Quand les ombres de Dahlane et Barghouthi planent sur le Fatah

Elections en Palestine

L’un vit en exil aux Emirats et livre des vaccins par milliers à Gaza, l’autre est en prison en Israël mais fait figure de héros en Cisjordanie. A l’approche d’élections, les «fantômes» de Mohammed Dahlane et Marwane Barghouthi planent sur la Palestine.Dans sa ville natale de Khan Younès, au sud de la bande de Gaza, Mohammed Dahlane, ex-chef des forces palestiniennes de l’enclave devenu conseiller du puissant prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed, reste populaire malgré une décennie à l’étranger.

Dans la maison familiale, immeuble blanc jurant avec le gris cru des autres édifices, des proches sortent des albums souvenirs d’un Dahlane jeune et maigrelet, exhibent ses bulletins scolaires témoignant de plus d’acuité en histoire qu’en théologie musulmane, et se félicitent de son dernier coup: la livraison en février de 20.000 vaccins Spoutnik orchestrée depuis les Emirats, via l’Egypte, suivie de celle jeudi de 40.000 nouvelles doses.

A lui seul, Dahlane a fourni plus de vaccins anti-Covid à Gaza que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, une donnée qui ne passe pas inaperçue à près de deux mois des législatives de mai, les premières en 15 ans dans les Territoires palestiniens. Et à quelques semaines du dépôt des listes électorales, le 20 mars.

Depuis que Mohammed Dahlane, un rival de M. Abbas au sein du parti Fatah, a été poussé à l’exil en 2011 après avoir été reconnu coupable de corruption, ses réseaux continuent d’opérer sur place.

A Khan Younès, les pro-Dahlane distribuent de la nourriture aux plus démunis, de l’argent aux sans-emploi, des bourses aux étudiants. Omrane, chômeur de 36 ans, dit avoir touché 80 shekels (20 euros) récemment et appelé des proches pour les encourager à joindre le «courant réformiste».

A Nahr al-Bared, camp surpeuplé près d’une décharge à ciel ouvert, des drapeaux du Fatah flottent sur le toit des masures. Ici, Fatah rime surtout avec Dahlane. Et, malgré le fait que Gaza soit contrôlée par le Hamas, plusieurs ne se gênent pas pour critiquer le mouvement islamiste.

«Nous attendons les élections pour voter Fatah! Qu’est-ce que le Hamas a fait pour nous? Aux élections, il pourrait y avoir des résultats nous permettant de manger, de boire, de trouver du travail», lance Amna al-Demaisy, jeune mère au visage rond ceint d’un châle tombant aux chevilles.

«L’aide vient soit d’une association liée au Hamas, soit d’une autre proche de Dahlane», résume pour sa part Nisreen Zoroub, 32 ans. Cette aide est «sans condition», assure un proche de M. Dahlane, Emad Mohsen, un francophile qui n’hésite pas à chanter du Céline Dion et fait état de «100.000 membres» au sein du courant réformiste.

A Gaza, mince territoire de deux millions d’habitants, les proches de Dahlane mènent leurs activités sans s’écharper avec le Hamas.

«Nous bénéficions d’une coopération humanitaire avec le Hamas (…), alors qu’en Cisjordanie, les choses sont beaucoup plus difficiles», dit Osama Al-Farra, un ténor du camp Dahlane.

Ces derniers mois, les pro-Dahlane et les forces de sécurité qui relèvent de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas se sont au contraire lourdement affrontées dans les camps de Cisjordanie, notamment à Balata, où des militants ont été tués.

Malgré ces tensions, le Fatah tente d’unir ses forces pour les élections, un objectif que partage le camp Dahlane, argue M. Al-Farra. «Mais si c’est impossible, il faudra un autre plan, c’est pourquoi nous négocions aussi avec Marwane Barghouthi et d’autres leaders».

Ecroué en Israël depuis près de 20 ans pour son rôle dans une série d’attaques au début de la Seconde Intifada, M. Barghouthi, qualifié par ses partisans de «Mandela de Palestine», reste la personnalité politique la plus populaire dans les Territoires, selon des sondages locaux.

Il y a quelques semaines, un homme de confiance de Mahmoud Abbas, Hussein al-Cheikh, s’est rendu en prison discuter élections avec M. Barghouthi, engendrant un million de rumeurs sur les réseaux sociaux.

«Marwane ne participera pas aux législatives, mais il soutiendra de l’extérieur une liste», assure un cousin proche, Raed Barghouthi, lors d’un entretien dans le village familial de Kober, en Cisjordanie. «Marwan veut avoir son mot à dire sur les candidats» de la liste qu’il soutiendra, souligne-t-il depuis une terrasse donnant sur une vallée clairsemée d’oliviers.

Outre M. Dahlane, le neveu de Yasser Arafat, Nasser al-Kidwa, a affiché sa volonté de présenter sa propre liste, ce qui lui a valu jeudi son exclusion du Fatah, qu’il a qualifiée, avec «tristesse», de «manque de respect envers les institutions» palestiniennes.

Pour l’analyste Ghassan Khatib, une chose est certaine: Mahmoud Abbas «est préoccupé par Barghouti, Kidwa et Dahlane car chaque vote qu’ils pourraient obtenir se ferait aux dépens du courant central du Fatah, et bénéficierait donc au final au Hamas».

Après les législatives viendra le tour d’une présidentielle en juillet. Si ce scrutin n’est pas annulé, M. Barghouthi sera candidat, avance son frère Muqbil. «Nous aurons alors un président en prison, cela montrera au reste du monde comment vivent les Palestiniens».

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