Les appels à l’apaisement se multiplient

Depuis une semaine, le torchon brûle entre les communautés camerounaise et ivoirienne au Maroc. À l’origine, deux Ivoiriennes ayant été séquestrées et frappées par des Camerounais au quartier Oulfa à Casablanca. L’incident, qui ne concernait au départ que quelques individus des deux communautés, s’est transformé en une véritable guerre intercommunautaire, notamment sur les réseaux sociaux. Alors que cet incident a déclenché de vives réactions de la part de la communauté ivoirienne résidant au Maroc et même dans d’autres pays, les tractations se poursuivent pour résoudre cette affaire et éteindre le feu. Les ONG, responsables communautaires, responsables religieux subsahariens au Maroc, contactés par Al Bayane, qui se sont exprimés sur cette affaire, ont condamné avec force les actes inhumains perpétrés. Ils interpellent les autorités sécuritaires marocaines à élucider cette affaire, à incarcérer les coupables et appellent à l’apaisement des tensions au sein des deux communautés étrangères au Maroc. Le point.

Tout serait parti d’une vidéo « voyeuriste » et choquante diffusée en ligne et montrant deux jeunes Ivoiriennes maltraitées, séquestrées et frappées par des tortionnaires reconnus jusque-là comme étant camerounais, dans la nuit du jeudi 3 août au vendredi 4 août. On y voit les deux jeunes femmes dénudées, frappées et en larmes. Ce qui aurait entrainé de vives réactions au sein de la communauté ivoirienne au Maroc, en Côte d’Ivoire et ailleurs. D’ailleurs, une marche aurait été organisée par la communauté ivoirienne à Casablanca cette semaine, pour mettre la main sur les instigateurs de cet incident. La mobilisation de la communauté ivoirienne contre cet acte abject se poursuit, non seulement au Maroc, mais aussi dans d’autres pays. Un sit-in des femmes ivoiriennes de France était prévu ce vendredi devant l’ambassade du Cameroun à Paris. Toutefois, l’incident aurait donné lieu à des appels à la violence et une guéguerre sur la toile entre les deux communautés. Même si les responsables ivoiriens appellent à faire la part des choses, cela ne parvient pas toujours à calmer les Ivoiriens, outrés par les actes perpétrés.

Sur les réseaux sociaux, l’organisatrice du sit-in, Tina Topo, appelait également les Camerounaises de France à se joindre à la mobilisation. «En exhortant les uns et les autres à faire confiance aux autorités marocaines, qui ont assuré de prendre toutes les mesures en vigueur afin que justice soit faite, je lance aux Ivoiriennes Ivoiriens un appel au calme et à l’apaisement», a déclaré le professeur Mariatou Koné, ministre ivoirienne de la solidarité, de la femme et de la protection de l’enfant.

En effet, le ministère ivoirien de l’Intégration africaine et des Ivoiriens de l’extérieur, Diamoutene Alassane Zié, a diffusé cette semaine un communiqué dans lequel il confie avoir instruit le Directeur général des Ivoiriens de l’extérieur à se rendre sur les lieux du fait et à prendre attache avec l’Ambassade de Côte d’Ivoire au Maroc pour s’enquérir de la situation et proposer une assistance éventuelle. Selon le communiqué et des témoignages parvenus à Al Bayane, les autorités diplomatiques ivoiriennes se seraient rendues effectivement sur les lieux de l’incident. L’ambassade de Côte d’Ivoire aurait entrepris les démarches nécessaires auprès des autorités marocaines, pour apporter une assistance juridique et médicale aux deux jeunes femmes. «A ce jour, les enquêtes se poursuivent pour situer les responsabilités des parties en cause. En outre, notre ambassade suit au quotidien l’évolution de cette affaire », conclut le communiqué.

Si du côté de la Côte d’Ivoire, un communiqué a été diffusé, du côté du Cameroun, rien n’a été diffusé pour l’heure. Interrogé sur ce «silence», un responsable de la communauté camerounaise au Maroc, a confié à Al Bayane, qu’ils travaillaient en coulisses. «Mercredi dernier, nous étions encore en réunion. Nous travaillons en coulisses pour résoudre ce souci, mais nous n’allons pas nous prononcer sur les réseaux sociaux. Nous connaissons très bien les principaux concernés», a-t-il déclaré. À en croire ce responsable communautaire, ils auraient choisi l’option du dialogue avec la communauté ivoirienne. « Les Ivoiriens ont le droit d’exprimer leur colère, c’est tout à fait normal.  Nous faisons un travail de rapprochement pour calmer les tensions. Nous étions sur les lieux avec la police. Nous optons pour une résolution paisible de la situation.», déclare t’il. « Nous refusons qu’il y’ait une récupération de cette affaire, car les actions perpétrées ne l’ont pas été au nom des Camerounais », souligne-t-il.

En effet, d’après les témoignages collectés et des témoignages des victimes en ligne, la police marocaine aurait déjà été saisie de l’affaire. Toutefois, aucun communiqué des autorités sécuritaires sur l’affaire n’aurait jusque-là été diffusé.

Bloquer la vidéo en ligne

Dans un communiqué publié en ligne, l’association de défense des droits des femmes, «SIRAH Nous aidons le Monde», a condamné «l’acte de barbarie des hommes habités par une sauvagerie extrême».  L’ONG française, à en croire son communiqué, s’efforcerait à alerter les pouvoirs publics (Cameroun, Côte d’Ivoire, Maroc, France…) sur ces violences et souffrances qui nécessitent d’être éradiquées par tous les moyens. L’ONG mènerait actuellement des actions auprès des instances de gestion des réseaux sociaux, pour retirer cette vidéo et bloquer toute duplication de celle-ci. D’ailleurs, «elle interpelle tous ceux qui contribuent à la diffusion de cette vidéo, qu’ils n’aident en rien ces jeunes femmes, si ce n’est de les exposer davantage et porter ainsi atteinte à leur intégrité morale et psychologique». L’association appelle, en outre, «chacun à se mobiliser, des individus aux instituions, mais surtout de ne pas rendre justice soi-même, car ce serait perpétuer la bêtise humaine».

Appel à la réconciliation

Même son de cloche chez les responsables religieux subsahariens au Maroc. Contacté par Al Bayane, un responsable religieux subsaharien de l’Eglise Evangélique au Maroc a regretté ces actes de barbarie « qui enflamment non seulement les communautés ivoirienne et camerounaise », mais secouent le Maroc, les deux Etats concernés et les nombreux Subsahariens résidant au Maroc. «Que des jeunes femmes ivoiriennes soient mises à nu et terriblement fouettées par des présumés Camerounais mandatés par une Camerounaise, cela constitue un acte odieux et abominable, quelle qu’en soit la raison », a-t-il déclaré. Le pasteur subsaharien déplore que le «Maroc, terre d’accueil de nombreux Subsahariens venus chercher un avenir, devienne un terrain de bataille entre communautés africaines…qui, par leurs agissements indisposent une multitude». «Il appelle, notamment les Subsahariens résidant au Maroc, les différentes communautés africaines au Maroc, les représentations diplomatiques ivoiriennes et camerounaises au Maroc, et le Royaume du Maroc à travailler ensemble pour la réconciliation et «freiner cette course qui mène à la perte». Il interpelle, en outre, la sécurité marocaine à redoubler d’effort pour élucider cette affaire.

En effet, selon des témoignages concordants recueillis par Al Bayane, tout aurait éclaté à la suite d’une bagarre. En effet, les deux jeunes Ivoiriennes travaillant comme cuisinières et ménagères chez une Camerounaise possédant un restaurant à domicile au quartier Firdaous à Casablanca et y vivant, auraient eu un différend entre elles. Ce qui aurait entrainé de vives disputes entre elles. La bagarre, qui aurait créé du bruit dans l’immeuble, aurait interpelé les habitants qui auraient contacté la police. Les agents de police, ayant été informés du vacarme dans l’immeuble, auraient enjoint la Camerounaise, locatrice du bail à quitter les lieux, puisque ce n’était la première fois. En colère pour avoir été délogée, la Camerounaise aurait sommé les deux Ivoiriennes de lui rembourser la caution de son bail, s’élevant à 8000 dirhams. Incapables de payer la somme requise, les deux jeunes Ivoiriennes seraient allées trouver refuge chez un compatriote ivoirien à Casablanca au quartier Oulfa.

La Camerounaise se serait mise à la recherche des deux jeunes femmes, qu’elle finira malheureusement par trouver, toujours avec la même insistance : payer les frais de sa caution. Les jeunes filles auraient été amenées dans un endroit où elles auraient été frappées, par des bourreaux engagés par la patronne camerounaise. Pour avoir l’argent à tout prix des deux jeunes filles, les tortionnaires auraient alors décidé de filmer ces actes infâmes et d’envoyer la vidéo aux familles des victimes pour les pousser à payer des rançons. La vidéo aurait été par la suite largement diffusée en ligne.

Ismaël Harizi

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