Entretien avec la réalisatrice Jihane El Bahhar
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
Sorti en salles nationales le 11 septembre, «TRIPLE A», dernier opus de Jihane El Bahhar a été projeté, dimanche 20 octobre, dans le cadre de la compétition officielle de longs métrages de fiction de la 24ème édition du festival national du film de Tanger. Entre comédie et drame, l’œuvre cinématographique aborde un tas de thématiques sociales à la fois complexes et compliquées. Le film nous plonge dans les univers sombres de Casablanca, tout en braquant les lumières sur les marginaux, leurs destinées, leurs vécus, mais aussi leurs histoires d’amour parlantes et problématiques. «TRIPLE A» a réuni une belle brochette d’acteurs et d’actrices : Majdouline Idrissi, Aziz Dadas, Fatima Zahra Bennacer, Abdelatif Chaouqi, Hind Benjbara, Khalil Oubaqqa, et bien d’autres. Rencontre.
Al Bayane : Vous avez présenté votre film à Rabat, à Casablanca, ainsi que d’autres villes, mais il faut dire que Tanger, notamment le FNF a son charme et sa particularité. Justement, que représente cet événement cinématographique national pour vous ?
Jihane El Bahhar : Le festival national est spécial parce que déjà c’est un événement, où tous les professionnels nationaux se rencontrent. C’est ici qu’on voit les exploits et les projets des uns et des autres. Ici, on est ‘’jugé’’, on est encouragé. C’est vraiment spécial de présenter le film au public, mais aussi aux professionnels et aux critiques de cinéma. À vrai dire, tout cela se passe à Tanger.
Le film aborde de nombreuses thématiques, entre autres, le trafic d’organes humains. Pourquoi un tel choix ?
Le trafic d’organes existe dans notre société, comme dans les autres sociétés du monde. Alors tant qu’il y a la pauvreté, la misère, il y a les marchés illégaux qui profitent de la souffrance, de la marginalité des gens pour s’enrichir. Il y a des sujets qui ne sont pas abordés dans le cinéma, et parce qu’ils ne sont pas abordés, les gens croient qu’ils n’existent pas. Moi, j’ai voulu mettre la lumière sur ce genre de sujets que ce soit le trafic d’organes, la pédophilie, l’inceste, entre autres. Qu’on soit un pays musulman ; ça n’exclut pas qu’on a ce genre de problématiques dans notre société, en parlant ça veut dire ; faire un pas pour trouver des solutions.
Certes, dans le film il y a cette cruauté de la société et du vécu, mais, en contrepartie, il y a aussi l’amour dans tous ces états. Il y a l’amour et la douleur chez ces gens de la marge. Peut-on dire que c’est une espèce de déconstruction des images stéréotypées de cette catégorie vivant à la marge ?
La première chose qu’on voulait raconter, c’était justement l’amour. L’amour à travers le regard des marginaux. Comment ces marginaux peuvent vivre l’amour parce qu’on a des idées stéréotypées de ces gens-là, qu’on croise tous les jours, qu’on fuit comme s’ils étaient de la peste parce qu’ils sont différents de nous. Nous qui ont eu une éducation et qui ont eu beaucoup de choses qui n’ont pas eu eux. Et du coup, parce qu’ils baignent dans cette violence, ils ne savent qu’est-ce que l’amour, alors qu’on oublie que ce sont des êtres humains comme nous. Des personnes qui ont les mêmes sentiments comme nous, ils ressentent les choses comme nous et qui peuvent être très doux aussi. C’est cette part d’humanité d’eux que je voulais faire ressortir pour qu’on ne les juge pas, parce qu’on a tendance à juger les uns les autres, surtout les gens qui sont différents de nous.
Cette ambiance morose qui s’incarne dans la noirceur plane sur le film. Vous avez filmé Casablanca, la nuit, dans des univers délabrés, sombres et dans la margé. Est-il un film sombre ?
C’est vrai le film est sombre. Il fallait que je sois dans l’univers du film qui est dans cette violence ; car cette violence ne parait que la nuit. Il y a des gens qui ne sortent que la nuit et qui vivent une autre vie que la nôtre, ils ne progressent que dans ce Casablanca en périphérie et qui est vécue par eux. La nuit est leur territoire. Et l’atrocité de Casablanca surgit surtout la nuit.
La femme aussi est au cœur de l’œuvre cinématographique. Elle a un rôle primordial aussi dans votre film. On y trouve surtout des femmes à la fois fortes, courageuses et fragiles. Qu’en dites-vous ?
La femme a un rôle primordial dans tous les sociétés. Là on a vu que la mère avait un rôle sur l’avenir de ses enfants. C’est elle qui fait en sorte que Yassir, par exemple, soit ce qu’il est parce qu’il été abandonné par ses parents, par sa mère qui est l’amour et la sécurité du foyer. C’est le noyau de la société. Il y a des femmes fortes dans le film, il y en a d’autres qui veulent s’en sortir. Mais, il y a aussi la condamnation quelque part même si je n’aime pas ce mot. Il y a aussi les rôles que peuvent jouer la mère et la femme dans l’avenir des générations.