Les statistiques présentées par le CCM donnent une filmographie marocaine riche de 325 longs métrages. On apprend aussi que 40% de cette filmographie (131 films) a été produite entre 2009 et 2015 alors que sur les cinquante ans auparavant (1958-2008) 194 longs métrages ont été réalisés. 325 longs métrages en près de soixante ans, c’est mieux que le Niger et le Mali mais c’est beaucoup moins que l’Egypte qui en est à plus de 3000 longs métrages mais en cent ans de cinéma ; et c’est encore beaucoup moins que le Nigeria qui, en moins de vingt ans (1992-2002) a produit plus de 15 mille (oui vous avez bien lu : 15 000) longs métrages…en support VCD bien sûr.
Si la filmographie marocaine demeure modeste en termes quantitatifs, elle n’en constitue pas moins un corpus riche en enseignements et ouvert aux interrogations multiples et diversifiées des analystes et autres chercheurs. On peut par exemple se demander si cette filmographie a vu l’émergence de films cultes ? Si elle a réussi à laisser des traces cinéphiliques. En d’autres termes se demander quels sont les films cultes de la filmographie marocaine ?
Mais au préalable, il faut peut-être s’entendre sur ce que « film culte » veut bien dire. Question pertinente d’autant plus que d’un point de vue épistémologique, « film culte » n’est pas une catégorie attestée par une assise théorique. Il n’y a pas, pour ainsi dire de critères scientifiques, objectifs pour décerner à un film/ à des films, le statut de culte. C’est tout au plus une construction cinéphilique, une production de la mémoire des cinéphiles, une séquence née dans la durée : elle croise la valeur intrinsèque du film lui-même, le profil de son auteur et son destin dans le vaste marché de la circulation des films. On peut préciser davantage en disnat que ‘film-culte » n’a rien à voir avec le succès commercial. Wechma (Hamid Bennani, 1970) fait ainsi figure de l’un de nos rares films bénéficiant du statut du « film culte », alors qu’à l’époque il n’avait bénéficié que d’une timide sortie commerciale. Cela n’a rien à voir non plus avec les succès et les récompenses dans les festivals. « Le film culte » absolu de la cinéphilie internationale, Citizen Kane (Orson Welles, 1941), a eu les honneurs des votes cinéphiles qui l’ont proclamé meilleur film de tous les temps et n’a pas drainé des prix professionnels.
On peut encore pousser l’analyse plus loin en distinguant « film culte » du « film événement ». Cette catégorie, qui n’a rien à voir avec le slogan promotionnel, a été introduite par l’analyste Diana Gonzalez-Luclert, sur la base de quatre critères qui font un film événement : l’impact public et médiatique ; la dimension esthétique ; l’ancrage dans un référentiel socio-culturel précis ; être vecteur d’un débat public au-delà de la sphère cinématographique. Elle cite pour l’Amérique, neuf films dont Naissance d’une nation ( W. Griffith, 1915), Les Raisin de la colère (John Ford, 1940)…, des films qui n’apparaissent pas forcément dans les listes phares établis par le cinéphiles. Un film peut être taxé de « film-événement » sans pour autant figurer dans le panthéon des films cultes. Casagnégra (Nour Eddine Lakhmari, 2008) est un film événement selon les critères supra-cités, mais est-il pour autant un film culte ? Seul l’avenir nous le dira.
Il y a en effet un élément fondateur du culte autour d’un film, c’est la durée qui permet à une génération de cinéphiles de se constituer une cinémathèque idéale peuplée de films cultes. Sur cette voie, on peut déjà affirmer que parmi les trois cents longs métrages marocains, les cinéphiles ont élu des titres phares constitutifs de tout un héritage commun à la tribu cinéphile. J’ai déjà cité Wechma, on peut y ajouter Chergui (Moumen Smihi, 1975) ; Ô les jours (Ahmed Maanouni, 1978) ; Mirage (Ahmed Bouanani, 1979) ; Le coiffeur du quartier des pauvres (Mohamed Reggab, 1982) Titre provisoire (Mostafa Derkaoui, 1984)…
Mohammed Bakrim