A la lumière de la dernière escalade des hostilités de la part d’Alger
Par Mustapha Gueliz
Les Éditions Orion viennent de publier un essai politique, présenté par Abdallah El Amrani, sur le conflit entre l’Algérie et le Maroc à la lumière de la dernière escalade des hostilités de la part d’Alger qui cherche à tout prix de déstabiliser toute la région pour la plonger dans le chaos.
Pourquoi un livre sur le Maroc et l’Algérie et pourquoi maintenant ? Pour une simple évidence : ces deux pays voisins ont tourné un chapitre que l’on peut considérer comme un long feuilleton de guerre froide pour en entamer un nouveau avec des hostilités ouvertes et assumées, du moins du côté algérien, qui multiplie les mesures et les décisions, qui verse dans une pléthore d’accusations de tous genres frisant souvent l’absurde et le ridicule allant jusqu’à accuser le Maroc d’avoir mis le feu aux forêts algériennes, d’avoir causé des coupures d’eau, des pénuries de farine et de sucre et saboter, dans la foulée, les stades du pays, avec, bien sûr, le concours des services secrets israéliens !
Il est clair que depuis la mise au placard du président Abdelaziz Bouteflika (avant son décès), devenu sénile, avec l’âge et le cumul de longs mandats, et l’arrivée d’un nouveau visage en la personne de Abdelmajid Tebboune, l’escalade des hostilités a dépassé toutes les prévisions, même les plus pessimistes. Malgré la main tendue du Maroc à l’égard de la présidence algérienne, lors d’un discours du roi Mohammed VI, pour écrire une nouvelle page dans les relations bilatérales entre les deux pays, malgré de nombreux gestes d’apaisement et d’ouverture vers le voisin algérien, les réponses ont été à l’opposé de ce que d’aucuns pensaient. Le Haut conseil de l’État algérien, réuni, à plusieurs reprises, en session extraordinaire, décide d’abord la rupture de toutes les relations diplomatiques avec Rabat. Une décision qui sera suivie, quelques jours plus tard, en septembre 2021, par la fermeture de l’espace aérien algérien. Une fracture béante sépare désormais les deux pays, qui entrent de plain-pied dans une forte zone de grandes turbulences pouvant même aboutir à un conflit armé, sinon de manière frontale et directe entre les armées marocaines et algériennes, du moins par Polisario interposé, financé et armé par Alger, pour déstabiliser toute la région du Maghreb, du Sahel et toute l’Afrique de l’Ouest. Sans parler des conséquences sur les relations entre pays arabes, avec l’Union européenne et avec les États-Unis d’Amérique, qui se sont rangés du côté du Maroc en reconnaissant par la voix du Président, Joe Biden, la marocanité du Sahara.
C’est d’ailleurs suite à cette reconnaissance que le régime algérien a littéralement versé dans les extrêmes, avec presque chaque semaine, une nouvelle sortie accusant le Maroc de tous les maux qui frappent l’Algérie : l’immigration clandestine de centaines de milliers d’Algériens vers l’Europe en traversant sur des barques de fortune la mer Méditerranée, la forte crise économique qui plonge le pays dans une zone grise qui peut très vite tourner au chaos, le tout sous-tendu par une grogne sociale qui a atteint des limites dangereuses, avec des manifestations à répétition, des Hiraks musclés, des affrontements avec les populations, à grand renfort d’armes et de matraques, en confisquant au peuple algérien tout droit à la parole, tout droit à la contestation, tout droit au soulèvement et à la volonté de changer de vie en changeant de régime, en marquant une rupture totale avec un passé lourd de désastres tant humains que politiques et sociaux. Le tout, avec plus de 200 000 morts algériens, livrés en tribut à une guerre civile qui sévit encore dans le pays, avec les islamistes qui sont toujours en embuscade pour se saisir du pouvoir et installer un État islamique, avec la charia comme unique loi pour diriger le pays.
Ce fantasme algérien d’étendre cette islamisation dans tout le Maghreb et à toute la région du Sahel, dans des pays comme la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Libye et le Tchad peut être considérée comme l’allume gaz définitif des profondes tensions entre Rabat et Alger qui s’est concrétisée, par le passé, par l’attaque de l’hôtel Atlas Asni à Marrakech, en 1993, par un groupe armé algérien, ce qui a conduit à la fermeture des frontières terrestres entre les deux pays.
Cette exportation du terrorisme et de l’instabilité politique dans toute la région débute à ce moment précis de l’histoire de l’Algérie, aux prises avec des factions politiques islamisées qui revendiquent toutes le pouvoir au grand dam de l’armée qui veille aux grains attendant toujours le bon moment pour frapper un bon coup. Ce qui a plongé tout le pays dans une guerre de nettoyage où toutes les cartes politiques ont été brouillées, plongeant dans une confusion et un flou qui dure depuis plus de vingt ans, déjà.
En effet, c’est ce vieux projet qui remonte aux origines de la création du GSPC, le groupe salafiste pour la prédication et le combat, en 1998, suite à une scission du Groupe islamique armé dans les dernières années de la guerre civile algérienne, qui explique de manière profonde le chaos politique dans lequel est plongée l’Algérie depuis au moins deux décennies. Ce spectre du terrorisme, avait un autre visage, à cette époque, sous ce que l’on appelle communément la « sale guerre », entre 1992 et 1999, incarné surtout par les Groupes islamiques armés (GIA), qui vouaient une haine viscérale au pouvoir en place et à l’Armée islamique du salut (AIS), qui était le bras armé du Front islamique du Salut (FIS), qui avait remporté les élections de 1991 donnant corps à un coup d’État militaire en janvier 1992, avec la guerre civile qui en a découlé.
L’histoire algérienne voudrait garder dans ses annales que sous les mandats de Abdelaziz Bouteflika, chantre de ce qu’il avait nommé «la concorde civile», les GIA avaient tout bonnement plié bagages et disparus. Un mensonge d’État démenti à de très nombreuses reprises avec un retour au-devant de la scène internationale en mars 2003, après l’enlèvement de trente-deux touristes européens dans le désert algérien. Un épisode qui met en scène l’avènement en 1998 du GSPC, qui aurait, selon les services secrets algériens et français, séquestré durant plusieurs mois les kidnappés européens. C’est à partir de cette date que les opérations terroristes de grande envergure vont avoir lieu : Casablanca en mai 2003, Madrid en mars 2004, Londres en juillet 2005, des actions revendiquées toutes par de petits groupes affiliés à l’organisation terroriste mère, Al Qaïda, alors dirigée par Oussama Ben Laden et son bras droit Ayman Al Zawahiri. C’est à ce moment que d’autres mouvements locaux font leur entrée en jeu, comme AQMI (Al Qaïda dans le Maghreb islamique), une sorte d’internationalisation du terrorisme qui fait passer tous les groupes algériens sous la bannière d’une seule organisation active dans toute la région du Sahel.
C’est ce danger incarné par une Algérie dépassée par les groupes islamistes que le Maroc devait surveiller de très près en ayant fait les frais en 1993, aux tous débuts de la guerre civile algérienne du terrorisme que les généraux algériens voulaient exporter au Maroc en travaillant dans les coulisses avec les GIA et le GSPC et plus tard AQMI, dans l’unique but de déstabiliser le Maroc qui n’a pas plié malgré toutes les attaques répétées des groupes du Polisario, financé à la fois par Alger et par Tripoli sous les commandes de Mouammar Kadhafi qui, jusqu’à sa chute spectaculaire dépensait des sommes considérables pour fournir des armes aux séparatistes du Polisario, qui ont trouvé dans les groupes terroristes en activité dans le désert et dans le Sahel des points d’appui pour perpétrer des kidnappings et des rapts de touristes en demandant des rançons, partagées entre toutes ces cliques et autres Katibas des sables.
D’ailleurs, plusieurs rapports avaient mis en cause des personnages issus du Polisario faisant partie intégrante des groupes salafistes armés. Adnane Abou Al Walid Al Sahraoui était un des dirigeants de l’État islamique dans le Grand Sahara. Il est originaire de la ville de Laâyoune et est membre du Polisario. Ce même Adnan Abou Al Walid qui a été tué par une frappe de l’armée française en septembre 2021. Une opération qualifiée de grand succès par le gouvernement français qui affirmait : «Il s’agit d’un nouveau succès majeur dans le combat que nous menons contre les groupes terroristes au Sahel », comme l’avait souligné le Chef de l’État français, Emmanuel Macron. Déjà, en juin et juillet 2021, Paris avait annoncé la mort ou la capture de plusieurs cadres de haut rang de l’EIGS (le groupe jihadiste état islamique au grand Sahara) par la force française Barkhane et ses partenaires, dans le cadre de sa stratégie de cibler les dirigeants et les cadres des organisations jihadistes.
Pour rappel, l’EIGS est créé en 2015 par Adnan Abou Walid al-Sahraoui, membre du Front Polisario et de la mouvance jihadiste Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Il avait été désigné comme «ennemi prioritaire» au Sahel, lors du sommet de Pau, en janvier 2020.
Ce groupe est considéré comme étant le principal artificier de la plupart des attaques dans la région dite des «trois frontières», un espace aux frontières indéfinies entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Il faut ici souligner des événements importants qui sont autant d’éléments de compréhension du conflit profond entre Rabat, très engagé dans la lutte internationale contre le terrorisme, déjouant des centaines d’attentats un peu partout dans le monde, et Alger, qui soutient, finance et cache des chefs armés, qui non seulement sont à la tête de groupes terroristes, mais aussi des trafiquants d’armes et de drogues, dans toute cette région du Sahara, à cheval sur plusieurs frontières, toutes poreuses, dans ce ventre mou qui sépare l’Afrique du Nord de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale.
En effet, l’EIGS est à l’origine des attaques visant des civils et des militaires, au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Des soldats américains ont été pris pour cible, dans une attaque meurtrière en octobre 2017, au cours de laquelle quatre soldats américains des Forces spéciales et quatre Nigériens avaient été tués dans une embuscade à Tongo Tongo, près du Mali, dans le sud-ouest du Niger. Fin 2019, l’EIGS a lancé une nouvelle série d’attaques contre des bases militaires au Mali et au Niger. Le 9 août 2020, au Niger, le chef de l’EIGS avait personnellement ordonné l’assassinat de six travailleurs humanitaires français et de leurs guide et chauffeur nigériens. Cette attaque contre des jeunes engagés dans l’humanitaire avait suscité une vive émotion en France et au Niger, classé ensuite en zone rouge, soit «formellement déconseillée», à l’exception de la capitale Niamey, par le ministère français des Affaires étrangères.
C’est dire tout l’immobilisme de l’armée algérienne et du pouvoir en place, qui ne sait plus où donner de la tête subissant des manifestations de grande ampleur dans différentes régions du pays, ne pouvant plus contrôler les mercenaires du Polisario qui ont trouvé dans le terrorisme une manne financière supplémentaire pour enrichir des dirigeants qui vivent comme des nababs alors que des populations entières sont séquestrées à Tindouf, dans la précarité et la pauvreté les plus criardes. Sans parler des facilités de circulation assurées aux groupes terroristes dans ce vaste sud algérien qui échappe au contrôle de l’armée algérienne. Une situation critique et dangereuse qui préoccupe au plus haut degré les forces occidentales cibles constantes et du Polisario et des groupes affiliés à Al Qaïda, dans une jonction commune des intérêts entre mercenaires et autres chefs de guerre.
Le Maroc étant partie prenante de la lutte et de la traque de ces groupes terroristes, étant un partenaire solide des Américains et des Européens, il constitue un danger grandissant pour une Algérie qui a perdu toute crédibilité internationale soufflant le chaud et le froid, brandissant constamment la carte du terrorisme comme monnaie d’échange et comme levier de pression sur les Occidentaux. Alger refuse catégoriquement le rôle joué par Rabat dans la lutte contre le terrorisme et le banditisme dans la région, à la fois au Maghreb et dans le Sahel. C’est là le point de discorde majeur entre les deux pays. D’un côté, un allié crédible pour l’Occident. De l’autre, un état en déshérence qui abrite le terrorisme et finance des groupes armés mercenaires. D’un côté un Maroc qui conquiert l’Afrique. De l’autre, un régime militaire algérien qui veut détruire la difficile paix dans toute la région en dépensant des milliards de dollars en armes et en préparant une guerre, comme dans le Désert des Tartares, étant en retard sur l’Histoire du monde, d’au moins trois décennies.
C’est en somme de cela que parle ce livre qui essaie d’analyser les soubassements d’un conflit qui affiche aujourd’hui des allures très dangereuses étant donné que les chefs algériens n’ont plus aucune espèce de mesure ni de recul pour gérer un chaos intérieur qui menace de faire exploser ce pays dans tous les sens, avec d’autres guerres civiles, avec l’apparition d’autres factions armées qui bénéficieront d’un immense terrain de jeu, du Nord au Sud de cet immense pays, qui reste en proie à toutes les catastrophes ayant opté sciemment pour la fuite fatale en avant sachant qu’il n’y a plus à rien rattraper dans un pays qui a brûlé toutes ses cartes à la fois à l’intérieur du pays qu’au plan international.
Maroc/Algérie: Le dessous des cartes. Aux Éditions Orion. 200 pages. Novembre 2021