Par : Abdeslam Seddiki
Les chiffres annuels sur l’emploi viennent d’être publiés par le HCP. Ils ont été largement reproduits par la presse nationale soit avec un effet d’annonce pour saluer une baisse du chômage en 2018, soit pour relever une donnée qui fasse sensation. Il nous semble utile cependant d’interroger ces chiffres pour les «faire parler» et en tirer les conclusions qui s’imposent.
Ainsi, au cours de l’année écoulée, 112 000 emplois ont été créés (91OOO en milieu urbain et 21OOO en milieu rural) contre 86000 une année auparavant. Par secteur d’activité, la création de ces emplois est ventilée comme suit : le gros de l’effectif, avec 65000 emplois (58%), a concerné les services, contre une moyenne annuelle de 90000 durant la période 2008-2013 et 35000 durant la période 2014-2017; l’agriculture, forêt et pêche n’a créé que 19000 emplois contre 42000 une année auparavant et une perte annuelle moyenne d’environ 75000 postes en 2015 et 2016; le BTP en a créé 15000 au lieu de 22000 comme moyenne annuelle au cours de la période 2015-2017; l’industrie y compris l’artisanat a créé 13000 emplois (11000 en milieu urbain et 2000 en milieu rural) ,soit un léger mieux par rapport à la moyenne annuelle de la période 2015-2017 (10000).
Ces chiffres traduisent d’une façon on ne peut plus claire, les traits saillants d’une économie en voie de développement pour ne pas dire «sous-développée». Ainsi, l’essentiel des emplois se crée dans le secteur des services ou le secteur dit tertiaire. Et contrairement aux pays développés qui disposent d’un tertiaire qu’on qualifierait de «supérieur» (banques, assurances, loisirs, culture, services divers…), le tertiaire dont il s’agit dans les PVD, est un «fourre-tout» regroupant, à côté des activités susmentionnées, marginales du reste, une série d‘autres activités parasitaires et de survie qui constituent l’ossature du secteur informel et non structuré, lequel a pignon sur rue par les temps qui courent. D’ailleurs, les chiffres ne trompent pas : sur les 65000 emplois créés dans le secteur des services, 34 000 «postes» sont le fait du «commerce de détail hors magasin», comme les vendeurs ambulants et autres «ferrachas», 13000 emplois concernent les services personnels domestiques et 12000 autres sont créés dans la restauration et l’hôtellerie. On le voit, la précarité bat son plein. Les emplois décents sont au compte goûte quand ils ne sont pas carrément absents, du moins dans ce genre de tertiaire.
L’agriculture crée de moins en moins d’emplois, phénomène qui s’accentuera sûrement à l’avenir pour une raison évidente : outre le fait qu’il s’agit d’une loi d’évolution universelle, l’intensification et la modernisation du secteur, en cours, vont libérer des forces de travail en masse et éjecter une bonne partie de la paysannerie de la sphère productive.
C’est un fait connu que le monde rural connait un excès de la population et l’agriculture ne peut pas à elle seule créer autant d’emplois pour absorber 40% de la population active du pays! A titre d’exemple, dans les pays développés, la part de la population active dans l’agriculture ne dépasse guère les 5%. Pour améliorer les conditions de vie dans le monde rural, réduire le sous-emploi et le chômage déguisé et réguler davantage le phénomène de l’exode rural, nous n’avons d’autre issue que de multiplier des activités non agricoles en créant des centres émergents qui offrent un cadre de vie humainement acceptable.
Dans ces conditions, l’industrie demeure une exigence pour développer le pays, créer des emplois qualifiés et générer une transformation qualitative de la société. Il convient de noter à cet égard que nous avons encore du pain sur la planche. Le PAI en cours est peu créateur d’emplois et faiblement intégré au reste de l’économie. C’est un fait observable et mesurable. D’ailleurs, les postes crées au cours de l’année l’ont été dans les activités industrielles considérées «labor intensive» comme le «textile, bonneterie, habillement».
Pour ce qui est du taux de chômage, il a enregistré une baisse de 0,4 point (9,8% contre 10,2%) avec une baisse conséquente du nombre de chômeurs de 48OOO personnes. Mais ceci n’est qu’un miroir aux alouettes. Car les tendances lourdes du marché de travail demeurent inchangées : une baisse inquiétante du taux d’activité surtout pour les femmes (à peine 22,2%); un chômage de longue durée qui touche essentiellement les diplômés, y compris les lauréats de la formation professionnelle,( paradoxe de l’employabilité), les jeunes et les femmes. Le tout sous la coupole de la précarité. Sans parler des jeunes NEET (Neither in Employmentnor in education or training) sans emploi ni formation, et qui constituent une véritable bombe à retardement.
C’est dire que la bataille pour l’emploi est loin d’être gagnée. A supposer qu’elle ait commencé. Il s’agit de faire feu de tout bois pour remédier au chômage. D’abord par une croissance riche en emplois. Ensuite par des mesures de protection en améliorant par exemple l’IPE dans le sens d’un assouplissement des critères d’éligibilité, comme tremplin vers une assurance-chômage. Enfin en améliorant la gouvernance du marché du travail et l’attractivité territoriale pour créer de véritables bassins régionaux d’emploi… L’emploi, rien que l’emploi, tout pour l’emploi: voilà le mot d’ordre et la priorité pour le Maroc d’aujourd’hui et de demain.