Le discours sur L’Afrique passé au crible

Colloque organisé par le CERAB et l’Institut des Etudes africaines

«L’Afrique, qui fait toujours l’objet de discours humiliants, comme au temps de l’esclavage et de la colonisation, est appelé à redoubler d’efforts pour s’en sortir en prenant entre ses mains son destin», a affirmé le Professeur El Arbi Mrabet, résumant les avis partagés par la plupart des participants à un colloque, organisé jeudi et vendredi à Rabat.

Dans un exposé intitulé «Changements climatiques et devenir de l’Afrique», Pr. Mrabet, (ancien Doyen de la Faculté de Droit d’Oujda, toujours actif au sein du Centre de Recherche et d’Etude en Droit et Science Politique (CREDESPO) à Dijon, a indiqué que les pays africains sont traités de manière «humiliante» de la part de certains chefs d’Etat. C’est ainsi que l’actuel locataire de la Maison blanche n’a pas hésité à proposer la «recolonisation» du continent, à l’instar, d’ailleurs, d’un certain chef d’Etat mauritanien. Des propos dégradants ont été tenus aussi à l’encontre de l’Afrique par d’autres chefs d’Etat comme l’ancien président français Sarkozy, sans oublier les positions décourageantes pour l’Afrique d’autres dirigeants de par le monde.

Selon lui, rien ne prouve que l’Afrique est sur la bonne voie de l’émergence, car les pays du continent ne maitrisent pas leur sort. Pour réaliser leur autonomie et décider en toute liberté de leur sort, les pays africains se doivent de développer davantage leur coopération dans un cadre africain sud-sud, mettre en place des mécanismes autonomes pour exploiter leurs ressources naturelles et maitriser leur développement.

En matière «d’adaptation» aux changements climatiques, le continent paie tout simplement les frais du réchauffement climatique dont il n’est pas responsable. Les quantités de CO2 qui polluent l’atmosphère sont produites ailleurs par des pollueurs qui refusent de payer la facture des sécheresses de plus en plus fréquentes et des inondations de plus en plus violentes en Afrique. Tous les écosystèmes sont affectés et la déforestation s’accélère en Afrique, berceau des plus splendides faunes et flores dans le monde.

Partageant le même point de vue, Ahmed Azirar, Professeur à l’ISCAE, a brossé un tableau plutôt chétif de l’enseignement et de la recherche scientifique en Afrique, vidée depuis une longue date de son élite intellectuelle, à la recherche de meilleures conditions de vie et de travail dans les pays qui disposent des moyens de captage les plus imposants (Etats Unis, Europe, voire la Chine actuellement).

Dans une intervention intitulée «L’enseignement supérieur en Afrique et la recherche scientifique, axes stratégiques pour le partenariat entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne», Pr.Azirar a indiqué que les pays africains ont du mal à mettre en place un enseignement convenable, capable d’assurer l’éducation des masses nombreuses des jeunes du continent, qui une fois en mesure de mener des recherches sont souvent captés par d’autres pays. C’est une véritable guerre larvée à laquelle se livrent les grandes puissances qui ont mis en place des systèmes de captage et de drainage très performants et alléchants pour les chercheurs de par le monde, a-t-il dit, notant au passage que l’Afrique est complètement en dehors de ce jeu et ne fait qu’en subir les effets.

C’est ainsi que les pays européens ont mis en place Erasmus (EuRopean Action Scheme for the Mobility of University Students), un programme d’échange d’étudiants et d’enseignants entre les universités, les grandes écoles européennes et des établissements d’enseignement à travers le monde entier, a-t-il dit, recommandant aux pays africains d’en faire de même en se dotant d’un ERASMUS africain.

Et c’est en quelque sorte ce que propose désormais le Maroc aux pays africains dans le cadre de sa nouvelle politique africaine, a fait remarquer pour sa part Pr Abdelhafid Oualalou, vice-président du CERAB dans une intervention intitulée «la coopération sud-sud face aux nouvelles mutations de l’Afrique».

Après avoir revisité l’évolution historique du continent depuis l’époque coloniale, il a indiqué que le continent a besoin plus que jamais de ses ressources naturelles et humaines pour aller vers son intégration, comme le propose d’ailleurs le Maroc dans le cadre de sa nouvelle politique africaine.

L’Afrique n’a plus besoin d’assistanat et de plans de réajustement structurel, le continent a besoin tout simplement de la mobilisation politique de ses dirigeants pour décider du sort des masses africaines, a-t-il dit, notant que c’est précisément ce que propose le Maroc dans le cadre de la coopération sud-sud qu’il développe en direction de tous les pays africains.

En attendant, les pays africains sont appelés à améliorer la bonne gouvernance des affaires à travers notamment la promotion de la démocratie et à renforcer leur intégration dans l’intérêt de leurs peuples, a-t-il ajouté.

Pour sa part, El Moussaoui El Ajlaoui, de l’Institut des études africaines, a indiqué dans un exposé intitulé «les défis sécuritaires dans la région sahélo-saharienne» que rien ne prouve que la lutte contre les groupes terroristes dans la région va donner des résultats positifs.

Bien au contraire, la présence de troupes étrangères est motivée par d’autres considérations outre que la lutte contre les groupes terroristes, a-t-il expliqué en faisant allusion au dernier attentat qui a fait deux morts parmi les soldats américains engagés au Niger et dont personne ne parlait.

Le Sahel est un espace mal surveillé car difficile à contrôler. L’absence de l’Etat et la démission des décideurs facilitent aux groupes djihadistes terroristes la tâche, exploitant la misère des masses, victimes de la pauvreté extrême qui sévit partout dans la région et des changements climatiques dont les effets dévastateurs se font sentir partout en Afrique.

Exploitant à outrance ces conditions, les groupes terroristes s’y développent, malgré les efforts déployés par les uns et les autres dans le cadre du plan «G5Sahel», que les pays développés refusent de financer.

Le G5 Sahel ou «G5S» est un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité, créé lors d’un sommet du 15 au 17 février 2014 par cinq États du Sahel :

Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad.  Il s’est doté d’une convention signée le 19 décembre 2014 et le siège de son secrétariat permanent est en Mauritanie. Le poste de secrétaire permanent est confié au Niger.

Avec 50 millions financés par l’Union européenne, 10 millions de chaque État membre, et 8 millions de la France, les dirigeants sahéliens n’ont pour l’instant réuni qu’un quart du budget nécessaire au lancement de cette force, estimé à près de 450 millions d’euros.

Opèrent donc en toute liberté dans la région les groupes terroristes Al-Qaïda, BokoHaram, Aqmi, Etat islamique (et non pas Daech, propre aux pays du CHEM), outre une nouvelle organisation qui s’est donnée le nom de «Ansar Al Islam et Al Mouminine», a ajouté PR Ajlaoui.

Quant au Pr Moussa Kerzazi, il a insisté dans son intervention intitulée «démographie et migration africaines internes» sur la richesse et la diversité de la nature en Afrique.

Du point de vue démographique, le continent compte 1,2 milliard d’habitants contre 739.000 en Europe. Les pays africains disposent de ressources naturelles énormes, dont l’exploitation rationnelle aurait pu assurer au continent un développement harmonieux, a-t-il estimé.

M’Barek Tafsi

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