elles sont nécessairement minorées. Qui est ce Marocain qui ose annoncer en toute honnêteté son revenu réel ? Une question sensible sur laquelle   le rapport relatif à la richesse globale du Maroc est passé sous silence. Et pour cause ! Par conséquent,  la question des revenus et de leur répartition demeure entièrement posée. Elle nécessite, outre une volonté politique réelle, la mise à contribution de toutes les parties concernées  dont en premier lieu la Direction des impôts, le système bancaire…

En tout état de cause, les inégalités monétaires (formelles) n’expriment que partiellement les inégalités réelles. Ces dernières englobent d’autres variables que les disponibilités monétaires. Elles tiennent à l’accès à l‘éducation,  à la santé, au logement, à la position sociale et aux réseaux d’influence dans la société.  En définitive, nous sommes  devant un  chantier très vaste qui reste encore  à défricher sur le plan théorique et à trancher sur le plan politique.  C’est tout un programme !

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