Le canada, épouvantail de Trump
Par un tweet relayé, lundi 25 novembre, par son acolyte richissime, Elon Musk, Donald Trump a fait trembler tout le Canada, son voisin et allié de toujours. Une vrai coup de massue : « Le 20 janvier, dans le cadre de l’un de mes nombreux premiers décrets, je signerai tous les documents nécessaires pour imposer au Mexique et au Canada des droits de douane de 25% sur l’ensemble des produits entrant aux États-Unis par leurs frontières ouvertes. Ces mesures resteront en vigueur jusqu’à ce que les drogues, en particulier le fentanyl, et tous les étrangers illégaux cessent d’envahir notre pays !» … Une vraie déflagration dans le ciel politique canadien. Le gouvernement fédéral, les dix provinces de la fédération et les trois territoires fédéraux du pays sursautèrent de surprise avant que leurs dirigeants, députés et milieux d’affaires n’occupent tous les médias pour appeler à une réplique concertée d’Ottawa afin de ramener le 47ème président des USA à de meilleurs et traditionnels sentiments entre les deux pays, sinon, tout simplement, à une évaluation réaliste des relations commerciales les plus étroites au monde qui lient les deux « frères siamois » d’Amérique du Nord.
En conséquence, juste 48 heures après ce coup de boutoir trumpiste tant au traité de libre échange (l’ALENA) qui lie les trois pays, qu’aux deux économies si interdépendantes , le 1er Ministre Fédéral, Justin Trudeau, et après un coup de téléphone à Trump le jour même du tweet menaçant, se réunit avec les premiers ministres des dix provinces de la fédération… 48 heures après, soit vendredi 29 novembre, certains médias repèrent dans la soirée son avion en route vers la Floride, grâce aux « Flight trackers » ! Ses services durent communiquer en catastrophe pour annoncer un « souper » chez Trump dans son repaire de Mar-a-Lago ! Commentateurs et politiques multiplièrent alors souhaits et prières pour que le menu de ce dîner laisse le plus de temps possible à M. Trudeau pour défendre son pays, son économie, ses dispositifs de sécurité aux frontières, son modèle de société « ouverte » et ses valeurs de pays d’immigration et de « charte des droits et libertés », jadis terre refuge pour les victimes du maccarthysme, de la prohibition ou de la ségrégation raciale…
Près d’un million de travailleurs américains grâce au Canada
Partageant la plus longue frontière au monde (8891 kms sur le 49ème parallèle), le Canada (42 Millions d’habitants sur plus de 9,9 millions de Km2), 9ème puissance économique au monde, et les USA (347 millions d’habitants sur 9,8 millions de Km2) affichaient, en 2023, une valeur de près de 1000 milliards de dollars canadiens (près de 714 MM US) comme échanges commerciaux. La même année, chaque jour, l’équivalent de plus de 2,6 MM US de biens et services ont franchi la frontière canado-américaine dans un sens comme dans l’autre. Les Canadiens et les Américains nouent en fait une des relations commerciales les plus étroites au monde.
Plus de 5.500 entreprises canadiennes aux USA emploient près d’un million de travailleurs et le Canada est le 1er marché d’exportation agricole pour 27 états américains. Les exportations agricoles américaines vers leur voisin ont augmenté de 77% depuis 2010, alors que le Canada a importé plus de produits agricoles américains que du Japon, de la Corée et de Taiwan réunis. 80% des biens de consommation exportés par le Canada vont vers son voisin du sud. En haut de la liste des exportations canadiennes vers les USA, viennent les produits énergétiques, pétrole en tête : 166 MM de dollars canadiens, contre 32 MM pour les mêmes produits américains vers le Canada. Le Canada est le principal fournisseur aux USA de produits dérivés du bois d’œuvre, à hauteur de 8,4 milliards de dollars canadiens en 2020, en plus du papier et autres produits forestiers (les forêts canadiennes couvrent 9 % de la superficie forestière mondiale).
Enfin, il faut souligner le secteur canadien de l’automobile (voitures, camions, pièces…) qui exporte aux USA pour près de 30 MM de dollars canadiens. Ce secteur est clé dans les échanges entre les deux pays tant il peut expliquer, en partie, la surprenante décision de Trump : c’est dans ce secteur que la Chine est présente par ses lourds investissements aussi bien au Canada qu’au Mexique (et ailleurs dans le monde : Afrique, Maghreb, Asie, Amérique latine, Europe, Russie, aubaine du tournant technologique du véhicule électrique). Trump, on le sait, vise toujours la concurrence commerciale de la Chine et compte traquer ses traces partout dans le monde.
L’amalgame par l’immigration et l’épouvantail par le voisin
Quant à traquer les immigrés, Trump, mêle le Canada d’où 25.000 à 35.000 émigrés traversent frauduleusement vers les USA et le Mexique qui attire plus d’un million et demi de candidats de nombre de pays d’Amérique latine pour accéder illégalement au territoire américain. L’amalgame fait par Trump entre les frontières canadiennes et les Mexicaines, a été aussi surprenant pour le gouvernement d’Ottawa que la taxe commerciale de 25% brandie pour le commerce… Au diner de Mar-a-Lago, M. Trudeau était accompagné des 1ers responsables de la sécurité de ses frontières et de l’immigration, en face de leurs homologues déjà désignés par Trump.
La technique de l’amalgame fait partie des ficelles de négociation de Trump, « Deal maker » (Maître faiseur de deals) comme le nomment ses admirateurs. Dans tout échange ou négociation, il ne vise et évalue que le prix à obtenir… « Le mot que j’aime le plus dans le dictionnaire est le mot « prix« » dit-il… Dans toute transaction, il ne compte que sur le prix comme son principal et décisif « trump » (atout ou carte maîtresse, en anglais !). Car il sait, et c’est évident, que son interlocuteur réagira en dernière analyse à sa proposition ou décision en fonction du prix que cela lui coûterait. Le bon sens du commerçant professionnel et malin comme il se doit pour un businessman… Une des techniques de ce savoir-faire est d’intimider un 2ème négociant éventuel par le prix annoncé au premier afin de l’aligner sur le prix que semble pouvoir accepter, par résignation ou faiblesse, celui-ci… Trump ne brandit-il pas son deal si coûteux pour le Canada, ce « co-propriétaire » du continent pour faire plier le reste du monde aux mêmes exigences (taxes et immigration) ? S’il traite ainsi le Canada, pourquoi n’exigerait-il pas la même chose d’autres partenaires ?… Dans son sac, fort possible que cette manœuvre – épouvantail y soit ! Comme un gagnant atout, un « trump » quoi !
Pr. Jamal Eddine NAJI