A future to believe in
Au pays qui a donné ses lettres de noblesse à la science-fiction, il sied, en effet, de rêver… ne serait-ce que le temps d’une campagne électorale. Et même si ce rêve est porté par un papy de 74 ans. Oui, c’est Bernie Sanders, candidat à la candidature des démocrates américains pour les prochaines présidentielles, qui sème un vent d’optimisme mobilisateur de la jeunesse et des laissés-pour-compte. Concurrent de la très médiatisée Hilary Clinton, Sanders est en train d’insuffler un ton nouveau à une campagne électorale des primaires jusqu’ici monopolisée par les sorties ultra-réactionnaires et anti-musulmanes du candidat républicain, le milliardaire Donald Trump.
Oui, la surprise de ce premier acte (on reste dans le langage de la dramaturgie) électoral, côté démocrate, est bel et bien le phénomène Bernie Sanders ayant bousculé la donne initiale ; celle de croire que ces primaires seraient une simple formalité pour Hilary Clinton. Or, on vient d’assister à un véritable rebondissement plein d’enseignements, non seulement pour le processus démocratique américain, très spécifique, mais aussi pour l’ensemble de la planète politique et les tenants de la pensée unique. La mondialisation se nourrit de la finance, mais de temps en temps d’idées novatrices.
Maintenu jusqu’ici dans une position d’outsider sympathique et surprenant, Sanders se voit désormais, depuis le round joué au New Hampshire où il damé le pion à l’ex-première dame de la Maison blanche, en candidat crédible, populaire, avec de sérieux atouts. Un démarrage en trombe, qui n’est pas sans rappeler un autre destin atypique, celui de l’actuel locataire du bureau ovale, Barak Obama. Tous les deux sont entrés en campagne en tant que novices. Certes Sanders a derrière lui une longue carrière de sénateur, mais il est issu de la marge. Barak Obama vient de la banlieue noire de la citadelle ouvrière Chicago. Sanders est un quasi-anonyme au-delà du modeste Vermont, dont il est issu. Il est en train de redessiner le visage terni de l’Amérique, et ce quel que soit l’acte final du scénario en cours.
Sanders prône la révolution politique et n’hésite pas à se présenter comme socialiste, en préconisant des mesures radicales. Du coup sa popularité est montée en flèche. Il est à l’écoute de l’électorat de l’Amérique profonde. Ses atouts de campagne sont la jeunesse, les femmes et les réseaux sociaux.
En face de lui, Hilary Clinton dispose de l’appareil du parti et du soutien de donateurs milliardaires. Et dans le système électoral américain, l’argent est le nerf de la guerre. Ce sont les milliardaires qui font et défont les carrières. Et à ce niveau, Sanders se distingue par une pratique originale en conformité avec son discours de gauche ; il développe une politique de campagne basée sur le financement participatif. Pour certains observateurs, il est en passe d’être le premier président «Crowdfundé», c’est-à-dire porté par un financement citoyen. Il ne fait appel à aucune entreprise.
Selon un connaisseur de la vie politique américaine, Sanders produit un discours inédit, dans tous les cas, un discours qui n’a pas été entendu depuis Carter dans les années 1970 ! Pas de langue de bois et, surtout, il pointe du doigt les vraies plaies de la société américaine. Il a promis, entre autres, la gratuité des études universitaires et, surtout, une mesure révolutionnaire dans le contexte libéral américain, celle d’augmenter les impôts, notamment pour le 1% de la population la mieux lotie.
Sanders, aussi paradoxal que cela puisse paraître, donne un coup de jeune à la politique. Il remet en question le jeunisme ambiant et démontre par l’action que la jeunesse n’est pas une affaire de biographie. « Je connais des jeunes de vingt ans », disait Léo Ferré. A 74 ans, Bernie, comme l’appelle ses fans, développe un discours jeune. En face de lui Hilary Clinton est plus jeune que lui, mais elle a un discours plus vieux. En face des républicains, il développe le discours de l’intelligence et de l’humanisme, alors que chez eux domine le discours qui attise les passions et la haine.
Mon voisin de gauche me rappelle que Sanders maintient une politique étrangère identique à celle en vigueur, notamment avec le soutien à l’Etat d’Israël. Ce n’est pas un scoop, en matière de politique étrangère, il y a des fondamentaux qui président aux positions des uns et des autres au-delà des clivages politiques. Pour les USA comme pour le Maroc, d’ailleurs, le principe primordial, en la matière, est la défense des intérêts stratégiques du pays.
Mais un socialiste à la Maison blanche, ce sera certainement un scénario inédit qui mérite d’être suivi, même si ce sont les producteurs qui disposent du final cut.
Par Mohammed Bakrim