Pour lui, un festival devra être un moyen de socialisation qui permet un échange d’idées et d’expériences et éviter de tomber dans la distraction pure et simple. Quant à la polémique entretenue par les islamistes à l’encontre de ces manifestations, notre interlocuteur estime que cela émane d’une méconnaissance de l’histoire propre de notre pays et d’un mimétisme aveugle des mouvements obscurantistes d’Orient. Pour ce qui est de la corrélation entre le politique et le culturel, Gallaoui souligne que la politique doit être au service de la culture pour éviter une prédominance du débat politique au détriment du culturel. Propos.
Pourquoi la multiplication des festivals ? S’agit-il d’un phénomène potable ?
Depuis quelque temps, le Maroc a connu, il est vrai, une effervescence de festivals en tous genres (théâtre, cinéma, chanson, poésie..) ; ce qui dénote à première vue, l’ambition des pouvoirs publics de promouvoir la diversité culturelle que reflète la réalité composite de notre société. Il peut s’agir aussi d’une action en vue de rapprocher le « citoyen ordinaire » de son patrimoine à une époque où la mondialisation tend à aliéner sa propre identité. De ce point de vue, la multiplication des festivals peut être perçue comme un instrument nécessaire de socialisation. Mais, devinant l’arrière fond de la question, je peux dire qu’un festival ne serait potable qu’à la condition d’avoir une raison d’être, une âme en quelque sorte, qui transcende la simple festivité. Au vu du pullulement des festivals, il est tout à fait légitime de s’interroger sur les motivations et les intentions des organisateurs derrière ce phénomène. Ne risque-t-on pas de tomber dans la vulgarisation de ces manifestations en les vidant de toute substance ou, dans le meilleur des cas en en faisant une reproduction du même et unique festival ?
Dans le domaine du cinéma par exemple, celui que je connais le mieux, il y a certes des festivals qui ont fait sûrement leur chemin bien que difficilement le plus souvent . Je citerai à titre indicatif, le festival de Khouribga sur le cinéma africain, le festival de Tétouan sur le cinéma méditerranéen, le festival de Tanger sur le court métrage, le festival du cinéma national, le festival de Salé sur la femme, celui d’Agadir sur l’immigration, de Martil, de Zagoura… Excepté aussi le festival de Marrakech dont le rayonnement international lui suffit, nous n’arrivons toujours pas à déterminer la nature et l’apport des autres festivals pour la promotion du cinéma et de la culture cinématographique, à moins de considérer la restriction du parc cinématographique, en soi et pour soi, comme une raison suffisante. N’oublions pas qu’un festival est une rencontre, une occasion d’échanges d’idées et d’expériences, tout aussi qu’un moyen de valorisation de notre pays et de sa culture. S’il doit se transformer en forum de distraction, ou pire en simple passerelle pour la satisfaction d’ambitions personnelles, il se condamne tôt ou tard à l’usure…
Ces manifestations culturelles continuent à nourrir la polémique animée par les islamistes qui appellent à l’interdiction des festivals jugés comme un bruitage culturel et une incitation à la débauche. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Il est bien connu que tous ceux qui se prétendent défenseurs de l’identité religieuse des Marocains sont les premiers à en dénaturer l’essence. Je veux dire qu’en tant que musulman, le Marocain a toujours vécu en symbiose avec toutes les formes d’expression culturelle et artistique, sans que cela ait pu être ressenti par lui comme une menace pour son appartenance religieuse. Ce dont il s’agit en fait, c’est une méconnaissance de l’histoire propre de notre pays ou d’un mimétisme aveugle des mouvements obscurantistes d’Orient, ceux-là mêmes qui, à l’époque où le Maroc connaissait une véritable ouverture sur le monde à travers ses génies créateurs, sombraient dans l’isolationnisme total tant sur les plans scientifique et culturel que sur le plan artistique. Sommes-nous devenus si atrophiés pour en faire des sources d’inspiration pour notre conduite politique et sociale ? Quel serait le citoyen de demain s’il est dépourvu des moyens d’enrichissement de son âme qui sont l’art et la culture ? Or dans ces domaines seul compte avant tout le respect des formes d’expression. Qu’est-ce qui fait aujourd’hui encore la grandeur de l’œuvre picturale de Gustave Courbet « l’origine du monde » : son contenu ou son contenant ? Peut-on saisir la dimension esthétique et spirituelle du film de Nagisa Oshima « l’empire des sens » ou de la toile d’Hippolyte Flandrin « le jeune homme au bord de la mer » si notre regard se limite à scruter leur surface ? On peut dire autant des images poétiques d’al Ma’arri, d’Abou Nouass, de Nizar Qabani ou encore de Driss Charaibi ou de Choukri….
Que les détracteurs de la médiocrité artistique et culturelle dénoncent et critiquent, c’est tout à fait leur droit, mais que l’on professe l’interdiction de certains festivals et manifestations au nom de la liberté, c’est renier l’un des principes fondamentaux de tout exercice de la démocratie qu’est le droit à la différence !
Les festivals recèlent une dimension politique. Quelle est la corrélation entre les deux domaines ? Dans quelle mesure la culture peut servir la politique et vice-versa ?
La culture, c’est ce qui fait l’identité d’un peuple, la politique c’est ce qui lui permet de vivre. Chaque Etat trace sa « politique culturelle » à moins d’en être totalement dépourvue. En principe, ceci ne doit pas se traduire par une quelconque ingérence dans la liberté créatrice de l’auteur d’une œuvre. Autrement, nous tombons dans le totalitarisme stérile tel que le monde l’a vécu et le vit toujours sous les régimes autoritaires. Dans les pays à économie précaire, tous les créateurs ont besoin d’un soutien financier et matériel pour la réalisation de leurs produits. Pour cela encore faut-il que les investisseurs privés autant que les décideurs politiques prennent conscience du profit qu’ils puissent tirer de la promotion du secteur culturel et artistique. Je ne parle pas évidemment de la conception dominante qui réduit la culture aux actions folkloriques qui lui font perdre tout sens. En somme, c’est la politique qui doit être au service de la culture et non le contraire. Car dans une société où prédomine le débat politique, le niveau culturel se rabaisse !
L’Etat a mis en œuvre une politique de prolifération des festivals dans l’objectif d’encadrer les jeunes et d’absorber les dérives possibles. Est-ce une mission accomplie ?
Il est indéniable que beaucoup d’efforts ont été fournis dans ce sens ; mais de là à en juger l’efficience, seul le temps nous le dira.