Par Mohamed Beniaich*
Selon Business Dictionary, le terme capital signifie la richesse sous forme d’argent ou d’actifs, considérée comme un signe de la solidité financière d’un individu, d’une organisation ou d’un pays, et présumée être disponible pour le développement ou l’investissement. Le terme capital peut être divisé en deux grandes catégories: le capital matériel et le capital immatériel. Ce qui nous intéresse dans cet article dans lequel nous suivrons l’approche adoptée par les directives Meritum pour la gestion et la déclaration des actifs incorporels et utiliserons de manière interchangeable les actifs incorporels et le capital intellectuel, car Il n’existe pas de définition communément admise des actifs incorporels – le mot est souvent utilisé comme nom pour désigner globalement la même chose que capital intellectuel, l’essentiel est de mettre en relief les capitaux immatériels ou les trésors intangibles dont notre pays regorge et les multiples secrets qui s’y cachent ou se volatilisent tacitement dans l’air en raison de l’insouciance, le manque d’une vision ambitieuse et des objectifs réalistes et atteignables dans ce domaine . Malgré les Stratégies lancées et les intentions déclarées du gouvernement en ce sens, nous ne leurrons pas de fausses espérances ou d’illusions quant à leur mise en application. Les preneurs de décisions nous semblent incapables de sortir de l’ornière dans laquelle le capital intellectuel est embourbée. Comme l’a indiqué un politicien expérimenté dans une conférence à propos de l ‘insertion du Maroc dans l’économie du savoir, les politiques publiques dans ce domaine peuvent ressembler non pas à une tortue, mais à un hamster dans une roue d’entraînement, avançant continuellement, mais n’allant presque nulle part.
Le séminaire intitulé « La place du Maroc dans l’économie du savoir » organisé par la Banque Mondiale en dit long sur les échecs des politiques du Gouvernement qui se sont avérés consternants et insoutenables ; tous les quatre Piliers de l’Economie du Savoir ont été en deçà de ce qui était attendu:
1-Notation du Maroc par rapport aux Régimes Incitatif et Institutionnel:3.02 alors que la Notation moyenne est de 4.54
2-Notation du Maroc par rapport à l’Innovation est 3.96 alors que la Notation moyenne est de 4.47
3-Notation du Maroc par rapport à l’Education est 1.87 alors que la Notation moyenne est 4.90.
4-Notation du Maroc par rapport aux Technologies de l’Information est 3.99 alors que la Notation moyenne est de 4.92.
On dégage, donc, que Le Maroc se compare défavorablement dans le Région MENA et relativement aux pays à revenu intermédiaire-bas, par rapport aux quatre Piliers de l’Economie du Savoir, principalement l’Education, se positionnant au 102 rang dans la classification d’indice de 9, selon Maroc Portail de Données.
L’analyse détaillée a fait apparaître d’énormes et remarquables faiblesses, qui entravent la concrétisation le renforcement d’une manière durable et irréversible le positionnement de notre pays dans le développement du capital intellectuel. « Le Royaume a perdu 9 places et s’est classé au 102ème rang, avec un affaiblissement de la performance dans trois des quatre piliers avec le plus fort recul du pilier de l’innovation, de même un examen attentif montre que le pilier de l’éducation demeure le plus problématique avec un faible score (1.87), et occupe les dernières places sur les 145 pays étudiés. Les Émirats arabes unis, Bahreïn et Oman occupent des places les plus avancées, leurs positions supérieures reflètent une forte performance sur les piliers de l’innovation, de l’éducation et des TIC tandis que la Sierra Leone et Myanmar ferment le bas du tableau avec la 144 et 145ème position. » ((les modifications ont été effectuées en tenant compte des nouvelles statistiques disponibles sur le net).
Il faut le dire haut et fort que nous sommes entrés de plein pied dans une ère où le changement et le renouvellement continus, la restructuration et la reconstruction, la réforme et la transformation sont des caractéristiques dominantes et urgentes. L’époque actuelle a amené une rupture et un flou de toutes sortes de frontières – nationales, sociales, politiques, technologiques et en communication. Et face à ces changements profonds et brusques de ce contexte internationalement concurrentiel, causés par une mondialisation universelle et apparemment irréversible et une économie mondiale de plus en plus basée sur la connaissance et le savoir et le rôle des actifs incorporels dans la création de richesse, Le Maroc devrait s’efforcer davantage d’exploiter pleinement , avec efficience et efficacité ses facteurs immatériels de croissance endogènes dans l’optique d’obtenir un avantage concurrentiel de valeur ajoutée et afin de disposer d’une accumulation qualitative et quantitative d’actifs incorporels solides et durables permettant de naviguer avec aisance de la situation actuelle vers la vision future du pays. Dans le passé, la vision, les objectifs et les orientations politique et économique des pays ont été déterminés principalement en considérant les actifs corporels comme les principaux facteurs déterminants de la prospérité. Cependant, dans l’économie du savoir, Les ressources immatérielles (capital intellectuel ou CI) sont maintenant largement reconnues par les spécialistes et les praticiens comme l’avantage concurrentiel le plus prisé par toutes les composantes de la société. Les investissements immatériels (recherche et développement ou R & D, innovation, création de connaissances et leur institutionnalisation, les brevets, les logiciels, les systèmes d’organisation, l’image et les marques des entreprises et les pays) sont désormais considérés à l’unanimité comme les sources de performance les plus importantes. La valeur et la performance des actifs incorporels augmentent au cours de leur utilisation, contrairement à un actif corporel. On peut prendre l’exemple d’un ordinateur portable (comme matériel informatique tangible) à titre d’illustration, celui-ci diminue rapidement de valeur lorsqu’il est utilisé. D’autre part, un brevet ou une image de marque (Nation Branding) d’un pays peut générer une valeur considérable et infinie. Ainsi, Notre pays doit il exploiter pleinement et mettre en avant l’efficacité de ses capitaux immatériels en interne et en externe.
Certes, le Maroc jouit de plusieurs capitaux immatériels fondamentaux :
Un capital relationnel important : « Le Maroc occupe une position géopolitique avantageuse. Il se trouve à la croisée des chemins entre l’Afrique subsaharienne, le monde arabe et l’Europe et jouit d’un nombre considérable d’alliés puissants et de taille, élargissant l’étendue de ses relations externes et son poids ».
Au niveau du capital image, plus sa stabilité politique, la réputation du Maroc auprès des pays du G8 « est meilleure que celle des BRICs (à part le Brésil) et dépasse largement celle de la Turquie et de l’ensemble des pays arabes et africains. C’est la conclusion d’une récente étude, dont la rédaction a été achevée en juillet, sur «la réputation du Maroc dans le monde» réalisée par l’Institut royal des études stratégiques (IRES) en partenariat avec le cabinet «Reputation institute». Ce qui en résulte est que, ces dernières années, le Maroc a réussi à attirer un flux relativement constant de capitaux étrangers. Il en va de même pour l’industrie touristique, et selon les statistiques de l’Observatoire du tourisme au Maroc, le nombre d’arrivées de touristes étrangers a augmenté de 15% par rapport à la même période de l’an dernier. Cependant, le niveau des IDE reste modeste et pourrait contribuer davantage au décollage économique si l’on investissait dans le développement et la valorisation des capitaux internes, à savoir notamment le capital intellectuel.
Comme le pétrole, le capital intellectuel est à la fois un produit et une matière première.
Toutefois, c’est un atout important qui nécessite un contexte dans lequel il peut être nourri, développé et transmis, ou transformé en quelque chose permettant de générer et de traduire des idées nouvelles en produits et services innovants. Le capital nécessite les synergiques combinatoires des secteurs et d’intervenants et un confort dans les modalités institutionnelles et financières pour forger l’ institutionnalisation , l’investissement et la valorisation de la recherche et le développement, les systèmes efficients de développement d’entreprises nouvelles et innovantes, l’adéquation des qualifications, l’efficience du marché du travail à travers une stratégie unifiée, holistique et globale ,une planification convergente ,la participation et la persévérance des citoyens équipés d’outils utiles et nécessaires et un degré élevé de maturité politique et de désintéressement résultant d’un amour sincère du pays . Les exemples sont innombrables de pays et d’individus qui ont fait fortune en développant le capital intellectuel tels que Bill Gates et Paul Allen, les fondateurs de Microsoft, Sergey Brin et Larry Page, les fondateurs de Google. Ce sont les spéculateurs des temps modernes, qui ont su trouver un nouveau champ de pétrole avec une réserve pratiquement infinie. Ces personnages prospecteurs et développeurs ne sont pas le fruit du hasard, mais illustrent à merveille le fait que l’institutionnalisation et l’accumulation qualitative et quantitative de la recherche scientifique et le développement technologique ,le développement expérimental et l’innovation ont un rôle fondamental en stimulant, affinant et confortant les compétences de la créativité, l’imagination, l’esprit critique (l’esprit de questionner et se questionner) , le désencombrement du cerveau (pour apprendre à faire des choix, à structurer ses pensée) la coopération et travail en équipe, gestion de projet et organisation par processus, le gout de l’effort, la persévérance et le dévouement.
Pour les pays, et selon Acemoglu, Daron et David Autor, « Compétences, tâches et technologies: conséquences pour l’emploi et les revenus », la part de la valeur ajoutée de l’économie de la connaissance dans les dix premiers pays est passée d’environ 13% à 37%, tandis que l’emploi est passé de moins de 14% du total des emplois privés à plus de 40%.
Quels sont les efforts déployés et requis par Le Gouvernement et les institutions publiques et privées nationales et les différentes possibilités ouvertes en ce qui concerne la promotion et le développement du capital intellectuel dans notre pays «pour monter dans le wagon de la vraie modernité, celle de l’utilisation des connaissances, de la création du savoir et du développement de l’intelligence? Ont-ils entamé les réformes économiques et politiques nécessaires pour apporter des réponses adéquates aux causes (chômage, insécurité sociale, manque d’investissement, mauvaise compétitivité, mauvaise gouvernance, déséquilibre régional…)?».
Pour éclaircir cette question complexe et aider les dirigeants de pays à choisir des orientations stratégiques, la Banque mondiale a mis au point un instrument appelé indice de l’économie du savoir. Sur la base de 148 indicateurs qui servent de substituts pour 4 piliers du capital intellectuel ou de l’économie du savoir.
1-Régime Economique et Institutionnel
-Existence des politiques économiques et des institutions permettant l’utilisation efficace du Savoir existant et nouveau, et l’émergence des capacités entrepreneuriales.
2-Education et Ressources Humaines
-Population éduquée et qualifiée pouvant créer, partager et utiliser efficacement le Savoir
3-Système d’Innovation
-Existence d’un système d’innovation efficace au sein des entreprises, centres de recherches, universités, bureaux d’étude et autres organisations permettant de profiter du stock du Savoir global, de l’assimiler et de l’adapter aux besoins locaux, et de créer de nouvelles technologies.
4-Technologies de l’Information et des Communication (TIC)
-Afin de faciliter la création, disponibilité de la dissémination et le traitement de l’information d’une façon efficace
En plus de ces quatre piliers, le cadre du capital intellectuel utilise d’autres variables qui comprennent :
–Le Capital éducatif qui se réfère à des biens éducatifs qui sont convertis en produits immatériels destinés à être achetés, vendus, conservés, échangés, consommés et mis à profit dans le système éducatif. Sans améliorer la qualité de l’école, notre pays aura du mal à améliorer ses performances économiques du savoir à moyen et long terme.
L’éducation est importante pour de nombreuses raisons. Nous nous concentrons sur sa contribution à la croissance de l’économique du savoir et à ses résultats. L’éducation « peut être définie comme le stock d’aptitudes, de compétences et d’autres caractéristiques permettant d’améliorer la productivité » (WEF 2016). En général, l’éducation – en tant que composante essentielle du capital humain d’un pays – accroît l’efficacité de chaque travailleur et aide le Maroc à s’insérer facilement dans l’économie du savoir. Toutefois, ignorer la dimension économique de l’éducation mettrait en péril la prospérité des générations futures, avec des répercussions néfastes et généralisées sur la pauvreté, l’exclusion sociale et la durabilité des systèmes de sécurité sociale (Woessman 2015).
Qui plus est, la littérature qui étudie les caractéristiques économiques des matières scolaires a permis de comprendre que ces matières ne devraient pas être considérées comme un panier homogène d’un bien indifférencié. Les matières scolaires diffèrent à bien des égards. Une différence cruciale concerne la capacité des différents types de matières à soutenir l’introduction d’innovations dans le système économique. Certains types de matières scientifiques, et plus particulièrement certains domaines disciplinaires comme les mathématiques, la physique, l’économie, les langues…, sont des ressources fondamentales pour la génération de changements technologiques et, en définitive, pour la croissance économique du savoir. Cela est dû au fait que ce type de connaissances peut être appliqué avec succès dans des domaines très différents. Il peut être facilement recombiné pour générer de nouvelles connaissances technologiques et permet souvent à ceux qui les génèrent de conserver la valeur économique de leurs inventions. À cet égard, ce type de connaissances peut être considéré comme un capital immatériel ou un intrant intermédiaire susceptible de favoriser réellement le changement technologique. D’autres types de matières ont plutôt un champ d’application beaucoup plus étroit et ne procurent pas de retombées économiques substantielles à ceux qui les génèrent, pire encore elles entravent la valorisation du Capital social que nous développerons plus tard à cause des valeurs rétrogrades et nocives qu’elles propagent.
–Pour un capital social solidaire et civique:
À des fins de développement économique, la Banque mondiale et l’OCDE utilisent le concept de capital social, en le définissant conformément à la perspective communautaire: «Le capital social désigne les normes et les relations sociales enracinées dans les structures sociales des sociétés permettant aux citoyens de coordonner l’action pour atteindre les objectifs souhaités »(Banque mondiale 2009, OCDE 2009).
Bourdieu: le capital social est l’ensemble des ressources réelles ou potentielles liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées de connaissance et de reconnaissance mutuelles.
Lin: Le capital social se définit comme les ressources intégrées dans le réseau social, des ressources accessibles ou mobilisables par le biais de liens en réseau.
Putnam: Le capital social fait référence aux caractéristiques de l’organisation sociale, telles que la confiance, les normes et les réseaux, qui peuvent améliorer l’efficacité de la société en facilitant les actions coordonnées.
Coleman: Le capital social est défini par sa fonction. Ce n’est pas une entité unique, mais une variété d’entités différentes ayant deux caractéristiques communes: elles consistent toutes en un aspect de la structure sociale et facilitent certaines actions d’individus qui font partie de la structure.
Comme les autres formes de capital, le capital social est productif, permettant d’atteindre certains objectifs qui ne seraient pas réalisables en son absence. Le capital social communautaire est lié à plusieurs tendances positives dans une société démocratique qui valorise ses citoyens et incorpore leurs valeurs positives dans l’action politique, en associant les réseaux sociaux aux valeurs positives et unifiées de la société, à la stabilité de la société, à la solidarité, à l’intégration sociale, au sentiment d’appartenance et au consensus social (Putnam ,2000).
Alors que certains de ces atouts demeurent encore davantage des processus en cours que des acquis irréversibles même chez les pays les avancés, mais au bout du compte, il n’en demeure pas moins vrai que le Maroc manque cruellement de réalisations solides et créatrices de richesses, incapable de surmonter ses handicaps structurels qui pénalisent ses efforts et qui contribuent à ses contre-performances actuelles de valoriser pleinement et efficacement ses différents capitaux immatériels, en élaborant des stratégies réalistes et réalisables qui qui encouragent l’utilisation efficace des connaissances existantes et nouvelles et le développement de l’esprit d’entreprise, un système d’innovation efficace composé d’entreprises, de centres de recherche, d’universités, de groupes de réflexion, de consultants et d’autres organisations, tous peuvent exploiter le stock croissant de connaissances, l’adapter aux besoins locaux et créer de nouvelles solutions technologiques. Une population instruite et convenablement formée est capable de créer, de partager et d’utiliser des connaissances. Une infrastructure informatique moderne et accessible facilite la communication, la diffusion et le traitement de l’information.
*(ex membre du CC du PPS)