La presse nationale, entre la disparition et la résilience

par Mustapha Labraimi

La presse au royaume est agonisante. Elle se meurt par le manque d’intérêt qu’on lui porte. Si rien n’est fait pour la revigorer et lui rendre sa résilience, diverses raisons contribuent à la pousser vers sa lente disparition.

Drastiquement, depuis le confinement sanitaire imposé par le covid, ses lecteurs diminuent et ses acheteurs encore plus. Son distributeur, après le rachat et loin du mot d’ordre d’antan, « un journal pour chaque citoyen », veut assurer ses frais avant d’exercer son métier et peine à payer ce qu’il doit aux éditeurs. Le prix public de sa vente est décalé par rapport aux frais de sa production.Le gouvernement semble ne pas vouloir consolider ce « contrepouvoir plus qu’un quatrième pouvoir » qui, malgré ce que l’on peut lui reprocher dans ses prestations, reste un pilier nécessaire au développement du processus démocratique dans le royaume.

Il est à remarquer que le gouvernementdéveloppe ce qu’il lui parait nécessaire pour les médias officiels en leur accordant les moyensindispensables à leurs activités ; et ce évidemment, à partir de l’argent du contribuable. Il œuvre actuellement à consolider le pôle public des chaînes radiophoniques et télévisuelles.

Mais au lieu d’engloberdans cette approche les autres médias, autres qu’officiels, sans lesquelles la communication au royaume serait « unijambiste », le gouvernement décide unilatéralement de leur accès au soutien public, sans consultations préalables avec les professionnels et sans prendre en compte « la crise des entreprises de presse à la suite des années de la pandémie, des dysfonctionnements du marché publicitaire et des annonces et de la fragilité de l’environnement économique général. ».

La Fédération Marocaine des Éditeurs de Journauxprécise encore que les critères pris en considération, selon la conception gouvernementale, visent la transformation du « soutien public (à la presse) en un soutien au capital des entreprises de presse » (ce qui) « ouvre, en plus, la voie à l’exclusion de la plupart des petites et moyennes entreprises de presse et de la presse régionale, et, partant, met fin au pluralisme et à la diversité du paysage médiatique national. ».

La consolidation du processus démocratique dans le royaume impose, autant que cela peut se faire et à chaque moment, un débat de clarification sur les différentes options qui se présentent dans la société. C’est à l’aune de cette nécessité de débattre et de sa qualité que la prise de décisions par la société s’effectue. La fonction de la presse nationale dans la promotion de ce débat est déterminante. La tension qui peut apparaitre entre toute autoritéet la presse, suite à la critique, à la dénonciation des abus et à permettre à la population de s’exprimer fait d’elle ce contrepouvoir qui, dans le respect de la déontologie, contribue à éclairer les esprits et à transformer les mentalités. Chaque personne, en fonction de sa grille de lecture, se fait « son idée » sur les enjeux en cours dans la société.

L’Histoire a enregistrée la participation effective de la presse nationale pour mobiliser la volonté populaire et garantir la victoire dans tous les combats légitimes menés par notre peuple, de celui mené pour l’indépendance, la confirmation de notre intégrité territoriale à la consolidation du processus démocratique que connaît le royaume.

L’évolution de la presse nationale a permis sa diversification où la recherche de « nouveaux équilibres médiatiques » et la numérisation ont conduit à une professionnalisation accrue et à une capitalisation marchande où la concurrence est mortifère ; à telle enseigne que seule la résistance militante empêche de « fermer boutique ».

Le soutien public à la presse nationale est un devoir civique. Il ne peut être pris autrementdans une logique de marché néolibéral où le profit est déterminant aux dépens des services et fonctions rendus à la société dans son ensemble ; au royaume dans son environnement régional et international.

On ne peut laisser notre société livrée à une information traitée à travers les réseaux sociaux où la confusion règne entre manipulation, fake news et saine information.

De l’existence d’une presse nationale crédible dépend l’image que reflète le royaume. Face à la crise, l’accompagnement de la presse nationale par l’Etat est une exigence démocratique, pour sa résilience et non pour sa disparition.  

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