Renforcement de Daesh en Libye
Les Occidentaux s’alarment de la montée en puissance de l’organisation Etat islamique (EI) en Libye, source directe de menace pour l’Europe et l’Afrique, mais excluent toute intervention tant que le chaos prévaudra dans ce pays.
«La Libye risque d’être la prochaine urgence», a mis en garde le président du Conseil italien, Matteo Renzi, quelques jours après les attentats de Paris et l’intensification des frappes aériennes contre l’EI en Syrie.
Cette ex-colonie italienne, plongée dans la guerre civile depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, devient «clairement un pôle d’attraction à mesure que la Syrie est plus compliquée d’accès», souligne-t-on de source gouvernementale française.
Les aspirants jihadistes européens, qui n’avaient d’yeux que pour la Syrie, commencent à s’y intéresser. A la mi-novembre, deux Français de 19 et 20 ans, soupçonnés de vouloir rejoindre l’EI en Libye, ont été arrêtés dans le sud de la Tunisie. .
Signe le plus tangible de cette montée en puissance, les attentats revendiqués par l’EI et perpétrés par des jeunes formés en Libye se multiplient dans la Tunisie voisine.
«C’est le pays le plus menacé. Les terroristes ne supportent pas l’idée qu’à quelques dizaines de kilomètres, il y ait une démocratie qui fonctionne», estime Kader Abderrahim, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris.
Dans le sud libyen, l’EI «provoque des tensions» entre Toubou et Touaregs, deux peuples dont les rivalités, véritable «poudrière», pourraient déstabiliser jusqu’au Tchad et Soudan voisins, poursuit le chercheur.
Pas d’accord, pas de soutien militaire
L’Europe s’inquiète aussi d’un nouvel afflux potentiel de réfugiés en provenance de Libye, une arme politique redoutable -et une possible source de financement- sur un continent en pleine crise identitaire.
S’y ajoute la crainte sécuritaire. L’EI pourrait en profiter pour «débarquer des jihadistes à Lampedusa», île italienne distante d’à peine 300 kilomètres des côtes libyennes, s’inquiète un ministre européen.
Sur le terrain, les factions libyennes susceptibles de faire la guerre à l’EI sont surtout occupées à se disputer la suprématie sur le pays, qu’il s’agisse des islamistes de Fajr Libya à Tripoli ou de combattants favorables au Parlement bis de Tobrouk.
Jusqu’ici tous les efforts de la communauté internationale pour aboutir à un accord intralibyen sur la formation d’un seul et unique gouvernement ont achoppé sur des rivalités de clans.
Sans un tel accord, «ce sera la victoire de Daech (acronyme de l’EI en arabe) en Libye», a averti le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, un des premiers à avoir tiré la sonnette d’alarme.
Aucun pays occidental ne montre en revanche d’empressement à intervenir militairement en Libye, après le précédent de 2011 qui a conduit au chaos généralisé et suscité l’ire des pays voisins.
«Si un accord intervient en Libye, alors on pourra apporter un soutien sécuritaire», concède une source gouvernementale française.
Des frappes ponctuelles
Concrètement, les marines européennes pourraient alors aller «à la chasse» aux passeurs dans les eaux territoriales libyennes. Des raids pourraient aussi être menés contre des fiefs jihadistes, notamment dans le sud de la Libye.
Les Etats-Unis sont bien déjà passés à l’acte, de façon très ponctuelle, sur des cibles bien identifiées. Le 13 novembre, ils ont bombardé l’EI en Libye, affirmant avoir tué son chef local, l’Irakien Abou Nabil.
«Ils n’ont toutefois aucune envie de s’engager dans ce pays avant l’élection présidentielle (fin 2016). Avec Hillary Clinton dans la course, la Maison Blanche va tout faire pour éviter de propulser ce pays en première ligne de l’actualité», souligne Geoff Parter, chef de la société de conseil américaine North Africa Risk Consulting.
L’assassinat de l’ambassadeur américain en septembre 2012 à Benghazi reste une page sombre pour l’ex-secrétaire d’Etat, aujourd’hui engagée dans la course à la présidentielle, et un angle d’attaque pour ses adversaires républicains.
Pour l’heure, Français, Italiens et Américains essaient surtout d’accroître la pression sur les différents groupes libyens non jihadistes pour leur arracher un accord politique.
Une conférence internationale, associant décideurs internationaux et régionaux, se tiendra le 13 décembre à Rome, sur le modèle de celle de Vienne concernant la Syrie, a annoncé cette semaine le chef de la diplomatie italienne, Paolo Gentiloni.
«La France a d’excellentes relations avec cinq protagonistes directs ou indirects (de la crise): l’Egypte, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie et l’Algérie. Il faut en profiter, ce sont des acteurs qui peuvent agir sur les belligérants», suggère M. Abderrahim.
Par Valérie Leroux, Eric Randolph (AFP)