«Une seconde chance pour les malchanceux, mais pas pour les coupables»

Lahcen Leghlmi, avocat au barreau de Casablanca

L’entreprise n’est jamais à l’abri d’incidents de parcours pouvant mettre en péril sa pérennité. En prenant en compte trois facteurs, notamment les intérêts de l’entreprise en difficulté, des créanciers qui souhaitent être payés le plus rapidement possible et de la collectivité entière qui redoute les conséquences économiques et sociales de la disparition d’une entreprise, la législation marocaine a réalisé de grandes avancées. La priorité étant de sauver des activités compromises et les intérêts des créanciers, mais aussi de sauvegarder les emplois et maintenir plusieurs secteurs économiques au Maroc. Diverses mesures et solutions telles que les procédures de redressement de l’entreprise et la liquidation judiciaire ont ainsi été mises en place. Par ignorance, certains dirigeants croient agir en toute impunité !

Avec la loi 15-95 formant code de commerce promulguée par le dahir du 1er août 1996, une nouvelle philosophie de sauvetage de l’entreprise en difficulté a vu le jour. Le législateur marocain veut sauver l’entreprise en essayant de l’aider à surmonter ses difficultés. Mais certains dirigeants voient dans ce mécanisme assurant la survie et la restructuration des entreprises en difficulté, une issue vers l’irresponsabilité. Une erreur fatale ! La réglementation est aménagée de façon à éliminer les entreprises économiquement condamnées sans cependant frapper d’infamie les dirigeants qui ne l’ont pas mérité, et inversement à assurer la survie d’entreprises pouvant être financièrement redressées au besoin, en écartant leur dirigeant dont la gestion serait critiquable.

Il n’existe aucune immunité civile et pénale en faveur des chefs d’entreprises en difficultés qui sont de mauvaise foi. Ils peuvent être qualifiés de «banqueroutiers».

Les règles spéciales dérogent aux règles générales. Pour réprimer l’auteur de certaines infractions commises par les responsables d’entreprises telles que la banqueroute, il faut appliquer les dispositions du code de commerce par dérogation au droit pénal.

La responsabilité pénale des dirigeants de l’entreprise en difficulté est régie par les articles 721 et suite du Code de commerce. En effet, l’article 721 considère comme banqueroutier «les dirigeants de l’entreprise individuelle ou à forme sociale ayant fait l’objet d’une procédure qu’ils soient de droit ou de fait, rémunérés ou non», ayant commis des faits nuisibles à l’entreprise en difficulté après l’ouverture de la procédure du traitement. Le recours pour banqueroute émane soit du ministère public, soit sur constitution de partie civile du syndic (art 725).

À signaler que les formulations de la loi marocaine semblent permettre de poursuivre le délit de banqueroute même en cas de procédures non judiciaires de traitement des difficultés de l’entreprise, tel que les procédures de prévention interne ou externe (règlement amiable). De son côté, le législateur français exige l’ouverture d’une procédure judiciaire (redressement ou liquidation).

Quant aux faits constitutifs de banqueroute, ils sont au nombre de quatre en vertu de l’article 721 du code de commerce. « […] 1) avoir l’ intention d’éviter ou de retarder l’ ouverture de la procédure de traitement, soit fait des achats en vue d’ une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds; 2) avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’ actif du débiteur; 3) avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur; 4) avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’ entreprise ou de la société ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque la loi en fait l’ obligation». Concernant le quatrième fait, des poursuites peuvent être engagées lorsque la comptabilité ne retrace pas des opérations réelles de l’entreprise et qu’elle donne en apparence une image avantageuse de l’entreprise.

Conformément à l’article 722 dudit code, «la banqueroute est punie d’un an à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 10.000 à 100.000 dirhams ou d’une de ces deux peines seulement. Encourent les mêmes peines, les complices de banqueroute, même s’ils n’ont pas la qualité de dirigeants d’entreprise. La peine prévue au premier alinéa est portée au double lorsque le banqueroutier est dirigeant, de droit ou de fait, d’une société dont les actions sont cotées à la bourse des valeurs».

De même que le comptable, est jugé complice le banquier qui accorde des crédits à une entreprise dont l’activité est irrémédiablement compromise financièrement. Un soutien abusif d’une activité déficitaire en retardant l’ouverture d’une procédure de traitement.

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Contrat de prêt :

Le consommateur marocain est-il vraiment protégé

contre les clauses abusives insérées dans les contrats de prêt ?

znaidiiAvant de répondre à cette question délicate qui a fait couler beaucoup d’encre, il est très important de rappeler un principe juridique essentiel, selon lequel : «le contrat est la loi des parties». En effet, le contrat valablement formé entre les parties contractantes a une force obligatoire. D’ailleurs, l’article 230 du Droit des obligations et contrats (DOC) qui est le fondement du principe de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle, stipule que : «les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi».Toutefois, tout ce qui est contractuel n’est pas nécessairement juste !

Pour mieux répondre à cette problématique, il convient de souligner que les efforts fournis par le Maroc pour améliorer le climat des affaires et favoriser l’investissement, ont eu un impact positif sur le développement économique du Royaume, ce qui a donné lieu à une progression du niveau de vie sans précédent.

Partant, des établissements économiques puissants se sont implantés au Maroc, proposant ainsi aux consommateurs (acteurs économiques et parties prenantes dans un contrat) une diversité de produits et services bien adaptés à leurs besoins et devenus indispensables.

Certes, ces professionnels -jouissant des capacités techniques nécessaires et des connaissances très étendues leur permettant de contracter en toute connaissance de cause- n’hésitent pas à imposer dans leurs contrats d’adhésion des clauses de nature à leur accorder des avantages excessifs, au préjudice du consommateur marocain, qui adhère sans discussion ou négociation. De même, le jargon juridique utilisé dans les contrats de crédits reste inaccessible pour la plupart des consommateurs même avertis. Ce qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, d’où la nécessité de la protection de la partie faible dans la relation contractuelle.

Fort heureusement, le consommateur marocain est protégé aujourd’hui contre les clauses abusives qui figurent dans les contrats de crédit grâce à l’intervention du législateur.

La Loi sur la protection des consommateurs

Le Dahir n° 1-11-03 du 18 février 2011 portant promulgation de la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur a été publié au bulletin officiel n°5932 en date du 07/04/2011, et comporte des dispositions protectrices des consommateurs.

Finalités de la loi n°31-08 :

Cette Loi, partant de l’existence d’une inégalité de situation entre le professionnel et le consommateur, a pour finalité de :

1- Corriger et assurer l’équilibre dans la relation contractuelle liant le professionnel au consommateur ;

2- Garantir la protection du consommateur quant aux clauses contenues dans le contrat lors de sa formation et de son exécution, notamment les clauses abusives ;

3- Et de reconnaitre le mouvement associatif en matière de défense des intérêts des consommateurs.

Relation entre Fournisseur/ Consommateur (Prêteur/Emprunteur) :

La loi n°31-08 relative à la protection du consommateur (dénommée ci-après la «Loi») a eu un impact direct sur l’économie nationale généralement et sur l’activité bancaire spécialement.

Ce texte a introduit de nouvelles dispositions régissant le crédit à la consommation et le crédit immobilier et vise expressément la relation entre fournisseur/ consommateur (Prêteur/Emprunteur).

Droits du Consommateur lors de la conclusion d’un contrat de prêt :

Le consommateur désirant bénéficier d’un prêt aujourd’hui, jouit de plusieurs droits conférés par la Loi, notamment :

Le droit à l’information : Le professionnel est tenu de fournir au consommateur toutes les informations utiles et nécessaires avant la conclusion du contrat, notamment : les conditions de l’assurance proposée, sa durée, les risques couverts et ceux exclus, le coût global du crédit et du taux effectif global, le montant de l’échéance, dont la part correspondant aux intérêts, le montant de la TVA …etc.

Le droit à une OPC : L’organisme bancaire est obligé de lui soumettre gracieusement une offre préalable de Crédit (OPC).

Le droit à larétractation : Le consommateur dispose d’un délai raisonnable pour changer d’avis et se rétracter.

Le droit de la protection : Sauvegarde des intérêts économiques du consommateur en ce qui concerne les clauses abusives.

Le droit au remboursement par anticipation partielle ou totale : A tout moment, l’emprunteur peut payer comptant tout ou partie du montant restant dû.

Le droit d’avoir un contrat en Arabe : L’établissement bancaire doit donner obligatoirement au consommateur un contrat de prêt rédigé en langue arabe parallèlement à celui écrit en français (article 206 de la loi)…etc.

Le droit à la représentation : En cas de litige de consommation, le consommateur peut être représenté par son avocat ou par une association de protection du consommateur pour le règlement à l’amiable ou pour le règlement par voie judiciaire. Ils peuvent demander à la juridiction compétente de supprimer une ou plusieurs clauses illicites ou abusives insérées dans le contrat (type).

Il est à rappeler que cette législation protectrice des intérêts de la partie faible ne s’applique que pour les contrats conclus entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur civil.

Il va sans dire que la Loi n° 31-08 du 07/04/2011 a introduit la notion de «clause abusive» afin de mieux protéger le consommateur (Partie faible au contrat).

Qu’est-ce qu’une clause abusive ?

En matière de droit de la consommation, une clause est considérée comme abusive quand elle instaure un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des deux parties au contrat, au détriment du non-professionnel ou du consommateur.

Les clauses nécessairement abusives :

L’article 18 de la Loi n°31-08 présente une liste indicative et non exhaustive de dix-sept clauses pouvant être qualifiées d’abusives, telles que :

* Prévoir un engagement ferme du consommateur alors que l’exécution de l’engagement du fournisseur est assujettie à une condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté ;

* Autoriser le fournisseur à résilier le contrat de façon discrétionnaire si la même faculté n’est pas reconnue au consommateur, ainsi que de permettre au fournisseur de retenir les sommes versées au titre de prestations non encore réalisées par lui, lorsque c’est le fournisseur lui-même qui résilie le contrat ;

* Autoriser le fournisseur à modifier unilatéralement les termes du contrat sans raison valable et spécifiée dans le contrat et sans en informer le consommateur ;

* Obliger le consommateur à exécuter ses obligations alors même que le fournisseur n’exécuterait pas les siennes ;

Les clauses présumées abusives, à charge de preuve contraire par le professionnel

La pratique démontre justement que malgré l’existence d’un arsenal juridique spécial régissant les contrats de crédit et limitant considérablement l’autonomie de volonté, et bien que la Loi ait été publiée au B.O en 2011, certains professionnels n’ont pas observé la volonté du législateur qui a imposé des règles d’ordre public aux contractants, dans le but de protéger la partie la plus faible qui (précisons-le) n’a pas le droit de discuter ou de négocier les clauses imposées.

Certaines clauses contractuelles insérées dans les contrats de prêt procurent un avantage excessif au professionnel en raison de sa puissance économique,impliquent un rapport de force et attestent un déséquilibre significatif d’où découle une situation d’inégalité et une atteinte permanente à la stabilité de l’engagement des parties.

Le consommateur Marocain pourra aujourd’hui invoquer le caractère abusif de la clause contractuelle, et le professionnel devra rapporter la preuve contraire. Il devra ainsi démontrer l’absence de déséquilibre entre les droits et obligations des parties.

Conformément aux dispositions de l’article 18 de la Loi n° 31-08 et contrairement aux stipulations du D.O.C, la charge de la preuve du caractère non abusif incombe au professionnel et non au consommateur en cas de litige de consommation.

Sanction de la clause abusive

Conformément aux dispositions de l’article 19 de cette Loi, «sont nulles et de nul effet les clauses abusives contenues dans les contrats conclus entre fournisseur et consommateur. Le contrat restera applicable dans toutes ses autres dispositions s’il peut subsister sans la clause abusive précitée». Compte tenu de la gravité de l’atteinte portée à l’équilibre des contrats par l’insertion des clauses abusives, seule la clause litigieuse sera réputée non écrite ! C’est-à-dire comme si elle n’existait plus, et le consommateur retrouve ainsi ses droits, sans que le contrat de crédit immobilier ne soit remis en cause. Autrement dit, les autres dispositions du contrat demeurent valables et continueront de s’appliquer.

Il convient de noter que la Loi a mis l’accent sur la nécessité de la rédaction des conditions et modalités du contrat d’une manière claire et explicite pour permettre à l’emprunteur d’être au courant de toutes ses obligations contractuelles.

A rappeler que les organismes de crédit, à l’instar des fournisseurs de biens et services devraient mettre leurs contrats de crédit immobilier (contrat d’adhésion) en conformité avec les dispositions de la Loi dans un délai de six mois à compter de la date de sa publication au Bulletin officiel.

Le rôle du juge dans la répression des clauses abusives :

Il est à noter que la Loi 31-08 et ses décrets d’application ont facilité le travail des juges marocains qui résorbent de plus en plus le déséquilibre qui existe dans la relation contractuelle entre les consommateurs et les professionnels.

Indépendamment du principe juridique, «le contrat est la loi des parties» (Art 230 du DOC), et veut protéger la partie faible dans la relation contractuelle, et sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 461 aux 477 du Doc et à l’article 264 ou encore à l’article 878 du DOC. Le législateur Marocain est intervenu en vertu de l’article 16 de la Loi, en accordant au juge un pouvoir d’appréciation très large, et ce, en se référant à toutes les circonstances qui entrent en jeu au moment de la conclusion de contrat, pour déterminer le déséquilibre entre les droits et obligations des parties.

Toutefois, en cas de doute sur le sens d’une clause qui manque de clarté et de transparence, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut.

Il convient de s’intéresser aux décisions judiciaires toutes récentes en matière de litiges de consommation, notamment les litiges relatifs à l’application et l’exécution des contrats de prêts. Les juges saisis, en se basant sur la Loi n° 31-08 et sur leur pouvoir d’appréciation, ont déclaré abusives, au sens où l’entend la loi, certaines clauses litigieuses insérées dans le corps des contrats de crédit.

Certes, ces décisions judiciaires (rendues principalement par les tribunaux de Rabat, Casablanca, Marrakech, Fès et Meknès) sont considérées réconfortantes et très satisfaisantes, et deviennent aujourd’hui une référence et une position constante pour les juridictions du Royaume.

Les associations de défense et de protection des consommateurs :

Les associations de protection des consommateurs devraient s’impliquer davantage dans la sensibilisation des consommateurs par des activités de proximité touchant aux droits et obligations du consommateur, aux clauses abusives qui présentent un danger réel pour le consommateur, aux moyens de recours et procédures de dépôt et de traitement de requêtes, ainsi que les réponses aux diverses questions du droit de la consommation. Ces associations doivent élargir la base des adhérents bénévoles!

Les associations de protection des consommateurs sont appelées à créer des sites Internet dédiés à l’information des consommateurs.

Rôle des médias :

Les médias devront jouer leur rôle important dans la production et/ou la diffusion d’informations utiles -en langue arabe- pour les consommateurs et renfoncer leur couverture des problèmes, différends et litiges de consommation au Maroc. Ils doivent également jouer le rôle de passerelle entre le consommateur, les professionnels d’une part, et les associations de protection des consommateurs d’autre part.

ZNAIDI ZAKARIA

Juriste d’affaires/Conseiller juridique

Chercheur en Sciences Juridiques

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