Par Abdeslam Seddiki.
L’année 2025 commence sous de bons auspices du moins sur le plan météorologique avec de la pluie sur une bonne partie du pays et de la neige sur les hauteurs. Espérons que ce don du Ciel se poursuivra à l’avenir pour réaliser, sinon une récolte exceptionnelle, du moins un niveau moyen tel qu’il est prévu dans les hypothèses de la loi de finances 2025. La pluie au Maroc, plus qu’ailleurs, demeure une donnée stratégique et revêt une importance à la fois économique et mythique.
Le gouvernement doit saisir ces moments euphoriques pour conduire à bon port les réformes envisagées et poursuivre les chantiers en cours. On soulignera en premier lieu la poursuite du processus législatif pour l’adoption de la loi organique relative à l’exercice du droit de grève. Si ce processus a traversé l’étape de la Chambre des Représentants en s’appuyant sur la majorité numérique, le plus dur reste encore à faire au niveau de la Chambre des Conseillers où sont représentées les organisations syndicales qui n’ont eu de cesse de rejeter ce projet le considérant comme annihilateur du doit de grève. Il faudrait faire preuve de plus d’ouverture pour dégager un modus vivendi qui arrange toutes les parties prenantes : travailleurs, employeurs (privés et publics). Mission difficile mais n’est pas impossible à condition de faire preuve de souplesse et d’ouverture. L’idéal, pour une pareille loi organique, serait de dégager un consensus pour donner longue vie au texte et créer des rapports de confiance. Bien sûr, une loi organique est ce qu’elle est. Elle n’apporte pas de solution à tous les problèmes de travail. Il faudrait l’accompagner par d’autres mesures non moins importantes : la ratification de l’ensemble des conventions fondamentales de l’OIT notamment la convention 87 relative à la liberté syndicale ; l’encouragement des partenaires sociaux à conclure des conventions collectives ; l’adoption de la loi sur les syndicats en vue de rationaliser le champ syndical et de mettre fin aux « boutiques syndicales » qui ne font que polluer le champ syndical ; le respect de la législation du travail tout en procédant à un toilettage du code du travail ; la lutte contre le secteur informel et l’emploi précaire qui lui est consubstantiel…
C’est en créant les relations de confiance entre les partenaires sociaux, qu’il deviendrait facile d’enclencher le chantier relatif à la réforme des retraites. A cet égard, il est absolument indispensable de mettre sur la table toutes les données relatives à la problématique de la réforme au lieu de distiller l’information au compte goute ou de faire des annonces qui ne tiennent pas la route. Ce chantier social par excellence et d’une grande sensibilité, mérite un traitement global et une approche prospective. Mais auparavant, un diagnostic aussi objectif que possible s’impose. Si le principe d’aller vers deux régimes, l’un public et l’autre privé semble admis, il ne faudrait surtout pas adopter un alignement vers le bas. Au contraire, il faut un alignement vers le haut eu égard au montant dérisoire de certaines pensions notamment dans le privé. Par conséquent, pour qu’une réforme soit acceptée, il faudrait au préalable corriger les anomalies existantes et avoir une nouvelle vision de la retraite et des retraités. A côté de la pension, il faudrait prévoir une série d’autres avantages relatifs à l’accès aux services publics et tout ce qui est de nature à contribuer au bien-être du retraité.
Un autre dossier social est relatif à la généralisation de la protection sociale. Jusqu’à présent, beaucoup de choses ont été faites, du moins sur le papier. On se précipite pour faire semblant de respecter le calendrier. Cette manière de procéder laisse des dégâts derrière. Et en fin de compte, aucun objectif n’est atteint totalement. Au niveau de la généralisation de l’AMO, devant en principe être achevée à fin 2022, on relève, valeur aujourd’hui, que 8 millions de personnes, soit plus de 20% de la population, n’en bénéficient pas encore. Il en est de même pour la généralisation des allocations familiales avec les remous qui ont accompagné l’aide sociale directe suite à l’adoption de cet indicateur maudit que constitue « al mouachir » et dont la composition est sujet à critiques.
L’année 2025 doit être normalement l’année de bouclage de la généralisation de la protection sociale en procédant à l’élargissement de l’affiliation aux régimes de retraite et la généralisation du bénéfice des indemnités de perte d’emploi. Rappelons que la moitié des salariés dans le privé ne sont pas encore déclarés à la CNSS malgré l’effort continu que déploie cette institution à travers ses agents, qui travaillent en tandem avec le corps des inspecteurs du travail. C’est un défi immense qui nécessite à la fois persévérance et pédagogie.
Ce vaste chantier de la généralisation de la protection sociale ne peut réussir et conduit à son terme qu’en réalisant les conditions suivantes : assurer la pérennité de son financement (plus de 50 milliards DH par an) ; disposer d’une offre de soins performante tant en infrastructure hospitalière qu’en travailleurs de la santé, tout en mettant fin aux déserts médicaux ; adopter une politique préventive de la santé à travers des campagnes d’éducation et de sensibilisation ; avoir une approche globale de la santé, « one health », englobant la santé animale, une bonne alimentation, un environnement sain…
On ne doit pas oublier les régions touchées par le séisme de septembre 2023 et celles qui ont été sinistrées par les inondations ravageuses en septembre 2024. Tout en louant les efforts déployés pour venir en aide aux ménages touchés et réparer les dégâts causés suite aux hautes instructions royales, il convient de noter que tout n’est pas encore remis dans l’ordre. Il reste encore beaucoup à faire notamment au niveau de la construction de logements (Haouz) et du rétablissement des réseaux hydrauliques (Sud-est). Entre temps, les habitants continuent toujours de vivre dans des abris de fortune avec des températures en dessous de zéro.
Cependant, là où le gouvernement est le plus attendu, c’est au niveau l’emploi. Il nous a promis d’en faire sa première priorité durant le restant de sa mandature et surtout au cours de cette année. Sans porter un jugement prématuré sur ses intentions, il y a fort à craindre que le miracle ne se produira pas tant que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Sa feuille de route, dont il n’a pas dévoilé l’intégralité du contenu, n’aborde pas de franc les vrais problèmes. L’emploi ne se décrète pas. On ne le dira jamais assez. Il dépend de la croissance mais pas n’importe laquelle : une croissance réellement génératrice d’emplois. Et sur ce plan, nous n’avons rien vu de nouveau si ce n’est « faire du nouveau avec l’ancien »
L’année 2025 est considérée comme une année charnière. C’est au cours de cette année que toutes les réformes doivent être bouclées. Le gouvernement a le devoir de créer les conditions idoines pour conduire ces réformes dans un climat apaisé et une préférence au dialogue constructif. Cela passe par l’envoi de signaux forts relatifs à l’amélioration du niveau de vie de la population, à la réduction des inégalités sociales et territoriales, à la lutte contre la pauvreté, la corruption et surtout à mettre fin au conflit d’intérêts qui a sérieusement terni son image et sa crédibilité. Il faut y aller droit si on voudrait réellement faire ensemble la fête lors de la CAN 2025 qui se jouera sur nos stades à partir du 21 décembre prochain. C’est demain !
NB : je n’ai pas abordé à bon escient la réforme du Code de la famille. Ce projet sociétal mérite à lui seul plus d’une chronique