Entretien avec le réalisateur, Fouad Souiba
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
Dans le document «Water master», Fouad Souiba nous invite un long périple aux confins du Sahara marocain. Bachir, au volant du mythique camion-citerne Bedford, nous amène de la ville de Tan-Tan pour découvrir la beauté et la générosité des régions du Sud. Passeur de valeurs, passionné de son métier, Bachir transporte l’eau délicieuse de Tan-Tan avec beaucoup d’amour et d’engagement. «J’ai toujours été fasciné par le Sahara marocain que j’ai visité énormément de fois. Je voulais y tourner un jour parce que j’ai beaucoup d’estime pour les gens qui vivent dans le grand désert qui sont complètement éloignés, on a l’impression qu’ils sont éloignés de la civilisation; alors qu’ils sont les porteurs de cette vraie civilisation», nous confie le réalisateur. Rencontre.
Al Bayane : Une question très courte : pourquoi ce documentaire ?
Fouad Souiba : J’ai toujours été fasciné par le Sahara marocain que j’ai visité énormément de fois. Je voulais y tourner un jour parce que j’ai beaucoup d’estime pour les gens qui vivent dans le grand désert qui sont complètement éloignés, on a l’impression qu’ils sont éloignés de la civilisation ; alors qu’ils sont les porteurs de cette vraie civilisation. Quand Charaf-Eddine m’a parlé de l’idée du projet de cette ville où il y avait des centaines de puits, puis avec la sécheresse il n’en restait qu’un ou deux puits qui peuvent desservir tout le Sahara marocain en eau potable. J’étais fasciné surtout de lier cette histoire-là à ces camions citernes qui transportent l’eau depuis Tan-Tan jusqu’à fond du désert, et puis l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui ont vécu dans cet avant la marche verte, et qui sont restés fidèles à leur amitié après le retour du Sahara au Maroc et qui sont revenus dans leurs villes, et ils ont gardé ce rituel de préparer le thé, ensemble à partir de l’eau de Tan-Tan. Donc, il n’y a pas question d’aller préparer le thé en dehors de l’eau de Tan-Tan qui est une eau potable délicieuse, et puis toute cette industrie qui s’est constituée autour de ça.
Est-il également une réflexion sur ce patrimoine assez singulier ?
Effectivement, il y a ce patrimoine qui est maintenant sous la menace de disparition, mais qui continue toujours à résister parce que ces mêmes camions ont fait la marche verte. Ils résistent encore au temps, à la nature et ils continuent de porter l’eau.
A vrai dire, le camion est un personnage à part entière dans le film. C’est un véhicule iconique, un symbole. Qu’en dites-vous ?
Exactement, c’est la mémoire collective du Maroc : le Berliet, le Bedford et tous ces camions qui ont transporté les marocains jusqu’aux confins du Sahara, et après ils ont marché sur les frontières en 1975. Ces camions mettaient en colère les militaires algériens. On a vu dans le film de notre collègue Abdelali Tahiri qu’un général algérien brûle le même camion dans la prison Rabouni. C’est un camion qui fait très mal aux militaires algériens, mais qui continue de survivre au temps, à l’usure et à tout ce qu’on peut imaginer aujourd’hui parce que vraiment la symbolique de cette marche verte qui continue toujours à sillonner le grand désert, qui continue toujours à alimenter les sahraouis en eau potable et qui continue à nous rappeler cette très belle histoire. Donc, c’est un personnage très important avec Bachir, le chauffeur qui transporte avec lui tout le patrimoine, tout le rituel et toute la culture du Sahara dans ces voyages.
Certes, le documentaire est un périple, mais vous avez mis de la poésie dedans notamment avec la manière avec laquelle vous avez filmé les visages et paysages.
Dès le départ nous avons voulu donner un cachet cinématographique à ce film. Ce cachet cinématographique qui passe par la poésie parce qu’on ne peut pas imaginer un film de cinéma sans poésie. Et qui mieux que le Sahara, que le désert, que les grands espaces…, et les espaces illimités peuvent resituer cette poésie. Je ne peux pas concevoir un film sans qu’il y ait de la poésie dedans surtout qu’on a le temps de produire cette poésie à la fois dans ce que raconte les gens, dans ce que raconte le désert, dans ce que raconte le sable, dans ce que raconte la mémoire de ces gens-là. Tout est poétique, même les gens qui sont morts, on a toujours envie d’en parler parce que ils avaient transmis un héritage à la génération d’aujourd’hui qui parle de cet héritage avec beaucoup de vénération. C’est vraiment un sujet et un espace qui sont porteurs de poésie, et on ne peut pas dire autrement.
Il y a aussi beaucoup de symboles dans le film : l’eau, le feu, la terre, un univers bachelardien, si n’osons dire. Or, peut-on dire aussi que «Water master» est un film de transmission ?
C’est vrai, il y aussi l’homme, l’humain. Je voulais absolument mettre l’humain dans cet espace-là, et bien sûr l’humain, c’est une poussière dans cet espace immense. En fait, ce n’est rien devant cette immensité géographique et même temps c’est quelqu’un qui arrive à faire obéir cette nature hostile. On essaye d’aller chercher la vie dans cette nature-là, on essaye d’aller ponctuer les sources de vie, les sources qui peuvent procurer du bonheur à ces gens-là. On a vu comment Bachir, le chauffeur du camion, dit souvent à son apprenti, parce qu’il aimerait transmettre, il aimerait absolument que ce métier continue d’exister. Il y a quelque chose de merveilleux, quelque chose de sacré dans ce voyage et de la vie de ce bonhomme.