Depuis sa nomination, les analyses fusent quant à sa capacité à endosser le costume de patron de la RAM. Entre ceux qui lui accordent le bénéfice du doute et ceux qui se lancent dans un bashing sans réserve, Abdelhamid Addou aurait pourtant toutes ses chances.
Que l’on connaisse ou pas Abdelhamid Addou, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas été épargné à chacune de ses nominations, avec au premier rang des détracteurs, la presse qui n’a pas été des plus tendres avec lui. A l’annonce de son arrivée à la RAM, c’est un peu le même refrain que l’on entend ici et là. En clair, encore une fois, le costume serait trop grand pour lui.
La première fois que le grand public ou plutôt que les initiés du monde des affaires l’ont découvert, c’est au moment de sa nomination à l’ONMT –Office National Marocain du Tourisme-. Venu du privé, et plus exactement des télécoms, le choix d’un marketeur avait laissé pantois les opérateurs touristiques. Certains lui reprochaient de ne pas maîtriser les enjeux du secteur, d’autres son manque d’expérience car après tout, il n’avait que 10 ans de carrière derrière lui. Aujourd’hui, bien qu’il ait l’avantage d’avoir une meilleure connaissance des enjeux de l’aérien justement à son passage à l’ONMT, on lui reproche de ne pas avoir la tête de l’emploi, le charisme de son prédécesseur.
Un homme de caractère
Idem en 2008. Lorsque cet ingénieur en génie civil prend les commandes de l’ONMT, la critique était pour le moins acerbe, notamment lorsqu’on le compare à son prédécesseur Abbas Azzouzi qui lui, cumule une expérience à l’international, grandes écoles françaises et le tutti quanti qui va avec. Abdelahamid Addou lui est un pur produit de l’école marocaine. Diplômé de l’EMI –Ecole Mohammedia des Ingénieurs-, il a certes démarré sa carrière au sein de multinationales de renom mais n’a pas l’expérience de l’international. Après cinq années passées à Procter & Gamble (Tide, Gillette, Pantene, Braun…), connu pour former et façonner les meilleurs marketeurs au monde, il rejoint une autre grande école: The Coca Cola Company. En tant que trade marketing manager, il a dès lors tout le loisir de s’approprier les méthodes marketing de la marque la plus connue au monde.
«A Coca, on sentait tout de suite sa présence comme son absence », avait déclaré Adil El Fakir, son collègue à l’époque, à l’occasion d’un portrait d’Addou réalisé en 2011. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui l’ont côtoyé et qui lui prêtent un certain charisme, contrairement à ce que pourrait laisser penser son caractère discret. «Une chose est sûre. C’est un homme qui a du caractère et responsable de surcroît», insiste un grand hôtelier de la place. Pour preuve, la réussite est vraisemblablement au rendez-vous, puisque trois ans plus tard, il se retrouve propulsé B2B Business Unit Director de Méditel. Ainsi, son expérience dans les télécoms le prépare à sa prise de fonction future: il est notamment amené à gérer d’importantes équipes et à mettre en musique une grande partie de la stratégie commerciale de l’entreprise. «Méditel fonctionnait comme une start-up, avec un esprit d’équipe très fort, des activations marketing à 360° et une structure exclusivement orientée vers le client», avait-il déclaré à la presse. L’atterrissage au sein de l’ONMT n’en sera pas moins difficile. Les démissions se succèdent, les professionnels l’attendent au tournant, et cette année-là, la cour des comptes épingle l’office. La sentence est sans appel : absence de vision claire, insuffisance dans la gestion du patrimoine, de l’audit interne et dans la gestion du personnel. «Il faut dire qu’il n’a pas été béni des dieux non plus, il a connu trois ministres du tourisme différents: Mohamed Boussaid, Yassir Znagui et Lahcen Haddad», ironise Faouzi Zemrani, vice président de la CNT –Confédération Nationale du Tourisme-. «Quoi qu’on dise de son passage à l’ONMT, il ne faut pas oublier qu’il a essayé d’innover avec les moyens dont il disposait. Souvenez-vous de la campagne Red by Marrakech qui a positionné la ville ocre comme destination haut de gamme, notamment à travers l’installation dans des endroits publics à Londres et à New York de cabines peintes en rouge sous forme de porte traditionnelle où l’on pouvait découvrir des photos du Maroc, ou encore Marocothérapie, une campagne insolite alliant humour et interactivité », ajoute-t-il. L’année qui a suivi sa nomination a enregistré de bonnes performances. «Le Maroc a été la seule destination à attirer plus de touristes en 2009 avec une croissance de 6% », s’était enorgueilli Abdelhamid Addou. En 2010, il décide d’allouer 30% de son budget au web et l’année finit à 9,3 millions de touristes.
«De toute façon, je ne connais pas un seul DG de l’ONMT qui n’ait pas été critiqué, que ce soit Abbas Azzouzi, Fathia Bennis ou les autres. J’ai toujours pensé et dit que les patrons de l’ONMT étaient des boucs émissaires», lance le PDG d’un grand groupe hôtelier. En somme, et de l’avis général, Addou ne laissera pas une bonne impression de son passage à l’office. Congédié sine die en décembre 2013, il est recruté quelques mois plus tard par le groupe Zniber et devient PDG de Diana Holding. «Vous savez, c’est une holding familiale avec une culture d’entreprise bien établie. Diriger un tel groupe exige un certain doigté, ce n’est pas évident », nuancera un partenaire de la famille Zniber. Il n’y fera pas long feu, puisqu’à peine un an plus tard, il devient directeur général de la Saemog- Société d’aménagement de la station d’Essaouira Mogador. Une aubaine pour rebondir dans le tourisme, diront certains ; un cadeau empoisonné, lanceront d’autres car cette station du Plan Azur a connu de nombreux déboires. Lancée il y a une dizaine d’années, elle devait avoir une capacité de 11.000 lits .Au moment de sa nomination, il n’y avait qu’un seul hôtel et quelques lots immobiliers, d’autant plus que la Saemog perdait annuellement 150 à 160 millions de dirhams selon les notes d’information de Risma. «Au risque de paraître acquis à la cause d’Addou, il faut se rendre à l’évidence. Une seule personne ne pouvait pas résoudre d’un coup de baguette magique les problèmes de la Saemog », poursuit la même source. Quelques mois après sa prise de fonction, en mars 2015, il était question d’un nouveau business plan, d’une nouvelle stratégie et même d’une recapitalisation. Mais depuis, silence radio.
Une année charnière pour la RAM
«Je pense qu’aujourd’hui ce n’est pas une question de personne. L’enjeu pour la RAM va au-delà d’Abdelhamid Addou. D’abord, la RAM n’a pas seulement besoin d’un directeur général de qualité, mais d’une dream team, d’un état major qui gère ses métiers stratégiques. Ensuite, je pense qu’il est primordial de se pencher sur les vrais enjeux auxquels doit faire face la compagnie nationale», lance sous couvert d’anonymat un opérateur touristique.
«Il faudrait que la RAM réintègre dans son équation le tourisme, c’est pourquoi nous portons beaucoup d’espoir dans la nomination d’Abdelhamid Addou. Il est vrai que Benhima s’est concentré sur le cœur de métier de la compagnie, à savoir l’aérien car il n’avait pas le choix. Il était tenu par le contrat programme signé avec le gouvernement. Maintenant, il serait bon que ça change », renchérit Faouzi Zemrani, vice-président de la CNT. Avant de poursuivre : «la RAM va sans doute signer un second contrat programme dans les mois qui viennent puisque le premier vient à échéance en 2016. Il faudrait faire en sorte qu’il y ait un budget dédié à l’ouverture de lignes entre les bassins émetteurs et des villes telles que Marrakech, Fès ou encore Agadir à l’occasion de ce nouveau contrat programme». En réalité, Abdelhamid Addou n’aura pas tellement la main sur le sujet, puisque le contrat programme est du fait du gouvernement. Aujourd’hui, vu l’annus horribilis qu’a connu le secteur, les opérateurs espèrent une prise de conscience de la part du gouvernement pour essayer de sauver les meubles car l’année 2016 ne s’annonce pas non plus sous de bons auspices. Seulement là où Abdelhamid Addou sera attendu, c’est sur sa capacité à influer sur le contenu du contrat programme, autrement dit sa capacité à faire passer le message auprès du gouvernement. «Le contrat programme était une excuse légitime pour Benhima. Cependant, au-delà du secteur du tourisme, il faut reposer les termes de l’équation de la RAM : c’est tout le business model RAM qui doit être interpellé», ajoute un fin connaisseur de l’aérien. Pour nombre de professionnels, il s’agit de reconsidérer la taille de la RAM et notamment celle de sa flotte pour plus de viabilité. La maîtrise des charges est un autre volet stratégique à garder impérativement à l’esprit. Enfin, il faut établir une stratégie vis-à-vis du low cost, notamment après la tentative avortée mais néanmoins de bonne volonté d’Atlas Blue. « Il nous faut une compagnie low cost. Soit la RAM doit soutenir Air Arabia d’une manière ou d’une autre, soit elle doit comme les majors avoir la sienne, sachant qu’il est très difficile pour une compagnie classique d’enfanter d’une compagnie low-cost», analyse la même source. Comprenez, il faudrait que la RAM à l’instar d’Air France avec Transavia ou Iberia avec Vueling rachète une compagnie low cost déjà établie. La tâche s’annonce ardue. Aujourd’hui, la RAM traverse de toute évidence une période charnière après avoir été en grande partie redressée. Peut-être fallait-il un autre style de dirigeant pour mener à bien cette transition. «Je l’ai déjà vu montrer les dents, notamment lorsqu’on tapait sur l’office. Mais il a toujours affronté ses détracteurs avec courtoisie » avait glissé Marc Thépot, ancien dirigeant d’Accor au Maroc. C’est peut être là la clé du succès d’Addou: «une main de fer dans un gant de velours».
Soumayya Douieb
Bio express
1997 Ingénieur de l’EMI
1999 Team Leader chargé des comptes clés internationaux à P&G
2002 Intègre Coca-Cola
2005 Directeur entreprises à Méditel
2008 Directeur Général de l’ONMT
2013 PDG de Diana holding (Groupe Zniber)
2014 Directeur Général de la Saemog
2016 PDG de la RAM