Un jour, un livre
Mohamed Nait Youssef
Une voix poétique de grande sensibilité et profondeur, Mohamed Loakira a laissé son empreinte indéniable et indélébile. Il fut un grand poète, mais aussi conteur ayant marqué le paysage littéraire national. L’expression poétique était sa demeure.
«Voilà un poète qui ne connaît point d’influences. Il a modelé son univers pour trouver sa voie. Rien ne tient à côté de ça. Voilà bien des décennies que je fréquente ses textes pour le goût de la création poétique et l’exactitude littéraire. Loakira a le sens du rythme, assure le ton et la rigueur dans l’expression. Ce souci, il est chez lui permanent. Quant à l’image, elle n’est détour que pour appeler les choses par un autre nom que le leur. Et c’est à chaque fois un étonnant bonheur. On peut même considérer son style de précieux. Il peut varier d’un recueil à un autre, hors de toute école, avec une indifférence pour les clameurs nouvelles. Le pouvoir des mots, les silences, les atténuations gardent la même facture, inclinent l’esprit vers la célébration.», écrivait le romancier, poète et sémiologue, Noureddine Bousfiha.
Dans «Partance», le poème-récit de Mohamed Loakira paru chez «Virgule Editions» (2019), le poète et écrivain livre ses confessions et aveux, questionne la mémoire avant de partir. «On écrit à la fois pour continuer à vivre et pour vivre en plus. Partance est de cette nature. Le poète y paraît suspendu continuellement à un détail, une cadence, un rappel du déjà-dit, au sein d’une unité plurielle… (Quitte à me répéter), dit Loakira. Chemin faisant, il ne cesse de se battre avec ses textes précédents, avec les incidents et interactions du quotidien, du rêve, avec les faiblesses, blocages ou inondations», écrivait le critique littéraire, Jacques Alessandra à propos de l’ouvrage.
A travers ce poème-récit, l’auteur veut faire «le point avant de partir ailleurs. Car Partance se veut le bilan d’une traversée marquée par les repères qui comptent le plus, un arrêt sur mémoire, tant consciente qu’inconsciente, et un refuge où Loakira dépose les fuites de l’imaginaire, le corps-à-corps avec la langue, l’espace, les confessions à même le blanc, avec le monde réel, éclaté par le bougé de l’écriture», ajoute Alessandra.
«Opiniâtre,
Je me tiens (presque) de Bout
En contrebas du promontoire,
De la forêt des chênes-lièges, des coquillages enfouis sous le sable
Vibre aux chants nostalgiques
Des oiseaux migrateurs, du silence,
De l’opacité du brouillard, du mirage
Interpellant l’obsession d’y croire
Encore, encore, encore…
Davantage », écrit le poète décédé le 13 décembre 2023 des suites d’une longue maladie.
Le temps passe, l’écrit reste. Les hommes partent, les mots demeurent. Dans Partance, le poète réhabilite la mémoire, extériorise ses nostalgies et ses ressentis entre l’ici et l’ailleurs. Le poète continue de vivre par le biais de ses mots, de son verbe serein, sage où repose l’âme humaine.
«Ce qui différencie Loakira des autres poètes, c’est qu’il retrouve dans la contrainte, sa propre liberté. Sa maison est de verre. Y tinte à l’intérieur un réseau sonore qui ajoute au confort de tous les sens. Une secrète mysticité accompagne des vers feutrés. A peine proférés, ils retrouvent la pureté du silence qui finit par imposer une sagesse qu’on partage avec le poète.», précise Noureddine Bousfiha. Mohamed Loakira y voyait la beauté dans la poésie. Sa langue poétique à la fois exigeante, limpide et pleine de rêveries et d’images poétiques… fait la singularité de son écriture et de sa marque de poète.
«On se tromperait toutefois en faisant de Loakira un esthète étranger à la vie réelle. S’il fascine, il trouble aussi avec un naturel confondant. C’est que pour lui, sa poésie ne constitue pas une fin en soi ; elle est au service de la beauté, celle qui garde jalousement pour nous le fanal allumé de l’esprit. Il est ce poète à qui l’on peut confier ses textes. Il prend le temps de lire. Il annote. Il commente avec une générosité du cœur effilée et subtile. Et ce n’est pas là son moindre mérite. Quand j’y pense, c’est peu de choses en son honneur. J’aimerais devant l’éternel lui devoir davantage que ce témoignage combien même sincère.», témoigne Noureddine Bousfiha.
«Partance» est un appel à la vie. Une ode à la mémoire. Une résilience contre l’amnésie. Les mots demeurent.