‘’«Ziyara», un film personnel sur les gardiens de cimetières juifs au Maroc’’

Entretien avec la réalisatrice de films documentaires Simone Bitton

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Dans son documentaire «Ziyara», Simone Bitton  est allée à la rencontre des gardiens de cimetières juifs. Certes, le film est un long périple dans les quatre coins du Maroc, mais c’est aussi un hommage à ces personnes discrètes, gardiennes de la mémoire qui vivent dans l’ombre. Pour la réalisatrice, ce film est personnel braquant les lumières sur ces personnes modestes et humbles. «Ziyara» a été projeté dans le cadre de la 22ème édition du festival national du film de Tanger, compétition du documentaire. Rencontre.

Al Bayane :«Ziyara», pourquoi ce film ?  Est-il un documentaire personnel ou intime?

Simone Bitton : Ce n’est pas un film intime, ce n’est pas un film sur ma famille, sur ma vie et mes histoires de psychologie. C’est un film personnel au sens le plus collectif du terme c’est-à-dire de ma communauté là où je viens. D’ailleurs, j’utilisais mon nom de famille comme une clé avec les gardiens de cimetière parce que la meilleure manière d’entamer la conversation avec un gardien de cimetière juif au Maroc ; c’est de lui demander si des Bittons sont entrés dans le cimetière. En effet, il y en a beaucoup parce que c’est une famille dont le nom est très courant. Pour moi, c’est très personnel. Ma clé d’entrée dans ce monde était mon identité parce que tout ce que j’ai fait après vient de leur.

«Ziyara» est un film sur les gardiens de cimetières juifs au Maroc.  Peut-on dire que c’est un hommage à ces personnes discrètes et gardiennes de la mémoire qui vivent dans l’ombre?

D’une manière générale, c’est l’une de nos missions de documentaristes. C’est ce qui fait la beauté de notre mode d’expression. C’est aussi quand nous filmons et donnons la parole aux gens qui ne l’ont jamais eu. On ne regarde pas les gens les plus humbles, les plus modestes. Par ailleurs, ces gens m’ont bouleversé. Laila, une gardienne d’un cimetière juif,  qui a appris l’hébreu pour pouvoir mieux trouver les tombes quand les gens viennent lui demander. C’est un personnage de grande beauté.

Vous êtes la scénariste et réalisatrice de ce documentaire. Comment ce long voyage a été conçu, écrit et imaginé?

Il y a un travail de repérage dans ce film. Au début, j’ai lu des livres. Mais, après, je les ai oubliés. Par contre, mon travail a été sur le terrain. J’ai fait beaucoup de voyage à travers le Maroc. Je suis allée dans beaucoup d’autres endroits qui ne sont pas dans le film. J’ai fait une vraie «Ziyara», très longue, sur plusieurs mois. Je prenais des photos. Et quand, je retrouvais le lieu et la personne qui m’ont inspiré, je revenais pour tourner. Très souvent, je suis revenue dans un endroit, mais la personne qui était là n’était plus la même. Il y avait aussi de l’inattendu. Il y a certains endroits où je n’étais jamais allée, Illigh, entre autres. Ils m’ont en a parlé que très peu de temps avant le tournage. On n’avait pas eu le temps de faire le repérage. Mais, on y allait quand même. En fait, je ne le regrette pas parce que c’est un endroit très fort, entièrement détruit. C’est une image symboliquement très forte.

L’émotion était forte dans le film. Qu’il en était votre premier ressenti en rencontrant ces gardiens aux histoires différentes?

Dans le tournage, j’ai recrée la situation qui est la situation normale de la raison de vivre de ces gens. Un juif, en général un peu âgé, qui a quitté le Maroc il y a longtemps, et qui revient et qui lui dit : « est ce que tu peux trouver la tombe de ma famille ?». Il est en confiance parce que ça il le fait tous les jours. Dans mon cas, il y a tout simplement une caméra. C’est la seule chose qui change, mais chacun est à sa place dans cette relation-là : moi dans la position de celle qui revient et lui dans la position de celui qui a gardé pour moi ces lieux. C’est ça la justesse de la situation et du film.

Dans le documentaire, il y a cette notion de départ. Au début, c’était le départ pour entamer le long périple, le départ définitif dans les cimetières et surtout à la fin du film ; il y avait un nouveau départ en ouvrant les portes, et surtout la porte d’une ancienne synagogue à Taourirt qui est devenue une salle de cinéma par la suite…

La fin du film était un moment extraordinaire parce que j’étais à Taourirt et le monsieur qu’on voit dans le film, qui s’appelle Ahmed Salhi, m’a tout fait visiter : le cimetière, la ville…Il m’a raconté beaucoup de choses intéressantes. On a filmé avec lui toute la journée. À la fin, il m’a montré la vielle synagogue qui a été transformée en salle de cinéma, un endroit abandonné. Pour moi, c’est extraordinaire qu’une synagogue soit devenue un cinéma. Nous sommes allés. Nous avons trouvé cet endroit fermé avec un cadenas dont personne n’avait la clé. Les gens sympas de la ville se sont allés chercher le numéro du propriétaire de ce lieu qui avait un commerce à côté. Nous avons pu trouver son fils qui est venu nous rejoindre. Je lui ai proposé est ce qu’il accepterait qu’on puisse casser ce cadenas pour y accéder à l’intérieur. On a cassé le cadenas en direct… Ahmed est rentré dans l’endroit où il a tous ces souvenirs de jeune cinéphile. En filmant cette séquence, j’ai su que ça serait la fin du film.

A votre à vis, comment les musées et centres d’études peuvent contribuer la sauvegarde  de la mémoire juive?

C’est très bien d’avoir des musées. On ressent tous une gratitude envers le Maroc en prenant un tel soin de notre mémoire. Si je peux me permettre, je dirais aussi que les juifs ce ne sont pas seulement les synagogues et les musées.  Moi, ce qui me touche le plus, c’est par exemple quand je visite un ancien mellah, qui est habité aujourd’hui par des simples familles avec des enfants qui naissent et qui grandissent, je voudrais qu’elles sachent qu’il y avait avant des juifs qui y habitaient. À vrai dire, des petites plaques qui disent que c’est un ancien quartier juif de notre ville suffisent. Ce qui est essentiel, c’est la trace qui est dans la tête des gens, et non seulement les bâtiments…

Il y a de beaux paysages qui sont mis en valeur dans le film. Il y avait aussi de belles scènes de respiration. Peut-on dire que c’est votre façon peut être de  filmer le Maroc?

Le Maroc est beaucoup filmé. Le Maroc est un beau pays, mais il y a quand même une tendance à le filmer un peu comme une carte postale. Or, le Maroc, c’est tout à la fois. La carte postale est vraie, mais la route défoncée, poussiéreuse est vraie aussi. Quand on voyage en ouvrant vraiment les yeux, on voit la pauvreté, les autoroutes très modernes, les routes de compagne où c’est très difficile de rouler…

Moi je suis documentariste, et j’essaie de montrer les choses telles qu’elles sont. Ce qui est beau, c’est qu’au bout de cette route poussiéreuse, difficile… il y a toujours quelqu’un qui est là pour vous montrer le chemin.

En prenant la route, vous voyez les paysages qui sont modestes. Je n’ai pas filmé les plus beaux et magnifiques paysages du Maroc, mais plutôt la beauté quotidienne.

Malheureusement, les salles obscures marocaines ne programment pas les documentaires. Qu’en pensez-vous?

C’est bien dommage ! Par contre, en France, depuis plusieurs années, le documentaire est rentré dans les mœurs du public. Souvent, les distributeurs et les propriétaires de salles ne comprennent pas ça. Portant, le public aime le documentaire. Par exemple, la rubrique dédiée au documentaire, qui passe dimanche soir sur 2M, a une très forte audience parce qu’ils y mettent beaucoup de films qui parlent des réalités quotidiennes des gens. Ces derniers aiment cette reconnaissance que le cinéma a envers eux. Je pense que c’est un mauvais calcul. Je pense aussi qu’il y a un réel problème avec les salles de cinéma au Maroc parce qu’il n’y en a pas assez pas seulement pour le documentaire parce que toutes les belles villes marocaines ont des salles de cinéma fermées alors que c’était un art populaire par excellence. C’est une amputation ! Je pense qu’il y a une prise de conscience chez les autorités culturelles, mais le temps presse parce que les gens ont perdu l’habitude d’aller au cinéma. C’est une vérité : rien ne remplace un film vu sur le grand écran parce que la salle est le début et le reste qui viendra par la suite.

Un dernier mot pour la fin?

J’étais très heureuse de montrer le film au festival national du film de Tanger parce que nous avons longtemps attendu ce rendez-vous cinématographique à cause de la pandémie. Il n’y a eu pas de festivals pendant deux ans. On était très heureux de se retrouver avec le public.

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