Par Abdeslam Seddiki.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le nouveau Président des USA qui a promis d’instaurer des droits de douane sur des importations en provenance du Canada, du Mexique, de l’Union européenne et surtout de la Chine, n’a pas tardé de passer à l’action. Il commence par ses voisins les plus proches, le Canada et le Mexique, avec lesquels les Etats-Unis sont liés par un accord de libre-échange qui est toujours en vigueur. Les importations en provenance de ces deux pays seront soumises à partir du 2 février à des taxes douanières de 25%. Les importations en provenance de la Chine, dont la liste n’est pas encore arrêtée, doivent s’acquitter d’une taxe de 10% additionnelle. L’Europe qui se prépare à la riposteest toujours en attente des mesures concrètes qu’annoncerait Trump.
Bien sûr, il ne faut pas lire ces mesures indépendamment de l’orientation générale de la nouvelle administration et du contexte mondial actuel. Le discours d’investiture de Trump et son intervention en visioconférence au Forum annuel de Davos qui regroupe les grands de ce monde sont pleins d’enseignements et donnent le ton de la politique américaine pour les quatre années à venir. Pour mette en œuvre son slogan « MAGA » (Make America greatagain signifiant rendre de nouveau sa grandeur à l’Amérique) tout en faisant longuement référence au 25ème Président des USA William McKinley (1897 à 1901) connu pour avoir augmenté les tarifs douaniers de 38% à 50% et avoir annexé des territoires étrangers, Donald Trump a annoncé à qui voudrait l’entendre ses intentions dans un style qui est le sien : simple, direct, teinté d’une bonne dose de populisme et parfois menaçant. C’est un style qui séduit parfaitement ses électeurs présents en masse le jour de l’investiture.
Le Président disposed’un atout de taille pour parler librement sans craindre les réactions des contre-pouvoirs. Il dispose de la majorité dans les deux Chambres et contrôle également la Cour Suprême. C’est donc un président omnipotent entouré d’un groupe familial et de milliardaires de la Silicon Valley conduits par un Elon Musk, l’homme le plus riche au monde, qui ne se gène pas à faire des gestes relevant du Nazisme au vu et au su de tout le monde et à intervenir au grand jour dans la vie politique intérieure de certains Etats en utilisant ses moyens financiers et les media qu’il possède. L’objectif, non avoué, de la nouvelle administration américaine, ne consiste-t-il pas à remodeler la carte du monde dans l’espoir de retrouver la « grandeur de l’Amérique » mise aujourd’hui à rude épreuve ? Certes, les Etats-Unis gardent leur suprématie mondiale, mais ils n’ont plus le monopole du pouvoir sur les affaires du Monde. D’autres puissances ont émergé comme le groupe BRICS et le « Sud Global » qui cherche à s’émanciper des grandes puissances et particulièrement des USA.
Dans ce contexte, brandir l’arme du protectionnisme ne saurait être une solution. Elle n’aboutirait pas à grand-chose. C’est une « doctrine à consommer avec modération » pour reprendre le titre d’un récent article sur le journal français « Les Echos ». Il n’est pas exclu que Trump et ses conseillers le savent bien. Le Président veut juste s’en servir pour négocier d’autresquestions sur lesquelles il souhaiterait obtenir une adhésion ou à tout le moins des concessions de la part de ses partenaires. On lui reconnait d’ailleurs sa maitrise des techniquesde négociation en tant qu’homme d’affaires et « dealer » redoutable. Les exemples sont légion.
Pour mettre en œuvre son plan, il a commencé par le noyau qui lui parait le plus faible en s’attaquant au Canada et au Mexique. La riposte du Canada a été immédiate :il a annoncé qu’il imposera des tarifs douaniers de 25 % sur une variété de produits américains en réponse aux droits de douane similaires récemment instaurés par le président américain Donald Trump. Cette décision a été révélée par le Premier ministre Justin Trudeau lors d’une conférence de presse, marquant une escalade significative dans les tensions commerciales entre les deux pays. La mesure, qui porte sur une série de produits, devait rentrer en vigueur dés le mardi 4 février. Le Mexique, par la voie de sa présidente a fait de même sans pour autant préciser ces « mesures tarifaires » ni donner un calendrier de leur mise en œuvre. Pékin a fait part de son opposition, et promis de répliquer avec ses propres mesures, réaffirmant qu’une guerre commerciale ne ferait « pas de vainqueur ».
Si le but affiché par l’administration Trump, à travers des mesures tarifaires, est de substituer une production nationale aux importations ou d’inciter les entreprises américaines, opérant à l’extérieur de relocaliser leurs activités, encore faut-il avoir une politique claire et bien définie à ce sujet. Une telle reconversion ne se passe pas du jour au lendemain suite à une baguette magique : elle demande du temps et beaucoup de moyens. L’ancien président Biden avait cette ambition à travers son programme IRA (Inflation Reduction Act)pour lequel il a débloqué un budget de 370 milliards $. Ce programme qui vise à favoriser l’émergence d’une industrie verte constituait le début d’une nouvelle ère dans les efforts de décarbonation des États-Unis et devrait accélérer les progrès en vue de l’atténuation du changement climatique. Avec l’arrivée de Trump, qui a cédé au lobby pétrolier et sous la pression des climatosceptiques, ce programme est définitivement abandonné parallèlement à la sortie des Accords de Paris sur le climat. (COP21).
En définitive, la nouvelle administration américaine place le monde dans une série d’incertitudes et ne fait qu’aggraver le désordre mondial. Même les mesures douanières, à supposer qu’elles soient justifiées, sont mal conçues et ne reposent pas sur des études sérieuses comme viennent de le démontrer deux Economistes Américains spécialistes en la matière, à savoir Arnaud Costinot (MIT) et Andres Rodriguez-Clare (Berkeley). Voici ce qu’ils en pensent dans une interview accordée au journal Le Monde : « Le chiffre de 20 %, tiré de notre propre étude, n’est qu’une « référence » dans la mesure où il provient du modèle économique le plus simple possible. Cela en fait un excellent outil pédagogique, mais pas un guide utile pour la politique publique ». Et de conclure :
« L’économie mondiale a changé. La Chine a émergé comme une nouvelle puissance hégémonique. Il est naturel que la politique économique évolue et s’adapte à ces nouvelles circonstances. Mais les tarifs ne sont pas l’outil puissant capable de résoudre tous les problèmes, contrairement à ce que croit la nouvelle administration Trump. Retenir sa domination dans les secteurs de la haute technologie, regagner une place dans les nouveaux secteurs verts, et restaurer la prospérité dans les régions en difficulté, pour ne citer que quelques objectifs, sont des priorités essentielles pour les années à venir. Une politique économique plus riche et diversifiée est nécessaire, avec les tarifs jouant au mieux un rôle auxiliaire.
Poursuivre une politique de hausse des tarifs mènerait probablement à une nouvelle guerre commerciale mondiale. Ses conséquences, malheureusement, ne sont pas difficiles à prévoir : moins de commerce et, surtout, moins de coopération internationale sur les grands enjeux de notre époque que sont la guerre, la pauvreté et le changement climatique ». (Le Monde 25 janvier p.32). Ces enjeux ne constituent pas malheureusement une priorité pour Trump et les milliardaires de son entourage.