Mohamed Ali Rebaoui, le diseur d’Oujda

Depuis son jeune âge, il rêvait de devenir compositeur de musique, mais le destin en a décidé autrement. De l’avis des critiques littéraires, il est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands innovateurs en poésie arabe. Ses œuvres lui ont même valu une réputation de modernisateur irréductible, dépassant les frontières du Royaume. Féru des syllabes et des rythmes lyriques, l’expression poétique demeure pour Mohamed Ali Rebaoui «une fenêtre pour appréhender les cultures des peuples, car, en fin de compte, elle constitue l’essence, voire la quintessence même de toute civilisation», affirme-t-il au journal Al Bayane.

Visage jovial, toujours tiré à quatre épingles, l’enfant de Kasr Asrir, un village situé à quelques kilomètres de la ville de Tinejdad, a vécu un parcours riche d’évènements, partagé entre plusieurs lieux : de Sidi-Kacem à Oran avant un passage par Rabat pour s’établir définitivement à Oujda qui devint sa ville d’adoption. La ville millénaire incarne toute l’histoire de ce magicien du verbe qui a marqué à tout jamais l’almanach de la poésie non seulement au Maroc mais également à l’échelle du monde arabe. D’ailleurs, il préfère se définir comme un poète itinérant, universel et humaniste.

Pourtant, depuis sa tendre enfance, l’auteur de «Les oiseaux du matin» vouait un amour incommensurable à la musique. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, il a découvert sa passion pour les mélodies lors des lamentations funéraires. «Les gémissements et les cris des femmes, pareils à une oraison funèbre me transportaient dans un monde à part. Pour moi, cela ressemblait à une mélodie au rythme de chagrin et de tristesse», confie-t-il.

Et d’ajouter, «dès l’âge de 6 ans, j’ai veillé à assister à tous les funérailles. La femme enrobée d’un vêtement noir proférant des expressions louant les vertus du défunt tout en étant suivie par d’autres femmes, hante toujours mon esprit. Cela me procurait un sentiment de mélancolie et de chagrin dont j’ignorais l’origine», confie-t-il.

Ali Rebaoui se rappelle encore de son retour avec sa famille d’Oran vers Sidi Kacem où il ne ratait aucune occasion pour aller regarder de longs métrages, juste pour écouter la musique du film et rien d’autre. Depuis lors, il commença à écrire des poèmes, en passant ses heures de loisirs à écouter Jacques Brel et Charles Aznavour. «J’étais très influencé par les chansons expressives qui sont d’une grande beauté esthétique et traduisent parfaitement la force des mots», raconte-il en substance.

Un jour, son père découvrit son journal intime où le jeune poète tenait à éterniser ses chansons. Cela lui coûta une sacrée bastonnade. «Etant donné que j’ai été élevé dans un entourage conservateur, la musique était bannie et relevait du dédain», explique Ali Rebaoui. «Faute d’un environnement favorable, j’ai abandonné catégoriquement l’idée de la musique. Je me suis ainsi orienté vers l’écriture poétique qui a constitué pour moi une sorte d’alternative», lance-t-il.  Il faut dire que la vocation de l’enfant de Tinejdad pour la poésie a germé depuis qu’il était encore en deuxième année du primaire. Chaque jour, il se rendait avec ses copains d’enfance El Arbi et Hassan dans la forêt de la ville pour leur faire découvrir ses poèmes. «Ce fut pour moi un jeu de théâtre, un moment de refuge où je pouvais exposer mes poèmes devant mes amis qui étaient mes premiers auditeurs», indique-t-il.

En 1967, alors qu’il venait de fêter ses 18 printemps, l’auteur de «La grotte et l’ombre» devient instituteur de la langue de Molière dans la ville de Rabat, tout en restant fidèle à sa passion, celle d’écrire des poèmes.

Ses œuvres poétiques ont trouvé écho auprès de nos voisins de l’Est.  Pour l’histoire, c’est le poète algérien Abou El Kacem Khammar qui l’encouragea à poursuivre et à ne pas s’arrêter à mi-chemin. Ce dernier lui ouvrit même les colonnes du journal arabophone «Le Peuple», pour publier ses œuvres artistiques.  L’aura de Rebaoui va atteindre même la Tunisie, l’Irak ou encore le pays du Cèdre où il fut convié à publier ses œuvres dans la revue «Le littéraire». Son étonnement fut grandissime le jour où il reçut une correspondance de Salah Abdel Sabour, essayiste et dramaturge égyptien, qui lui faisait des remarques critiques. «Ces critiques furent pour moi une sorte de motivation. Autrement dit, elles eurent l’effet d’un déclic. Bref, J’étais déterminé à aller jusqu’au bout de ma passion», souligne-t-il.

Mais, l’ironie du destin, c’est que le poète ne sera connu au Maroc qu’à partir de 1973, quand il publia un  poème intitulé «Le Cavalier d’Oujda» dans la rubrique culture du journal Al Alam. A l’époque, les œuvres poétiques de Ali Rebaoui séduisirent les chanteurs marocains tels la diva de la chanson marocaine Samira Bensaid (Hikayat al Ams – Histoire d’hier) ou encore Mohamed Idrissi (Ya Ghazalan), entre autres.

Oujda, retour au soi

Pour des raisons familiales, il décida de revenir dans son berceau et son amour. En 1973, il est de nouveau affecté à Oujda. Une aubaine qu’il était décidé à ne pas rater ; il intégra ainsi l’Université Mohammed Premier en 1978.  Il s’installa au quartier Bouknadel.

Après des années d’études, son parcours fut couronné par un doctorat d’Etat sur la métrique poétique en 1994.  «La ville d’Oujda m’a permis de concrétiser mes rêves », reconnait-t-il. «J’y ai trouvé des gens sincères et francs, communiquant sans ambages ni tergiversations et faisant preuve d’une spontanéité inouïe.  Cela a renforcé mon attachement à la ville, car j’ai trouvé que de tels comportements vont parfaitement de pair avec la culture d’une personne issue d’un milieu bédouin», explique-t-il.

«Oujda, mon amour pour toi est plus grand que toute autre chose. Et ton nom est le plus beau de tous les noms», écrit-il dans l’un de ses poèmes.

Pour se ressourcer, Ali Rebaoui préférait aller, durant ses week-ends, à l’oasis de Sidi Yahya; «un paradis sur terre, une sorte d’agora où les Oujdis se donnaient rendez-vous pour partager des moments de joie et de plaisir. Malheureusement, cet espace a subi le diktat de l’urbanisme», déplore-t-il.

A Oujda, Ali Rebaoui avec son compagnon de route, Hassan El Amrani,  devint davantage célèbre auprès de la population locale, grâce aux fameuses émissions radiophoniques «Les Jardins de la poésie» et «Félicitations et espoirs», présentées respectivement par feus Mohamed Ben Amara et Yahya Gourari.

Pour Ali Rebaoui, les richesses culturelles de la capitale de l’Oriental sont indénombrables. «La spécificité de la Cité de Ziri Ibn Attia réside dans sa capacité à se positionner en tant que passerelle vers l’Algérie en vue de concrétiser le projet de l’Union maghrébine». Abondant dans le même ordre d’idées, notre poète fait ainsi allusion aux divers points communs liant les deux pays. «Quand je pars en Algérie, je suis chaleureusement accueilli. C’est comme si je fais partie d’eux. Et les liens indéfectibles entre les deux pays dépassent toutes les logiques, à telle enseigne que je ne ressens aucune différence entre les deux peuples, d’où la nécessité de mettre en place un centre de recherche dédié à la culture maghrébine», insiste-t-il. Une orientation qui traduit parfaitement sa personnalité voire sa conception de l’art poétique. «La poésie c’est aimer les autres quelle que soit leur religion ou leur race», conclut-il.

Khalid Darfaf

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