Point de vue
Par Mourad Akalay
A en juger par certains commentaires de presse, le Maroc et l’Algérie seraient sur le point d’en découdre sous le regard amusé des voisins européens, contents de s’estimer pour une fois hors de leur cible. Confondant rivalités politiques entre régimes héritant d’un passif, certes, lourd à assumer, et exigences de développement économique forcément commun, d’aucuns en viennent à perdre le sens de la mesure et des réalités.
Dans cet engrenage diabolique les réseaux sociaux ne sont pas en reste, chacun prêtant à l’autre les arrières pensées les plus funestes. Fait nouveau, les autorités algériennes en viennent à proférer ouvertement des accusations graves à leurs voisins sans le moindre effort préalable de vérification de leur bien fondé. Ce procédé mine la crédibilité de toute argumentation politique d’usage et ouvre la voie à n’importe quoi. On est prévenus : dorénavant, il faut s’attendre à tout.
Depuis le début des années soixante, le discours « révolutionnaire » officiel de nos voisins est d’un simplisme déconcertant : Monarchie réactionnaire, d’une part, ne sachant tramer que complots contre le phare de la « Révolution ». Mais de quel phare s’agit-il au fait ?
Il faut rappeler quelques vérités historiques qu’aucune idéologie de circonstance ne peut altérer et encore moins passer sous silence. DIEN BIEN PHU est la réplique d’ANOUAL première défaite, en bonne et due forme d’une armée coloniale en Afrique et dans le monde, avec un nombre aussi impressionnant de soldats tués ou faits prisonniers dont le général commandant les troupes coloniales. Une armée coloniale avec son état-major et ses gradés appelant au secours sa sœur française. Seules ces deux grandes batailles peuvent se prévaloir d’un tel « bilan » rendu plus cruel par les bombardements aériens des populations civiles à l’arme chimique pour la première fois depuis la guerre 14-18. Et plus tard ceux des B52 au Vietnam.
Il faut dire qu’Anoual n’était que l’une des principales batailles que devait connaître la région du Nord après les soulèvements armés des Anjra à l’Ouest à la fin du XIX ème et des Qal3iya jusqu’au début du XX ème à l’Est. C’est d’ailleurs suite à ces deux grandes campagnes militaires que la partie espagnole commença à revendiquer, outre le paiement de lourdes indemnités de guerre, des compensations territoriales au Sud de l’oued Draa, avant même la signature du traité du Protectorat. (Germain Ayache : Études d’histoire marocaine 1979). Surtout que la très forte vigilance des Ait Ba-Amrane rendait difficile toute pénétration au Sud d’Ifni sans l’assentiment du pouvoir central. Comme quoi, le démembrement du pays était déjà à l’ordre du jour des puissances coloniales !
En clair, la guerre du Rif ou plutôt sa conclusion pouvait servir d’une sorte de pas-de-porte pour prendre pied au Sahara Occidental. Et de fait, pendant près d’un siècle, du Nord au Sud, le Maroc n’a guère cessé de montrer la voie de la résistance avant que ne retentisse le premier coup de feu d’Alger en novembre 54. Et voilà pour tous ceux qui refusent de reconnaître tout lien entre le Nord du Maroc et son Sud saharien.
Pour revenir à la bataille d’Anoual, Mao Tsé Toung, Ho Chi Min et le général Giap savaient, déjà, ce dont ils parlaient quand ils disaient s’être inspirés de la guerre du Rif pour mener leurs guerres de libération. Si la voie suivie par le Maroc depuis la signature du Protectorat jusqu’à son abrogation était jalonnée de soulèvements armés et d’actions de résistance populaire, la monarchie sous l’égide de Mohamed V y a pris également sa part, ne serait-ce que par l’appel historique de Tanger en Avril 1947 dirigé à tous les peuples du Monde arabe, ou le refus du Sultan de céder face aux oukases des autorités coloniales jusqu’à sa déposition le 20 Août1953. Ultime affront juste au lendemain de l’indépendance, le 22 octobre 1956, le détournement de l’avion Air Atlas transportant les cinq dirigeants de la révolution algérienne hôtes du souverain, comme si les autorités coloniales voulaient bien signifier que la voie des armes était la seule qui vaille en Algérie.
Il faut être bougrement inconscient ou alors fortement lobotomisé pour exiger, comme ce lecteur de la presse algérienne, de débaptiser l’avenue Mohamed V à Alger, reniant tout ce que le souverain a dû supporter pour la libération du pays frère.
Mais, en réalité, la déposition du Sultan allait recevoir une réponse cinglante au printemps suivant dans la lointaine Indochine et dès l’automne avec le déclenchement de l’insurrection en Algérie voisine. Ironie de l’histoire, les tracts du Vietminh appelant à la désertion des tirailleurs Nord-africains faisaient référence à la résistance des populations rifaines face aux deux armées coloniales, avec un appel d’Abdelkrim, réfugié au Caire, à la solidarité avec le peuple vietnamien. (Les origines de la Guerre du Rif : Germain Ayache – 1980).
Face à la manœuvre des autorités coloniales de circonscrire la résistance populaire aux populations urbaines, les soulèvements paysan d’Oued-Zem et simultanément de Skikda en Algérie au deuxième anniversaire de la déposition du Sultan furent une surprise de taille pour les tenants de la ligne dure. L’accélération du mouvement vers l’indépendance allait prendre son cours.
Le Maroc indépendant n’allait pas renoncer, pour autant, à son engagement anticolonial, et ce, par une contribution active à la lutte des peuples colonisés d’Afrique avec notamment la création du groupe de Casablanca, sa participation à la Conférence de Bandœng et à l’avènement du Mouvement des Non-Alignés. En plus de son soutien direct à l’ANC, au MPLA, au PAIGC, et au FLN en tant que mouvements de libération des peuples coloniaux d’Afrique y compris le peuple algérien, avec camps d’entraînement dotés de tous les moyens nécessaires, humains et matériels pour mener la lutte armée.
Reprenant le relais du Maroc, si tôt indépendante, l’Algérie a su nouer des relations étroites avec les futurs dirigeants des nouveaux états indépendants d’Afrique du Sud dont elle se prévaut depuis 1975 pour mener sa politique hostile au Maroc.
Dès 1962, se voulant être le phare de l’ultra Révolution, la nouvelle Algérie allait étendre son soutien aux mouvements indépendantistes du pays basque, de la Catalogne et du peuple Guanche des iles Canaries, sans oublier les commandos originaires des montagnes voisines de l’Atlas. En attendant plus tard le Polisario après avoir préalablement mis la pédale douce à son soutien aux trois mouvements séparatistes espagnols. C’était avoir vraiment de la suite dans les idées.
Aujourd’hui, l’effort diplomatique et militaire d’Alger ne concerne plus que le Sahara Occidental, les autres causes n’ayant pas eu de repreneurs. Avec la disparition du régime libyen son isolement est encore plus flagrant.
L’écoulement du gaz ayant des exigences incompatibles avec le climat de guerre froide d’antan, même si la fermeture des frontières depuis une trentaine d’années et les campagnes de presse du pays voisin rappellent le contexte Coréen sans armistice mis à part le cessez-le-feu de 1963. Mais les stratèges algérois se frottent les mains d’avoir fait perdre à leurs voisins 5% de leur propre manque à gagner avec la fermeture du gazoduc Maghreb Europe transitant par le Maroc ! Ce jeu puéril outre qu’il mine leurs revenus donne une piteuse image de la crédibilité du pays. Ne parlons pas des slogans « coopération Sud-Sud » plus creux que jamais !
L’E.T.A. basque a, depuis, renoncé au terrorisme pour accepter de jouer le jeu démocratique proposé par l’ex-président espagnol R. Zapatero qui s’est d’ailleurs prononcé à plusieurs reprises sur la qualité et la « générosité » (sic) du Plan d’Autonomie du Sahara. Quant aux indépendantistes catalans, ils poursuivent leurs luttes revendicatives culturelle et politique dans le cadre démocratique mais plus de chantage au terrorisme. Les Canariens ont, eux, disparu littéralement des radars mais Alger a tout de même obtenu le maintien d’un relais de propagande du Polisario. Bilan de ce tintamarre indépendantiste : le fiasco le plus total !
A présent le Polisario brandit la menace du terrorisme, la seule arme qu’il maîtrise encore depuis sa création, signe manifeste de son aveu d’impuissance. Mais gare aux mirages du désert !
Au soutien des luttes légitimes de libération des peuples, certains n’ont pas compris qu’il fallait lui substituer, une fois l’indépendance acquise, la nécessaire coordination des efforts de développement des infrastructures visant à désenclaver les zones défavorisées par le système d’exploitation colonial pour impulser les relations interafricaines. L’histoire jugera les responsabilités de ceux qui ont tout fait pour éloigner le Maroc du cœur de l’OUA alors qu’il en était l’un des principaux membres fondateurs. Dans le but d’empêcher que des projets structurants bénéficient de financements internationaux, en mesure de faciliter leur faisabilité.
S’appuyant sur ses ressources propres, le Maroc est tout de même parvenu à donner corps à l’autoroute Tanger-Lagos, ce projet du siècle qui désenclavera tout le centre et l’ouest africain en les reliant au plus grand port de la Méditerranée Tanger-Med en attendant celui de Dakhla. La première route goudronnée du début du siècle est sur le point d’être relayée par plus de 2500 km d’autoroute moderne devant desservir une dizaine de pays africains.
L’autoroute Est-Ouest est quant à elle toujours fermée depuis 25 ans par la volonté d’Alger de refuser l’interconnexion des économies maghrébines et de priver de retrouvailles des millions de citoyens résidant en Europe de l’Ouest, contraints à l’exil forcé imposé par une guerre froide d’un autre âge.
Abdelkrim avait toujours refusé de rentrer au pays tant que l’Algérie n’avait pas retrouvé son indépendance. Quel bel hommage serait-ce que de lui donner sépulture définitive à Laâyoune, cette terre du Maroc et du monde arabe pour laquelle il a tout sacrifié.