Entretien avec Suzanne Harroch

«La musique a réussi là où les politiques et les idéologies ont échoué»

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Elle est citoyenne marocaine de confession juive. Suzanne Harroch est une artiste marocaine de confession juive, douée, engagée à sa manière, et ayant une voix envoûtante et transcendante. Née à Erfoud dans la région de Tafilalet, la chanteuse a développé une passion pour la musique depuis sa tendre enfance. Elle s’est produite vendredi 1er novembre à Dar Souiri dans le cadre de la 16e édition du festival des Andalousies Atlantiques. C’est la première fois qu’elle joue devant le public de cet événement musical international. Nous l’avons rencontrée juste après son concert. Les propos.

Al Bayane: Vous êtes nés à Erfoud dans la région de Tafilalet. C’est dans cette ville où vous avez passé une partie de votre enfance. De prime abord, que représente cette ville pour vous, ainsi que sa culture musicale judéo-marocaine enracinée dans votre mémoire?

Suzanne Harroch : Je suis toujours au Maroc. Je suis native d’Erfoud et fière de l’être. J’ai passé ma petite enfance là-bas. Je suis rentrée à l’école publique où j’ai appris l’arabe que  j’écris couramment. C’est ce qui m’aide actuellement parce que si je n’écris pas une chanson en arabe, je ne peux pas l’apprendre. Nous avons également habité Meknès, avant que mon mari et moi ne nous installions à Rabat que je considère comme ma ville de cœur. Sincèrement, Rabat  m’a tant donné!

La musique est quelque chose qui vous a toujours habitée depuis votre enfance. Parlez- nous de vos débuts. Comment êtes-vous venue au monde du chant, de la parole et de la musique?

La musique est en moi depuis mon enfance. Depuis que je suis petite, j’ai toujours chanté. J’ai chanté en 1996. J’ai chanté Salim Halali. En fait, il n’y a pas une fête religieuse ou familiale où je ne chante pas. J’étais directrice d’un hôtel où j’ai passé des années merveilleuses, mais je n’ai jamais rompu le lien avec la musique.

Votre travail à l’emblématique hôtel de Balima à Rabat a-t-il un impact sur votre carrière d’artiste, sachant que cet endroit était un véritable repère et carrefour pour les artistes et organisateurs de festivals dans le monde?

Effectivement, j’étais dans mon élément parce que tous les organisateurs des festivals venaient là-bas, mais ils ne savaient pas que je chantais. J’étais dans cette ambiance que t’adorais tant. Après ma retraite en 2015, j’ai essayé de chanter. Par la suite, j’ai pensé à faire un CD pour laisser mon empreinte à ma famille et mes petits enfants. J’ai commencé  à travailler toute seule. J’ai participé à une émission à la radio sur la culture judéo-marocaine où j’ai chanté un morceau. J’étais émue par la réaction des auditeurs et des grands chanteurs et compositeurs. Tout le monde a voulu avoir mon téléphone. Puis, il y avait l’intervention du maître Malou Rouane qui est un professeur universitaire, chercheur et compositeur qui a écrit pour Abdelhadi Belkhayat et pour Abdelwahab Doukkali. C’est lui aussi qui a composé l’une des  chansons de Samira Said. Donc il a appelé pour donner son avis sur cette émission et sur ma voix qu’il trouvait magnifique. C’était pour moi un honneur et une fierté.

Vendredi dernier, vous avez chanté un cantique religieux à Dar Souiri dans le cadre de la 16e édition du festival des Andalousies Atlantiques. Ce chant est-il un porte-bonheur pour vous?

C’était mon choix. Pour ma participation à ce festival, j’ai choisi la difficulté pour me distinguer. Quand les organisateurs m’avaient appelé, j’ai dit que je ne vais chanter ni Salim Halali, ni Samy Elmaghribi, mais que je vais préparer un répertoire, le mien. Le chant religieux que j’ai chanté, je le dis haut fort : «il n’a jamais été chanté par une femme».

Quelle était la réaction de vos proches après cette prestation?

Certains membres de ma famille, ceux qui sont assez religieux, en m’entendant chanter ce cantique en famille,  m’ont demandé de m’arrêter, car c’est un chant réservé aux hommes. Mais, j’ai dit : «non, ce chant a été écrit pour nous tous».  Je l’ai arrangé à ma manière. J’ai chanté aussi une chanson pour notre roi et la patrie et une autre pour la paix et la tolérance, sans oublier une chanson dédiée à la mariée afin de la mettre en évidence.

Vous avez aussi chanté en hommage aux femmes de Tafilalet. Est-ce un retour aux origines ou une simple nostalgie du bon vieux temps?

 C’est une chanson qui me tient beaucoup à cœur. Ce sont des chansons que chantaient les femmes de Tafilalet. J’ai voulu leur rendre hommage. Je voudrais rendre hommage à ces femmes parce que ce sont des femmes qui n’écrivent ni en arabe, ni en français, ni en hébreu, mais qui composaient des poésies merveilleuses selon l’humour et les circonstances. Ce sont des femmes en voie d’extinction.

Dans cette optique, comment le chant et la musique peuvent-ils sauvegarder cette mémoire de l’oubli?

La musique est un langage universel. La musique a réussi là où les politiques et les idéologies ont échoué. Il y a des chansons que j’aime, qui me parlent. La musique peut faire avancer tout, elle peut conserver la mémoire humaine. La musique n’a pas de frontières.

Cette 16e édition du festival des Andalousies Atlantiques est dédiée aux femmes artistes musiciennes. Mieux encore, plusieurs voix féminines venues de différents horizons y ont participé. Quel rôle peut jouer la femme artiste non seulement dans l’enrichissement du paysage artistique mondial, mais aussi dans la réécriture de l’histoire de l’art et de la musique?

e rôle principal de la femme artiste ne se limite pas uniquement à chanter, ni à ramasser de l’argent. Son rôle principal, c’est de faire connaitre son pays avec honneur. C’est mon objectif d’ailleurs. En outre,  nous avons besoin de remettre l’histoire à sa place pour la jeunesse parce qu’elle a été mise entre parenthèses pendant quelques décennies. Et c’est ma façon à moi en tant que citoyenne marocaine de confession juive de dire merci et de transmettre mes lettres de noblesse.

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