Commémoration du 80ème anniversaire de la fondation du PPS
Dans le cadre de la commémoration du 80ème anniversaire de la création du Parti du Progrès et du Socialisme, la commission préparatoire du forum des économistes du progrès a organisé, mercredi soir à Rabat, une conférence autour de « l’évaluation des politiques publiques », dont la modération a été assurée par la chercheuse Sara Sbai, membre du comité central du PPS.
Ont pris part à ce débat les membres du Bureau politique du parti Abdelouahed Souhail et Abdeslam Seddiki, Pr Mohamed Benmoussa, président de ladite commission préparatoire ainsi que les professeurs Tarek El Malki, membre du BP de l’USFP et Abdelghani Youmni, expert économique dans les politiques publiques.
Souhail : La détérioration des conditions économiques et sociales, résultat de l’incapacité de la politique libérale poursuivie
Tout en soutenant que la détérioration des conditions de vie des populations est inévitable en raison des choix libéraux dans le pays, l’ancien ministre Abdelouahed Souhail a axé son intervention sur le volet social des politiques publiques, à la lumière notamment des conclusions du rapport de la Commission spéciale chargée du Modèle de Développement.
Ce rapport parle d’abord du manque de cohérence entre la vision et les politiques publiques poursuivies.
Il pointe aussi du doigt la faiblesse de priorisation des stratégies et des programmes et la faible prise en compte des limites en matière des capacités, qui est la base de toute planification.
Le rapport dévoile aussi la faible coordination sur des sujets transverses, a-t-il dit, soulignant qu’il s’agit donc de l’absence de vision stratégique globale à moyen et long termes.
La deuxième critique du rapport est relative à la lenteur de la transformation structurelle de l’économie. Selon le document, il est vrai que des progrès ont été enregistrés en matière de transformation de l’économie, mais il est vrai aussi que ce processus est long pour diverses raisons. L’économie rentière et le secteur informel dominent toujours car l’accès à l’économie n’est pas égal. Ceci explique donc la faible marge pour l’entrée en jeu de nouveaux acteurs économiques, car l’économie est tout simplement verrouillée.
La 3ème critique avancée a trait à la capacité limitée du secteur publique de conception et de mise en œuvre de politiques publiques de qualité.
C’est un choix qui remonte aux années 60 et au début des années 70, qui a été décliné sous forme de privatisations, considérant que le choix libéral et le marché libre ont une réponse à tout.
Selon A. Souhail, le rapport indique que le fonctionnement du secteur public se déroule sous forme de dôme, étant donné qu’il est hiérarchisé et qu’il ressemble au système traditionnel maghzénien au niveau économique.
Le document révèle également une faible implication des régions dans le PIB notamment et un sentiment d’insécurité et d’imprévisibilité des initiatives ainsi qu’un manque de confiance dans le système judiciaire et dans la bureaucratie excessive.
Et Souhail d’en déduire que les disparités sociales criardes sont donc appelées à s’approfondir et que la répartition inégale des infrastructures et des richesses va se renforcer.
Quant au marché du travail, il perd beaucoup plus d’emplois qu’il n’en crée. Ce qui explique évidement la faiblesse de la croissance économique et l’aggravation du déficit social.
Il s’agit donc d’une tendance que confirment les données du HCP, qui estime qu’il y a peu de création d’emplois et que c’est le secteur des services qui crée le plus d’emplois, alors que l’agriculture, les forêts et l’industrie ont perdu beaucoup d’emplois.
Souhail a également passé en revue la situation en matière de couverture médicale et de scolarisation, notant que le nombre des étudiantes à l’Université dépasse à présent celui des étudiants.
Il s’est également arrêté sur le phénomène de l’extension de la pauvreté, rappelant que plus de 3 millions de Marocains ont basculé récemment dans la pauvreté.
Benmoussa : l’évaluation scientifique des politiques publiques un impératif majeur
Pour sa part, le Pr Mohamed Benmoussa a axé son exposé sur les fondements théoriques des politiques d’évaluation et les domaines d’application.
D’entrée, il a dénoncé le caractère fantaisiste de certaines évaluations faites ici et là dans le pays, soit dans les médias, soit par des institutions ou des acteurs proches des centres de décision.
C’est ainsi qu’en matière de création d’emplois, un des représentants de l’exécutif a annoncé que le secteur industriel a créé 200000 emplois nets. Un autre a soutenu que l’économie nationale a créé 300000 emplois.
Mais le HCP ne parle que de moins de 198.000 emplois créés.
On a donc une évaluation fantaisiste de la politique de l’emploi, et une autre évaluation sérieuse réalisée par une institution dirigée par un responsable qui bénéficie depuis une longue date de la confiance royale.
D’où la nécessité de faire une évaluation scientifique des politiques publiques, une évaluation non pas politicienne, mais scientifique.
Cela signifie qu’il faut faire usage d’un certain nombre de méthodes objectives qui tirent leur source de déclics et de procédés des sciences sociales et qui répondent à une question fondée sur des éléments scientifiques : quels sont les enjeux, l’impact et les conséquences d’une politique publique.
Si on n’est pas en mesure de sonder l’évaluation sur des méthodes de recherche appliquée basée sur des méthodes scientifiques et des argumentations scientifiques pour répondre à la question centrale des enjeux et des impacts de la politique publique, on ne fait pas d’évaluation.
D’où la nécessité d’insister sur la dimension scientifique pour que l’évaluation soit incontestable et incontestée par l’objectivité et l’indépendance de ceux qui font cette évaluation mais aussi par l’expertise et l’utilisation des méthodes, des bases de données et avec la capacité de démontrer et non pas à affirmer.
Dans l’évaluation des politiques publiques, il y a des étapes : celle de définir les critères et les indicateurs de l’évaluation. Or le choix des critères d’évaluation n’est pas neutre. Il est éminemment politique. Il oriente les conclusions de cette évaluation.
D’où la nécessité que le critère du choix des critères de l’évaluation ne soit pas le fait d’une seule entité, mais qu’il soit l’objet d’une discussion, d’un débat et d’un consensus avec la participation d’entités différentes. Et non pas en exclusivité de l’entité qui est en charge de conduire une politique d’évaluation.
L’évaluation scientifique n’a pour seule vocation que les décisions politiques, qui sont éminemment politiques et résultent d’un système de valeurs et souvent de la délibération collective et engagent la responsabilité des politiques.
Mais l’évaluation scientifique des politiques publiques est de nature à donner des éléments de nature d’appréciation, à donner une connaissance et des informations sur les déterminants de la politique et sur les soubassements théoriques et les valeurs sous-jacentes des politiques publiques, sur les difficultés de mise en œuvre et sur les impacts probables des politiques publiques. Ensuite elles éclairent les décideurs par ces informations. Mais lorsque le décideur politique prend une décision sans cette évaluation on risque d’aller au-devant de difficultés majeures.
Pourquoi aujourd’hui l’évaluation des politiques publiques est indispensable. Parce que le poids de l’Etat dans l’économie est de plus en plus important. Et il est crucial de s’assurer de l’efficacité de chaque dirham investi. C’est important, d’autant plus que la situation des finances publiques est de plus en plus critique.
Lorsqu’on voit deux indicateurs : le poids des dépenses publiques par rapport à la richesse nationale créée par le Maroc et le poids de la dette publique par rapport à la richesse nationale et le PIB, on voit que l’on a atteint des records jamais vus dans le pays.
La dépense publique représentait quelque 35% en 2019 de la richesse nationale contre 45% aujourd’hui.
En 3 ou 4 ans, on a creusé la dépense publique de 10 points de richesse : de 440 milliards de dirhams à 640 milliards de dirhams dans la Loi de Finances de 2024.
Même processus mortifère de la dette publique qui était déjà très élevée : 900 milliards soit 75% du PIB aujourd’hui 1100 milliards de dirhams, soit 90% de la richesse nationale.
On a donc intérêt à faire des évaluations des politiques publiques les plus fines et les plus pertinentes possibles.
La deuxième raison c’est qu’il y a une demande sociale importante. Les Marocains sont de plus exigeants. Ils exigent des résultats rapides.
Et c’est un cercle vicieux. Le temps d’évaluation est long. Alors que le temps politique est court.
En matière d’évaluation, il faut être en capacité de réponde à la demande sociale tout en respectant les normes scientifiques.
La troisième raison : le régime rationnel légal (Max Wber en parle). Il a étudié plusieurs systèmes politiques et a constaté que dans un système démocratique, la légitimité des responsables politiques était liée à l’efficacité de leur action.
Et Benmoussa de noter qu’au Maroc, on est dans une monarchie exécutive et un processus de construction d’une architecture démocratique avec des rendez-vous électoraux. Il n’empêche que dans un système démocratique, le Maroc est une démocratie qui s’améliore.
La dernière raison concerne les dispositions constitutionnelles : l’article 1 de la Constitution de 2011 dispose que le Maroc est une monarchie et les articles 154 et 156 définissent les exigences des services publics, qui sont une traduction des politiques publiques.
Ces services publics doivent être soumis au principe de la reddition des comptes, de la bonne gouvernance et de l’évaluation.
Le dernier argument qui fonde le besoin d’une évaluation scientifique des politiques publiques est totalement endogène. Il correspond, selon Benmoussa, au statut particulier de Sa Majesté le Roi (Art 46 : « La personne du Roi est inviolable, et respect Lui est dû ».
En fait on est dans une monarchie hybride parlementaire, a-t-il estimé.
Et comme l’a rappelé le nouveau modèle de développement, les orientations stratégiques de la politique du Souverain sur le long terme ne concordent pas souvent avec celles du gouvernement à court et moyen terme. Et donc interroger les politiques publiques peut nous conduire à interroger des orientations stratégiques qui relèvent d’une décision royale. Ce qui peut être délicat, compte tenu des dispositions de l’article 46 de la Constitution. Interroger une politique publique, c’est la critiquer et la remettre en cause.
Compte tenu de cette difficulté d’application, l’évaluation scientifique des politiques publiques devrait être cruciale pour le Maroc, parce que l’évaluation est à double détente : il y l’évaluation de la conception de la politique publique, l’évaluation de la mise en œuvre de la politique publique et l’évaluation de la mesure d’impact de la politique publique. D’où la nécessité d’avoir des dispositifs d’évaluation scientifique ex tentés et ex positifs pour mieux éclairer le Souverain avant que les décisions d’orientation stratégiques ne soient prises.
Dès lors, comment mener l’évaluation scientifique par opposition à l’évaluation politicienne fantaisiste ?
D’abord il faut fuir comme la peste toutes les évaluations qui proviennent des institutions de Bretton Woods ou le consensus de Washington et tous les rapports de l’OCDE et similaires, il faut les prendre avec beaucoup de réserves, car ils sont souvent le fruit de modèles préfabriqués et appliqués de façon littérale à des pays sans prendre en considération leurs spécificités et parce qu’ils sont basés sur un fondement ultralibéral avec les 10 commandements du consensus de Washington et où la dimension humaine manque.
Deuxième principe, il faut impliquer des acteurs de l’évaluation. Ils doivent être indépendants et respectent les règles d’incompatibilité.
Les évaluations doivent en effet émaner des institutions constitutionnelles de l’évaluation (Cour des comptes, CESE, Bank Al Maghrib, Conseil de la Concurrence, Instance de prévention et de lutte contre la corruption, Inspection générale des finances, inspections des ministères).
La méthodologie d’évaluation requiert de la compétence. Pour ce faire, a-t-il dit, il faudrait aussi développer la culture économique et de l’impact économique et social. Il faut institutionnaliser aussi l’évaluation et l’organiser avec des budgets appropriés tout en impliquant les citoyens dans les enjeux de l’évaluation et les ONG.
Il a également évoqué les domaines d’évaluation que constituent les politiques industrielle, agricole, fiscale, de l’emploi, monétaire, financière, etc.
Après 4 plans industriels, la part de l’industrie a chuté à 15% et également en matière d’emploi.
La politique agricole avec le Plan Maroc Vert a bénéficié surtout à la grande exploitation exportatrice. Elle s’est traduite par la destruction des emplois et a contribué à l’extension de la pauvreté et de la vulnérabilité en milieu rural.
M’Barek Tafsi