Le Président tunisien Béji Caïd Essebsi, décédé jeudi à l’âge de 93 ans, est le premier chef d’Etat élu le 21 décembre 2014 au suffrage universel démocratique de la Tunisie. Avocat de formation, fondateur en 2012 du parti « Nidaa Tounes » (centriste), Béji Caïd Essebsi, mort à quelques mois de la fin de son mandat présidentiel, fut, dès l’Indépendance, un proche, puis un disciple de leader Habib Bourguiba, qui lui a confié les ministères de l’Intérieur et de la Défense. Après une longue éclipse, il a été nommé en février 2011 Premier ministre après la Révolution, ce qui lui a permis de baliser le chemin vers une transition démocratique réussie.
Incontestablement, c’est sous sa présidence que le pays a cherché à sortir d’une longue et difficile période de transition, qui a souvent rencontré des vents contraires, des menaces terroristes rémanentes, des difficultés économiques persistantes et des tensions sociales permanentes. La situation géostratégique et régionale, instable et incertaine (Libye puis l’Algérie), ne l’a pas été d’un grand secours pour réaliser son rêve, restaurer le prestige de l’Etat tunisien et redonner au pays l’aura qu’il a perdu.
En dépit des deux attentats terroristes survenus le jeudi 27 juin 2019 en plein centre de la capitale Tunis, le Président Caïd Essebsi, a réussi le pari de restaurer la sécurité et la stabilité du pays, en lançant une guerre, qu’il a, à plusieurs reprises qualifiée de longue, éprouvante, coûteuse mais inévitable contre la nébuleuse terroriste.
Après des épisodes tragiques, notamment du musée du Bardo, du 18 mars 2015 et celui de Sousse du 26 juin 2015, le pays a retrouvé progressivement sa stabilité, sa sécurité et l’hydre terroriste a été cantonnée dans les régions frontalières ouest (frontière algérienne) et sud-est (avec la Libye).
En homme d’Etat, fortement imbu des valeurs républicaines et démocratiques, Béji Caid Essebsi a bénéficié, dès les premiers jours de son investiture en 2011 à la primature, d’un fort capital d’estime et de soutien de la communauté internationale.
Il a réussi à convaincre les dirigeants des grandes puissances qui n’ont pas hésité à lui porter main forte, à louer l’expérience démocratique du pays ou à lui apporter leur soutien que ce soit pour le combat mené par le pays contre le terrorisme ou en matière d’appui de son développement économique et social.
Il a été souvent l’invité d’honneur du G8 (26 et 27 mai 2011 à Deauville), du G7 de Taormina (Italie) en mai 2017 ou en juillet de la même année au G20 de Hambourg.
Son plaidoyer pour la Tunisie reste d’une grande actualité, affirmant sans détours devant les dirigeants des grandes puissances que « La Tunisie se trouve aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme et mérite d’être soutenue pleinement dans ses efforts ».
Ses appels tiennent au fait que pour lui le pays est pris pour cible par les terroristes en raison de son option pour un modèle politique et socioculturel qui se situe à l’antipode de la vision obscurantiste de ces groupes.
Son combat pour le développement de la Tunisie, la préservation de sa sécurité et de sa stabilité et surtout pour la promotion de sa singularité en matière des droits et libertés, de défense des valeurs de tolérance et d’ouverture, ne datent pas d’aujourd’hui. Il trouve sa source dans un parcours long et atypique et d’une expérience, dans la gestion des affaires publiques de son pays, d’une extrême richesse.
Cela ne doit pas surprendre outre mesure. Béji Caïd Essebsi, né le 29 novembre 1926 à Sidi Bou Saïd, (banlieue nord de Tunis), avocat qui avait fait ses études juridiques à la faculté de droit de Paris jusqu’en 1950, n’a pas tardé à être appelé aux affaires pour exercer de hautes responsabilités au service du jeune Etat tunisien, de 1963 jusqu’en 1991.
Militant dès sa prime jeunesse dans les rangs du Néo-Destour de Habib Bourguiba, qui l’appela à occuper en (1965), le ministre de l’Intérieur, puis ministre de la Défense, de 1969 à 1970.
Tel un phénix, il est parvenu à plusieurs reprises à renaitre de ses cendres. En dépit de son exclusion, fin 1971 du Parti socialiste destourien pour sa défense de réformes démocratiques du régime bourguibien et de son ralliement en 1978 au Mouvement des Démocrates socialistes fondé par Ahmed Mestiri, Béji Caid Essebsi a été rappelé à nouveau au gouvernement le 3 décembre 1980 comme ministre délégué auprès du Premier ministre d’alors, Mohamed Mzali avant de se voir confier, le 15 avril 1981, le portefeuille des Affaires étrangères.
Son passage à ce dernier département a révélé au monde entier la valeur intrinsèque de cet homme politique exceptionnel. Il s’est illustré en 1985 par son plaidoyer au Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de la condamnation internationale du raid sanglant israélien contre le quartier général de l’Organisation de libération de la Palestine à Hammam Chott, dans la banlieue sud de Tunis.
En affirmant que « Toute prétendue justification de ce forfait ou toute complaisance à l’égard de ses auteurs, sous quelque prétexte que ce soit, ne seront que l’expression d’un encouragement à l’agression et un satisfecit décerné à l’agresseur ».
Il a permis à la Tunisie d’enregistrer le premier vote où le Conseil de sécurité prononce la condamnation explicite d’un acte d’agression attribué à Israël.
Après la Révolution du 14 janvier 2011, il n’a pas tardé à fonder, en juin 2012, son propre parti, le mouvement « Nidaa Tounes », celui-là même a remporté 86 sièges à l’Assemblée des représentants du peuple aux élections législatives du 26 octobre 2014.
Le fondateur de Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi, a obtenu 55,68% des suffrages coiffant au poteau son concurrent Moncef Marzouki (44,32 %) lors du deuxième tour, du 21 décembre 2014.
Béji Caid Essebssi a toujours rappelé qu’il a été « toujours été un homme libre et indépendant », estimant qu’il assume totalement tout ce que il fait.
Cela fait qu’en dépit de toutes les difficultés qu’il a rencontré depuis son élection à la magistrature suprême, il s’est rarement départi de son combat pour les libertés et les droits, l’égalité, l’ouverture ou le rayonnement de la Tunisie.
Pour lui » l’engagement à consacrer la démocratie et les libertés d’expression et de la presse constituent l’un des principaux acquis de la révolution de la liberté et de la dignité », affirmant que « Nous sommes déterminés à consacrer ces choix quel que soit le prix à payer ».
Le Président Essebsi ne recule pas, quand l’intérêt du pays l’exige à remettre en cause les alliances qu’il a pu sceller, notamment avec le parti islamiste Ennahdha. Après quatre ans d’alliance objective, la divergence des intérêts et de la vision lui ont poussé à se raviser.
« C’est en réponse à leur demande que j’annonce aujourd’hui (24 septembre 2018) la rupture avec le parti Ennahdha » soutenant qu’en politique les amis n’existent pas. Il n’a pas hésité non plus à s’en prendre à Youssef Chahed, chef du gouvernement qui a refusé d’obéir à ses ordres.
Fidèle à son humour habituel, Béji Caïd Essebsi a appelé en 2018 Youssef Chahed à un retour à la raison tout en l’invitant à retourner au bercail. Dans ce panorama, un sentiment d’amertume et d’impuissance se dégagent au regard des tensions et des difficultés inextricables que le pays connait depuis maintenant plus de huit ans.
Il affirme à ce propos que ce qui l’importe le plus, « c’est l’intérêt de la Tunisie. Il nous faut de la fermeté et de la présence. Cependant, la Tunisie n’a pas plus le choix. Elle ne peut qu’emprunter et s’endetter ».
En 2009, Béji Caïd Essebsi écrit un livre qui rencontrera un franc succès qui battra des records de vente « Bourguiba, le bon grain et l’ivraie ».
L’annonce officielle du décès du président tunisien, Béji Caïd Essebsi, hospitalisé mercredi soir pour la troisième fois au cours des deux derniers mois, est survenue le jour de l’anniversaire de la proclamation de la république.