El Hsla de Sonia Terra
«On ne fait pas de films sur les gens, on fait les films avec les gens»
Rithy Panh
Un film qui suscite une polémique c’est bien; un documentaire qui provoque le débat ce serait encore mieux. Encore faut-il préciser que polémique suppose échange, prise de position d’un côté et de l’autre; débat suppose thèse à défendre, arguments et contre arguments… Autour du produit présenté par 2M dans le cadre de sa fenêtre dédiée au «documentaire» et signé de Sonia Terrrab, il n’y a eu ni l’une ni l’autre.
Par contre la toile a vu défiler des réactions virulentes y compris de la part des protagonistes du film créant ainsi un buzz contribuant non pas à discuter le film mais à révéler et à confirmer la logique qui a présidé à son écriture, une logique de communication masse-médiatique. Celle justement cherchant le buzz : «Le buzz est une technique marketing consistant à susciter du bouche à oreille autour d’un événement, d’un produit ou d’une offre commerciale et, ce faisant, des retombées dans les médias» dixit Wikipédia.
L’occasion était pourtant propice pour relancer le débat sur la place du documentaire dans le paysage des images (cinéma, télévision, Web…) et surtout sur la problématique récurrente des rapports de notre société aux images; notamment les images qui osent ou prétendent refléter une certaine réalité. Pour le cinéma je rappelle que les années 2000 ont été particulièrement marquées par des polémiques qui ont mis les images au cœur du débat public et sociétal. Des moments forts jalonnent cette histoire récente avec Marock (2005); Casanegra (2008) ou encore Much loved (2016) ce film constituant le point paroxystique – l’effet des réseaux sociaux aidant – dans ce rapport frictionnel entre cinéma et société. Lhsla aurait pu se positionner danns cette perspective en suscitant un débat d’une autre nature. Cela n’a pas eu lieu car le film était limité au niveau déjà de ses choix d’écriture.
Dans ce sens, je dirai d’emblée que le film a rompu avec le référentiel esthétique du documentaire cinématographique en tablant sur une logique de communication et d’audimat. Cela se décline à travers une série de choix : le sujet prime sur le point de vue; des images accessibles au premier degré; une compilation de situations-clichés y compris pour les plans de transition ou de coupe. Un casting surfant sur la surdramatisation du récit. En effet, le système des personnages indique qu’il y a bel et bien un casting ; dans la phase d’enquête, on a sélectionné des personnages en éliminant ceux qui passent moins bien, obéissant à la nécessité du spectacle et au formatage imposé par la commande. Des choix au détriment de la représentativité et de l’exhaustivité qui forment la grammaire de base du documentaire cinématographique.
Le film est parti sur une idée de scénario illsutrée par une chanson du groupe Lamchaheb qui donne son titre au film. Et il se conclut sur le célèbre chant de ralliement des supporters du Raja «dans mon pays je subis l’injustice». Deux choix qui trahissent une méconnaissance du quartier historique de Casablanca et son background culturel. D’un point de vue socio-anthropologique, le Hay Mohammedi n’existe plus; il relève désormais de la mythologie ; c’est un signifié qui n’ a plus de signifiant. L’enjeu pour le film était alors de travailler un certain type d’imaginaire à l’épreuve du réel.
Or, les entrées choisis n’ont pas réussi à interroger le réel, ce que nous en savons et ce que nous en avons construit comme imaginaire. Les concepteurs du film sont restés enfermés dans une certaine représentation du quartier qu’ils ont cherché à restituer en niant le réel qu’ils sont «venus» capter ; le résultat étant une ghettoisation thématique. Je leur rappelle que les meilleurs documentaires sont ceux qui annulent les scénarisations déjà là. Le but de la démarche documentaire est de faire reculer nos représentations antérieures ; de nous donner une nouvelle vision du monde. Ce regard nouveau ne peut se construire qu’en faisant reculer les stéréotypes, les clichés…
Un film, comme toute œuvre artistique, n’est abouti que s’il est un moment qui révèle, au-delà du thème, la sensibilité, le projet, la vision et in fine le talent de l’auteur. Sonia Terrab aime être «hors la loi», cette fois avec El Hasla, elle est hors jeu. Dans les deux cas de figure ce sont des postures dictées par un regard porté par la quête de l’exotisme social.