XXVI – Observations sur le 7 octobre

Sionisme, antisionisme et antisémitisme

Mokhtar Homman

Les évènements du 7 octobre 2023 ont subi un narratif médiatique pro sioniste massif, construit à partir de faux arguments et déformé par d’horribles fake news reprises sans vérification, reproduisant l’argumentation sioniste d’une attaque purement terroriste et antisémite. Cette perversion de la réalité, usuelle par le sionisme, mérite quelques observations.

Ce narratif fait débuter les évènements le 7 octobre, « éludant l’histoire » antérieure et faisant apparaître l’acte de résistance comme une « pure sauvagerie » ce qui permet « d’étendre à l’ensemble des Palestiniens le discours de haine et la logique de représailles » (1). Le sionisme a donné alors libre cours à son projet réel : l’élimination physique des Palestiniens.

La situation dans les territoires occupés avait connu une aggravation importante au cours de la période antérieure. Les négociations pour la libération des détenus administratifs étaient bloquées par Israël depuis 2021, la bande de Gaza vivait une situation de blocus humanitaire et économique. Les provocations et assassinats se multipliaient à Gaza, en Cisjordanie. À Jérusalem/Al Qods des colons violaient l’esplanade des mosquées.

L’agenda sioniste avançait et le soutien arabe à la cause palestinienne ne montrait aucune détermination à la contrer.

L’ultra sioniste Benyamin Netanyahou montrant le « Nouveau Moyen-Orient » à l’AG de l’ONU le 22 septembre 2023. La carte efface la Palestine, Israël annexant Jérusalem Est, Gaza et la Cisjordanie (source : Bryan R. Smith / AFP).

À l’échelle diplomatique, Netanyahou pensait avoir liquidé la question palestinienne et afficha une nouvelle carte de la région où Israël annexait les territoires occupés, se pavanant d’obtenir un accord avec l’Arabie Saoudite pour établir la « paix sioniste ». Le 22 septembre 2023 à l’ONU, deux semaines avant le 7 octobre.

Le sionisme était peut-être sur le point, du moins le croyait-il, de remporter une victoire définitive.

Le droit à résister

Il n’est pas surprenant alors que face à ce danger de mort imminente, la résistance palestinienne ait réagi. Les formes peuvent être applaudies ou critiquées, l’idéologie qui porta cette réaction soutenue ou contestée. Mais l’essentiel a été l’expression du droit à se défendre par un peuple opprimé, par un peuple colonisé. Ce droit de se défendre, seul le peuple palestinien peut s’en revendiquer, jamais la puissance occupante comme le droit international le stipule.

Contrairement à l’argumentation sioniste, le droit à se défendre ne s’applique pas aux territoires occupés, mais seulement en cas d’agression entre États. Les actes de résistance des populations occupées sont considérés légitimes en droit international. Toutes les luttes anticoloniales, tous les actes de résistance contre l’occupation nazie ont été taxés de terroristes par les colonialistes, par les nazis.

Il faut souligner l’extraordinaire action de la résistance palestinienne en termes de préparation, d’organisation et de réussite dans la prise de contrôle de postes militaires israéliens et la capture des militaires de l’occupant. Elle fut menée par plusieurs organisations de la résistance. Ce fut une opération longuement préparée qui a pris par surprise l’armée sioniste, aveuglée par la certitude de sa supériorité et du mépris suprémaciste à l’égard des Palestiniens.

L’opération Déluge d’Al Aqsa a attaqué la Division Gaza en 25 points, la base navale de Zikim (2) et autres objectifs, lançant 5 000 roquettes en quelques heures. Montrer la capacité de résistance et d’infliger une défaite à l’occupant, il ne pouvait s’agir d’une victoire militaire au sens strict, était le premier objectif opérationnel. Le deuxième était de faire des prisonniers militaires dans le plus grand nombre possible pour imposer l’échange avec les détenus arbitrairement et mal traités dans les prisons israéliennes. Il n’était nullement question de s’attaquer à des civils ni de tuer, mais de maximiser l’échange à venir. Les militants de la résistance ayant investi les maisons des civils leur faisaient appeler les militaires afin de les faire prisonniers.

Militants de la résistance palestinienne sur un tank israélien à la bordure de Gaza, 7 octobre 2023 (source : APA images, Maureen Clare Murphy and Ali Abunimah: “Hamas fighters from Gaza storm Israel, capture and kill soldiers”, The Electronic Intifada, 7 octobre 2023).

Cet acte héroïque contre les forces d’occupation ne masque cependant pas que la prise d’otages de civils israéliens n’est pas un acte de résistance, même s’il s’agit d’une action dans une situation de guerre ou de représailles aux assassinats et prises d’otages massifs par Israël. Si les sionistes et leurs complices occidentaux se vantent de faire l’apologie de « leur terrorisme », les partisans de la justice pour le peuple palestinien ne doivent en aucun cas le faire.

Sur les 1143 morts en Israël (3), il y 376 militaires et policiers qui ne sont évidemment pas des victimes civiles (idem pour les militaires faits prisonniers de guerre). Selon les témoignages recueillis par le journal israélien Ha’aretz sur les maisons détruites par des missiles ou des tirs de tanks, sur les tirs d’hélicoptères Apache sur des véhicules fuyant le concert (4), donc par des armes que les militants palestiniens ne possédaient pas, il y aurait donc de nombreux civils israéliens tués par l’armée israélienne (5). La plupart des jeunes fuyant le festival dans leurs voitures ont très probablement été tués par l’armée israélienne, en application d’une doctrine que nous explicitons ci-après.

La propagande sioniste globalise et attribue au seul Hamas et à la résistance palestinienne tous les morts, récit repris sans bémol par les médias occidentaux, faisant de cela la justification des massacres méthodiques perpétrés pendant presque un an et demi contre les civils palestiniens, dans une orgie sanguinaire d’assassinats de bébés, d’enfants, de femmes, de soignants et de journalistes.

Cette démesure meurtrière n’est pas le fruit d’une réaction émotionnelle instantanée, d’un débordement ponctuel d’une soif de vengeance. Sa durée atteste de crimes de sang froid. Mais c’est plus que cela, l’armée sioniste a les outils conceptuels et opérationnels pour ces exécutions et destructions de masse : la « directive Hannibal » et la « doctrine Dahiya ».

La « directive Hannibal » : tuez-les tous

La question qui se pose est l’application de la « directive Hannibal » entrée en vigueur en 1986 dans l’armée israélienne, destinée à empêcher que des prisonniers israéliens puissent être utilisés comme monnaie d’échange par les Palestiniens (6). Elle prévoyait que ceux qui détenaient le prisonnier devaient être détruits par tous les moyens, y compris au prix de la vie du prisonnier lui-même et des civils dans la zone (7). Il est certain qu’elle fut appliquée à Rafah le 1er Août 2014 dans l’opération Bordure protectrice (8). Un colonel de l’armée israélienne (9) a confirmé l’usage de cette directive (« feu libre ») le 7 octobre (10) par des hélicoptères pour empêcher la prise d’otages israéliens, notamment contre les voitures des participants au festival de musique en fuite. L’armée israélienne a aussi tué plusieurs de ses soldats à Gaza qu’elle ne pouvait récupérer (11) pour éviter qu’ils soient faits prisonniers.

L’application de la « directive Hannibal » a reçu une confirmation officielle partielle par le ministre de la Défense israélien en 2023 Yoav Gallant dans une interview à la chaîne de télévision israélienne Channel 12 le 6 février 2025 (12). Partielle car selon lui il s’agirait d’une application « tactique » de la directive et non un ordre général. Curieuse minimisation : toutes les applications sont tactiques car la directive existe déjà, elle doit être exécutée, nul besoin de donner l’ordre d’exécution ! La « directive Hannibal » a été donc employée là où c’était nécessaire, là où des militaires ou des civils israéliens étaient capturés ou en cours de transfert vers Gaza, dans une situation de désordre généralisé de l’armée sioniste où les pilotes d’hélicoptères et de tanks tiraient sur tout, véhicules, maisons dans le kibboutz, tuant militants palestiniens et civils et militaires israéliens. L’armée israélienne a donc bien tué volontairement un nombre considérable d’Israéliens. Elle n’a pas non plus hésité à bombarder Gaza sachant qu’elle tuerait un certain nombre de prisonniers et d’otages israéliens, comme ce fut effectivement le cas. Tel est le sionisme.

La « doctrine Dahiya » : détruisez tout

Cette doctrine, datant de 2008, élaborée par le général Gadi Eisenkot, prône l’emploi d’une « force disproportionnée » afin de créer un maximum de dommages et de destructions, et considère qu’il n’y a « pas de villages civils, ce sont des bases militaires […]. Ce n’est pas une recommandation. C’est un plan » (13).

C’est exactement le plan que l’armée israélienne va appliquer à Gaza : le maximum de destructions, le maximum de victimes collatérales (14). D’où l’emploi de bombes de 500 kg et d’une tonne pour abattre tout suspect de la résistance. D’où la destruction d’hôpitaux, d’écoles, de centres de distribution alimentaire, des points d’accès d’eau, tous considérés comme des « bases militaires ».

Destruction de l’hôpital Al-Shifa (source : APA images, Nora Barrows-Friedman: “Al-Shifa Hospital in ruins”, The Electronic Intifada, 1er avril 2024).

Ce plan sera exécuté immédiatement après le 7 octobre. Sous le brouillard de la propagande sioniste, la hasbara, en parfaite connaissance de la réalité des massacres massifs qui ont eu lieu principalement en octobre et novembre 2023, de nombreux dirigeants occidentaux iront faire allégeance à Netanyahou en Israël. Savouraient-ils autant que certains ministres sionistes ce génocide déjà en cours ? Souhaitons qu’ils soient un jour justiciables.

La propagande et manipulation des médias

Le Hamas a reconnu avoir pris des otages ce qu’il considère légitime. Mais cela est contraire au droit international humanitaire, comme le serait tout acte contre des civils au cours de l’opération, et s’il s’agit d’assassinat ce serait un crime de guerre qui ne peut être justifié par les crimes de guerre israéliens. Par contre faire des prisonniers militaires est une opération parfaitement légitime et légale comme acte de résistance à l’occupation. Hamas nie, avec raison, les horribles fake news divulguées par la propagande sioniste et reprises telles quelles par certains dirigeants et médias occidentaux, sans corriger une fois prouvé qu’il s’agissait de fausses informations fabriquées comme l’a montré le journal israélien Ha’aretz par une enquête sérieuse dès décembre 2023 (15).

Mais les grands médias et dirigeants occidentaux reprendront le narratif sioniste sans la moindre prudence. « Terrorisme, pogroms », « 40 bébés décapités », « bébé dans un four », « viols »… Rien de tout cela n’est vrai, mais sera diffusé tel quel par les médias occidentaux pour justifier les opérations génocidaires à venir, qualifiant la résistance avec les mêmes termes que le gouvernement sioniste sur la base d’arguments racistes, du même type que ceux employés par les nazis contre les Juifs. Israël refusera toute enquête internationale sur les évènements du 7 octobre.

Le sionisme est passé maître dans la manipulation des médias, dans l’inversion des rôles, dans le mensonge mille fois répété (16).

Avant d’être forcé par les États-Unis d’accepter le cessez-le-feu actuel, Israël a bloqué systématiquement toute possibilité de cessez-le-feu en posant à chaque round de négociations de nouvelles conditions irréalistes. Il a procédé à l’assassinat des dirigeants palestiniens et libanais menant les négociations en vue d’un cessez-le-feu. Ceci confirme que Netanyahou voulait poursuivre la guerre dans sa logique ultra-sioniste. Il a aussi un intérêt personnel comme moyen d’éviter la prison, démontrant ainsi que mêmes les vies israéliennes n’ont aucune valeur pour lui, la libération des otages civils et des prisonniers de guerre étant secondaire. Tous les otages et prisonniers de guerre israéliens tués l’ont été par l’armée sioniste. Netanyahou, dans sa folie sioniste, a déformé l’image du Juif en génocidaire, ce qu’aucun antisémite n’avait jamais osé proclamer. Il est, après Hitler, le plus grand antisémite de l’Histoire.

Et maintenant ?

Nous concluons dans cet article la description et l’analyse, causes et mécanismes, des évènements dramatiques à Gaza et dans la région, en les connectant aux facteurs essentiels qui expliquent la dynamique du monde dans le passé récent et de nos jours.

Nous approchons la fin de notre étude. Nous avons abordé successivement cinq parties composées de la description du génocide, des origines et nature colonialiste du sionisme, du rapport réel entre le monde arabo-musulman et les Juifs, du contexte impérialiste au sein duquel agit le sionisme, enfin la lutte héroïque du peuple palestinien et son environnement régional.

Dans la prochaine et dernière série d’articles nous allons considérer les issues possibles, le rapport des forces et les conditions nécessaires à une solution juste, pacifique et durable pour les peuples palestinien et israélien. À partir des éléments présentés et des analyses considérées dans cette étude, nous conclurons, au cours de l’article de fin, par la stratégie qui nous paraît la plus efficace et juste pour atteindre ce but.

Mokhtar Homman, le 14 mars 2025

Demain : XXVII – Le rapport de forces et les issues à court terme

Notes

  • Didier Fassin : Une étrange défaite, p. 34 (toutes citations du paragraphe).
  • Jacques Baud : Opération Déluge d’Al Aqsa, p. 222 et suivantes.
  • Didier Fassin : op. cit., p. 17. Ce nombre est approximatif selon les sources.
  • Jacques Baud : op. cit., p. 231 et suivantes.
  • Selon les estimations, le nombre d’Israéliens tués par l’armée israélienne s’élèverait à plusieurs centaines, in Asa Winstanley : “How Israel killed hundreds of its own people on 7 October”, The Electronic Intifada, 7 Octobre 2024. Julia Frankel et Alon Bernstein: “Israeli army probing death of 12 hostages in Kibbutz Be’eri house shelled on orders of senior officer”, Ha’aretz, 6 février 2024.
  • Le soldat franco-israélien Gilad Shalit, fait prisonnier en 2006, fut échangé contre la libération de 1027 prisonniers palestiniens en 2011. Une proportion qui a sans doute renforcé la détermination à appliquer la « directive Hannibal ».
  • Jacques Baud : Ibidem, p. 88.
  • Raf Sanchez: “Israel ends the ‘Hannibal Directive’”, The Telegraph, 29 Juin 2016.
  • “Col. Nof Erez says the Israeli military likely killed its own civilians in multiple instances on 7 October to prevent them being taken back to Gaza as captives of Hamas”, in The Cradle, 20 Novembre 2023, reprenant une interview parue dans Ha’aretz du 15 Novembre 2023.
  • Jacques Baud : Ibid., p. 89.
  • Jacques Baud : Ibid., p. 89.
  • Asa Winstanley: “Defense minister confirms army orders to kill Israelis on October 2023”, The Electronic Intifada, 7 février 2025.
  • Jacques Baud : Ibid., p. 85, (toutes citations du paragraphe et le paragraphe lui-même).
  • James Rothwell: ‘Israel abandons precision bombing in favour of damage and destruction’, The Telegraph, 11 octobre 2023.
  • Ha’aretz du 3 Décembre 2023 : « Le massacre du Hamas a conduit à la diffusion d’histoires d’horreur, qui ne se sont pas toutes déroulées dans la réalité. La vérité est déjà assez dure ». Il s’agit notamment d’atrocités contre des bébés et des enfants, y compris des affirmations de Netanyahou à Biden que celui-ci repris en public, qui se sont révélées fausses. Article repris et traduit par Middle East Eye du 4 Décembre 2023.
  • Joss Dray et Denis Sieffert : La guerre israélienne de l’information. Les auteurs font une description très précise de la manipulation israélienne, et sa reprise dans les médias occidentaux, à propos des négociations de Camp David sur « la généreuse proposition de paix » qui aurait été refusée par Yasser Arafat. Ils démontrent qu’il s’agit d’un pur mensonge. Les mécanismes de cette tromperie médiatique sont à nouveau à l’œuvre pour couvrir le génocide à Gaza.

Bibliographie

Baud, Jacques : Opération Déluge d’Al Aqsa. La défaite du vainqueur. Éditions Max Milo, Paris, 2024.

Dray, Joss et Sieffert, Denis : La guerre israélienne de l’information. Désinformation et fausses symétries dans le conflit israélo-palestinien. Éditions La Découverte, Paris, 2002.

Fassin, Didier : Une étrange défaite. Sur le consentement à l’écrasement de Gaza. Éditions La Découverte, Paris, 2024.

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