«Le festival de Cannes est la plus belle manière de démarrer la vie d’un film»

Maryam Touzani, réalisatrice et coscénariste

Propos recueillis par Meriem RKIOUAK (Map)

A l’occasion de la sélection de son tout dernier long-métrage « Le Bleu du Caftan » à la compétition officielle du 75ème festival de Cannes (du 17 au 28 mai) dans la catégorie « Un Certain Regard », sa réalisatrice et co-scénariste Maryam Touzani livre, dans cet entretien à la MAP, son ressenti suite à cette belle consécration mondiale d’une carrière aussi jeune que brillante. Elle revient aussi sur le casting et les messages véhiculés par « Le Bleu du Caftan », une ode à la tradition et à l’amour « dans leur sens le plus large ».

Après « Adam », vous représentez le Maroc pour la deuxième fois dans la catégorie « Un certain regard » du festival de Cannes avec votre nouveau film « Le Bleu du Caftan ». Que représente cela pour Maryam Touzani dont la carrière de réalisatrice est assez jeune ?

Je suis évidemment très heureuse que le Bleu du Caftan soit au festival de Cannes en sélection officielle, car cela représente la plus belle manière de démarrer la vie d’un film. Quand on a passé des années de sa vie sur une histoire, à l’écrire, la vivre, l’imaginer, le fait qu’elle puisse voir le jour et rencontrer le monde dans un si bel écrin est une vraie satisfaction. Et puis, c’est une fierté pour moi de pouvoir représenter le Maroc cette année.

Dans vos films, en tant que réalisatrice mais aussi comme scénariste et actrice, vous vous employez à « donner la parole aux femmes invisibles ». Dans « Adam », vous avez braqué la lumière sur le combat des femmes célibataires et, auparavant, dans « Razzia », vous avez incarné Salima, la femme révoltée contre les diktats de la société. Comment vous vous y prenez cette fois pour aborder cette cause qui vous tient tellement à cœur dans « Le Bleu du Caftan », un film au décor et à la tonalité nettement différents, où il est question de « transmission, tradition et amour, au sens le plus large du terme » ?

Dans tous mes films, il est avant tout question d’humain. D’êtres qui me touchent par leurs combats, exprimés ou tus, par la solitude qu’ils peuvent éprouver parfois mais aussi par la force qui les caractérise. Dans Le Bleu du Caftan, il est certes question de transmission d’une tradition qui me tient à cœur et qui est en train de mourir à petit feu, celle du travail de maalem. Une tradition à laquelle j’ai voulu rendre hommage, à travers le personnage de Halim, un maître artisan passionné de son métier, et qui s’y adonne corps et âme. Mais il est avant tout question de personnages qui charrient chacun une histoire, un vécu. Et c’est là où l’amour intervient, car Halim, qui est marié à Mina depuis vingt-cinq ans, vit avec le non-dit de son homosexualité. Ce couple, qui a vécu avec ce secret jamais verbalisé, va se retrouver face à ses vérités ensevelies. Dans ce sens, Le Bleu du Caftan est aussi un film sur l’amour. L’amour que j’avais envie d’explorer à travers des personnages qui le redéfinissent, bousculant et transcendant les carcans.

Vous avez opté pour un casting d’une grande diversité, avec dans les rôles-titres le Palestinien Salah Bekri, la Belgo-Marocaine Lubna Azabal et le Marocain Ayoub Missioui. Parlez-nous de ces choix et comment s’est passée la collaboration avec ces acteurs ?

Trouver les comédiens et comédiennes qui vont donner chair à des personnages qu’on a écrit et porté pendant si longtemps est pour moi une des étapes les plus difficiles dans la réalisation d’un film.

J’ai écrit le personnage de Mina avec le visage de Lubna Azabal en tête. On avait déjà travaillé ensemble sur Adam et je savais de quoi elle était faite, je savais qu’elle allait comprendre Mina et l’incarner avec vérité. Lubna est une comédienne extraordinaire, d’un très grand talent. Elle ne sait pas faire dans la demi-mesure, elle ne fait pas semblant, elle donne tout. Lubna a dû se préparer émotionnellement et physiquement afin d’incarner comme il se doit le personnage de Mina. Elle a même suivi un régime pour maigrir à l’extrême, et ainsi pouvoir sentir la mort dans son corps. C’était dur, mais elle a été d’une rigueur incroyable. En parallèle, elle vivait un drame dans la vie réelle ; elle a été d’un courage hors norme. J’ai beaucoup de respect pour elle.

Pour le personnage de Halim, j’ai fait un casting très large au Maroc et dans d’autres pays arabes. Quand j’ai rencontré Saleh, j’ai vite été touchée par sa sensibilité et son talent. Quant à lui, il est tombé amoureux du personnage de Halim, de sa complexité, de sa bonté, ses zones d’ombre. Il a passé du temps au Maroc et s’est familiarisé avec le métier de maalem, observant les artisans à l’œuvre et apprenant à manier le fil et l’aiguille à son tour. Il faut évidemment des années pour apprendre le métier, mais je voulais qu’il ait un vrai ressenti en incarnant ce personnage, qu’il puisse prendre la mesure de l’art qu’il défendait dans le film. Il a aussi beaucoup travaillé la Darija avec un coach.

Ayoub Messioui a été pour moi une révélation. J’ai rencontré un grand nombre de jeunes comédiens très talentueux, mais Ayoub avait ce petit quelque chose en plus, d’indéfinissable, que je cherchais pour le personnage de Youssef. Ayoub a 25 ans mais il a beaucoup de maturité pour son âge. Il a de la profondeur, de la sensibilité, et un vrai talent qui s’est révélé au fur et à mesure de nos rencontres. C’est un jeune homme entier, passionné par le cinéma, généreux. On a tourné presque un an après notre première rencontre, et depuis le jour où il a appris qu’il avait le rôle, il a plongé dans son personnage, d’abord en passant un nombre incalculable d’heures dans les ateliers avec les maalem pour nourrir son rôle d’apprenti. Puis, on a énormément travaillé et discuté en amont du tournage pour approfondir sa recherche du personnage.

Tous vos films remportent un large succès et sont multi-récompensés à travers le monde. Au moment de concevoir un film, pensez-vous souvent à cette question de prix ? Façonne-t-elle vos choix ?

Je ne fais pas des films pour gagner des prix, ni pour rencontrer du succès. Je fais des films quand je ressens le besoin de m’exprimer sur des choses qui me touchent, qui me hantent. Je ne choisis pas les histoires que je veux raconter ; je ne choisis pas mes personnages : c’est eux qui me choisissent. Je fonctionne au ressenti, à l’inspiration. Je n’intellectualise jamais l’écriture. Je me laisse juste porter par ce que je ressens. Quand j’écris, je suis habitée. Je ne saurais écrire ou créer si c’était autrement.

Quels sont vos projets futurs ?

J’ai beaucoup de mal à parler de ce que je vais faire. Je n’aime pas me projeter, je fais les choses comme et quand je les sens. Il y a un moment où elles deviennent forcément plus concrètes, mais je n’en suis pas encore là…

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