Quand les États-Unis refusaient d’accueillir les Juifs fuyant le nazisme

Mokhtar Homman

Dans notre édition d’hier, un problème technique a dépourvu cet article, publié en page UNE, de ses notes de renvoi. Nous nous en excusons auprès de Mokhtar Homman et de nos lecteurs. Pour des raisons de déontologie, nous le reproduisons, ci-après, avec ses renvois en bas de page. (NDLR)

Face aux menaces antisémites des nazis (le parti nazi fut fondé en 1920 et gagna en influence jusqu’à prendre le pouvoir électoralement en 1933) un grand nombre d’Allemands juifs vont quitter leur pays. C’est à ce moment-là, en 1924, que les États-Unis vont restreindre le droit d’immigration aux Juifs allemands et est-européens.

La loi d’immigration Johnson-Reed votée en 1924 limitait l’immigration des asiatiques et des européens de l’Est et du Sud, dans une vision antisémite des défenseurs de cette loi. Johnson était influencé par l’idéologie du Ku Klux Klan, une organisation violemment antisémite et raciste. Les Européens juifs (et d’autres) ne pouvaient donc émigrer aux États-Unis, comme l’avaient fait massivement leurs coreligionnaires à la fin du XIXe siècle suite aux pogroms en Europe de l’Est. Environ deux millions d’Européens de l’Est juifs avaient émigré aux États-Unis au XIXe siècle.

En Août 1933, après l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Janvier de la même année, il y eu un accord entre les autorités nazies, dont le programme politique prévoyait l’expulsion des Juifs d’Allemagne, et le mouvement sioniste[1] pour transférer, de force, les Allemands juifs vers la Palestine, dans une claire convergence d’intérêts.

Le « choix » de la Palestine était dicté par la fermeture des États-Unis à l’immigration juive, qui était l’aspiration de leur grande majorité. C’est ainsi que 53 000 Allemands juifs émigreront en Palestine entre 1933 et le début de la IIème guerre mondiale. La suite fut le génocide des Allemands juifs et autres Européens juifs.

Les Européens juifs ne bénéficieront pas d’un rétablissement de leurs droits, du retour de leurs biens, d’une juste indemnisation en Europe. Ils seront transférés de force en Palestine, ce qui est cohérent avec le fond antisémite millénaire européen. « Depuis le début, il existe une confluence d’intérêts entre les antisémites, qui veulent se débarrasser des juifs, et les sionistes, qui veulent les concentrer tous sur un territoire »[2].

« Le 31 Août 1945, le président Truman, ému par la situation critique des survivants de l’Holocauste, avait fait pression sur le gouvernement anglais pour qu’il autorise l’immigration immédiate de 100 000 Juifs d’Europe en Palestine »[3]. Tellement ému qu’il n’en voulait pas aux États-Unis, comme les dirigeants européens n’en voulaient pas en Europe.

Ce sera au peuple palestinien, qui n’a aucune responsabilité, comme tous les pays arabes, dans les souffrances des Européens juifs, de subir les conséquences des crimes commis en Europe par des Européens contre des Européens, par leur expulsion de leur terre. Car contrairement aux anciennes émigrations des Européens juifs vers le monde arabo-musulman en fuyant les persécutions en Europe, s’installant paisiblement au Maroc, dans l’Empire Ottoman et ailleurs, cette migration de nature sioniste va se faire par la violence contre les Palestiniens.

Les pays occidentaux ont refusé d’accueillir les Juifs persécutés avant la Shoah, n’ont pas réagi au génocide des Juifs pendant la seconde guerre mondiale. Et quand les Soviétiques libérèrent des camps les survivants, les pays occidentaux n’en ont pas voulu et ont tout fait pour les forcer à émigrer en Palestine.

En Février 2025, Donald Trump propose l’expulsion des Palestiniens de Gaza, sous le sourire approbateur de Netanyahou, et « s’appropriant » (take over) de la bande de Gaza, profits immobiliers en tête. Une différence entre ces deux cas : le génocide des Palestiniens a démarré avant cette proposition d’expulsion.

Forcer le cessez-le-feu à Netanyahou était juste le constat que la méthode du génocide n’était pas efficace, en raison de la résistance palestinienne, pour le nettoyage ethnique de Gaza. Les États-Unis, experts en nettoyage ethnique contre les Amérindiens, veulent faire autrement.

Donald Trump veut forcer les pays arabes à accueillir les Palestiniens expulsés de leur terre ancestrale. Les États-Unis avaient refusé d’accueillir les Juifs expulsés de leur terre ancestrale. Nul doute qu’il exercera des pressions terribles sur les pays arabes voisins et d’autres. Nul doute non plus que les dirigeants des pays européens, malgré leurs condamnations initiales, finiront par s’accommoder de la perspective de l’expulsion des Palestiniens de Gaza, présentant cela comme de l’humanisme, puis l’appuiront. Les pays arabes devront donc se montrer unanimement fermes contre une telle expulsion, contraire au droit international.

[1] Jean-Pierre Filiu : Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Éditions Le Seuil, Paris, 2024, p. 55.

[1] Yakov M. Rabkin : « L’opposition juive au sionisme ». Entretien avec Pascal Boniface. La revue internationale et stratégique, n° 56, hiver 2004-2005, p. 18.

[1] Ilan Pappé : La guerre de 1948 en Palestine. La fabrique éditions, Collection 10-18, 2000, p. 27.

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