Par : Eric Rouleau
Le secrétaire général du parti communiste soudanais, Abdel Khalek Mahjoub, a été pendu à l’aube du mercredi 28 juillet. Il avait été condamné à mort mardi à l’issue d’un procès sommaire et la sentence avait été approuvée dans la nuit par le général Nemeiry, chef de l’Etat.
Le comportement digne et courageux du secrétaire général du P.C soudanais avait contraint ses juges à décider le huis clos. L’audience publique n’a duré qu’une heure et quinze minutes et la séance à huis clos près de quatre heures. Au cours de la séance publique, en présence de près de quarante journalistes étrangers, le procureur n’avait pu démontrer la culpabilité d’Abdel Khalek Mahjoub, qui a catégoriquement nié avoir participé aux préparatifs du putsch du 19 juillet.
C’est mardi que le ministre des affaires du Sud, Joseph Garang, avait été pendu. Son exécution risque de relancer la rébellion dans le sud du pays, où la victime était très populaire. L’extrême sévérité des mesures de répression a suscité de nombreuses protestations dans le monde, en particulier au sein du camp socialiste. A Paris, le parti communiste et la C.G.T. ont appelé à une manifestation de masse ce mercredi soir à 19 heures, place de la République.
Abdel Khalek Mahjoub, secrétaire général du parti communiste soudanais, n’a pas réussi à sauver sa tête. Les représentants de la presse internationale ont appris la nouvelle à l’aube du mercredi 28 juillet, après avoir été, pendant vingt-quatre heures, les témoins d’un drame d’une rare intensité. Conviés à suivre le procès du leader communiste, ils ont assisté à un combat, aux multiples rebondissements, entre un homme solitaire et la machine conçue pour le broyer : une cour martiale, siégeant au sein d’un camp militaire, et dont la mission était de le condamner à mort dans les plus brefs délais.
« La procédure ne devrait pas durer plus d’une heure », nous disait un officier qui a assisté ces derniers jours à d’autres procès analogues.
Tout avait été prévu pour réduire cette procédure à sa plus simple expression. Après l’ouverture de l’audience, le procureur prononcerait un réquisitoire de cinq minutes, un seul témoin à charge viendrait confirmer ses dires. La parole serait alors donnée à l’inculpé, lequel, assurait-on, avait d’ores et déjà avoué sa participation au coup d’Etat du 19 juillet du commandant Hachem El Atta.
En arrivant au baraquement du camp de Chagarra, où devait siéger la cour martiale, Mahjoub fut d’abord visiblement saisi par le spectacle qui l’attendait. Le hangar rectangulaire était entouré de fils barbelés, de deux auto-mitrailleuses et plus loin de chars, tandis qu’une cinquantaine de parachutistes, les féroces « bérets rouges », montaient une garde vigilante, prêts à utiliser leurs fusils-mitrailleurs.
Les membres de son escorte, la mitraillette au poing, l’introduisirent dans la salle où l’attendaient une quarantaine de journalistes, de photographes et de cameramen. Vêtu à l’européenne – pantalon gris et chemise bleue à col ouvert – Abdel Khalek Mahjoub. quarante-huit ans. Rondouillard, la moustache bien taillée, l’œil vif, reprit très vite son assurance habituelle. Il promena un regard circulaire sur la salle aux murs nus, saluant au passage les journalistes qu’il reconnaissait par un hochement de tête et un sourire A l’envoyé spécial du Monde, il lança à la cantonade : « Alors, comment va la France ? ».
Publié le 29 juillet 1971